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Ce que à quoi pourrait aboutir les biologistes qui piratent l’ADN
Ce que à quoi pourrait aboutir les biologistes qui piratent l’ADN
©Reuters

Tout appartient à tout le monde

Les médias s'intéressent depuis peu au mouvement du biohacking, qui consiste à mettre le maximum de moyen en oeuvre pour démocratiser les technologies qui sont le plus souvent bloquées et réservées à une élite. Se faisant, le mouvement permet à toute une communauté de penser de nouvelles façons d'utiliser des technologies pour des résultats parfois plus pratiques.

Thomas Landrain

Thomas Landrain

Thomas Landrain est co-président et co-fondateur de la plateforme "La Paillasse" à Paris, dédiée au biohacking.

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Atlantico : Depuis peu la presse s'intéresse à un mouvement que l'on nomme "biohacker". L'hebdomadaire "The Economist" les a décrit comme les "participants de ce qui ressemble à une classe de cuisine expérimentale" le 6 septembre 2014 (voir ici). Qu'entend-on aujourd'hui par Biohacker ?  Comment définir ce mouvement concrètement ?

Thomas Landrain : Parlons étymologie un instant. Biohacker est la contraction évidente de "biologie" et de "hacker". Si on veut définir le mouvement du biohacking, il faut donc se référer au mouvement hacking en général. C'est une volonté de revendication mais qui, cette fois, ne se concentre pas sur l'informatique ni sur les données mais qui s'interroge sur l'autonomie de l'individu de façon générale, et d'un point de vue technologique. Traditionnellement le mouvement se concentre sur l'électronique, les appareils, mais ici c'est sur l'intégrité physique : on s'intéresse à la biologie, au corps humain, à notre environnement et notre capacité à gérer l'énergie qui nous entoure. Ce qui, concrètement, va toucher les matériaux qu'on utilise, aura un impact sur ce qu'on va construire, sur notre santé, sur la capacité dont nous disposons à nous surveiller nous même, à nous diagnostiquer mais aussi à produire notre alimentation, entre autres. Le principe du mouvement biohacking, c'est se réapproprier tout ce savoir. 

Jetons un œil sur l'histoire de l'informatique : le bond de géant qui a eu lieu dans les années 1980-1990 n'a eu lieu que parce que le prix des ordinateurs avait baissé. Si tout a commencé, c'est parce certaines personnes ont décidé de s'approprier cette technologie dans les années 70 quand les prix des composants électroniques commençaient à devenir plus accessibles. Ces gens-là se sont mis à concevoir des ordinateurs pour qu'ils répondent à leur propres besoins auxquels personne n'avait pensé à l'époque. Des usages qui ne correspondaient pas nécessairement à ce qu'envisageaient les grands groupes américains, mais qui ont fait d'Internet ce qu'il est aujourd'hui. Ce qu'on veut pour le mouvement, c'est pouvoir imaginer une révolution de la  même ampleur. Pas pour l'informatique ou Internet, mais qui touche aux aspects physiques de notre vie et dont les répercussions peuvent être énormes. L'enjeu c'est d'abaisser le coût d'accès à la technologie comme ça a été le cas pour l'informatique. C'est une situation inexistante pour la quasi-totalité des technologies en dehors du hardware, mais c'est en passe de se réaliser dans des domaines comme l'électronique. Il faut dépasser ces champs là pour s'en aller vers des domaines plus traditionnels qu'on ne retrouve normalement que dans les laboratoires des grands groupes de recherches. C'est le fond du biohacking : démocratiser ces technologies nécessaires à l'autonomie de la personne.

En quoi consiste les activités menées par les biohackers ? Sur quels matériaux travaillent-ils ?

Les activités que nous menons sont très diverses. Dans le cadre de la biologie, par exemple, nous pratiquons le diagnostic génétique, qui permet de mettre en place la médecine personnalisée, consistant à s'analyser soi même. Concrètement, avec du hardware, quelques capteurs et un peu d'intelligence il est possible de reproduire des appareils de diagnostics gratuits pour l'utilisateur et bien moins couteux à assembler. Ce qui vaut également pour  les analyses génétiques puisqu'aujourd'hui on peut trouver sur eBay des appareils très simples pour quelques centaines d'euros et qui permettent de réaliser ses propres analyses. Pour un peu moins de 1 000 euros, il est possible de se procurer un ensemble d'appareils : une machine PCR, une machine électrophorèse, des centrifugeuses...

Cela rentre dans la démarche de l'open source : jusqu'à présent ces machines de laboratoire étaient construites pour des scientifiques, chers, inaccessibles au consommateur lambda et pratiquement impossibles à modifier. Aujourd'hui, il s'agit d'offrir de nouveau à tout le monde la possibilité de les modifier, et de les rendre plus accessibles financièrement parlant. Quitte à avoir moins d'options. Une machine PCR d'analyses ADN coûte entre 3000 et 10 000 euros, quand la version «open PCR» inventée par des ingénieurs américains ne coûte que 400 dollars.

L'idée, c'est aussi de récupérer une capacité à produire nos propres matériaux et ne plus avoir à faire face à des problématiques relevant de l'ordre de la transparence – comment sont fabriqués les matériaux des fournisseurs – de transports, ou de recyclage. L'encre, par exemple, est une des matières qu'on utilise le plus (et en cela elle peut être considérée comme symbolique dans ce cadre) et l'une des plus polluantes. Pour la reproduire, des biologistes et des designers ont travaillé main dans la main pour que cette encre soit à la fois biodégradable et non toxique. Et finalement, cet exemple peut se décliner à une large majorité des objets de notre quotidien, via la bioproduction : utiliser la capacité transformative, recyclable, de la matière biologique. Le vivant a une capacité presque alchimique à transformer les éléments.

La question qui demeure, c'est comment adapter ce format de bioproduction à une échelle locale et personnalisable. La méthanisation (qui consiste à recycler les déchets sous forme d'énergie) fait parti de ces exemples, applicables à un cercle restreint d’individus, comme un quartier.

Un autre exemple, peut-être un peu plus macabre sur lequel on intervient également, c'est la gestion des cadavres dans le cadre de graves catastrophes comme on a pu en voir aux Philippines. Il est vital de faire quelque chose pour ne pas se retrouver avec une crise sanitaire, mais le deuxième problème qui se pose c'est d'identifier les morts. Le concept que nous développons consiste à récupérer un morceau d'ongle et procéder à des analyses ADN pour identifier l'individu et essayer d'éviter à la famille le tribut psychologique que peut être la recherche du proche. La Croix-Rouge et Médecin du Monde sont très intéressés mais finalement ils disposaient des moyens nécessaires : c'est simplement le processus qui est nouveau. Laisser à tout un chacun la liberté d'utiliser ces technologies qui ne sont normalement pas accessibles permet de faire germer des idées simples mais pratiques et efficaces.

Qui est susceptible de participer aux activités de biohacking ? S'agit-il d'un cercle fermé, ou au contraire de quelque chose d'ouvert ?

C'est à la portée de tout un chacun. Tout le monde peut contribuer ! Une des idées fondatrices du biohacking, c'est que le monopole des grandes idées n'existe pas. Parfois, souvent même, ce sont des personnes qui ne sont pas compétentes dans les sciences de laboratoires qui auront la bonne idée. Nous parlions tout à l'heure d'un projet qui n'était absolument pas à l'initiative d'un biologiste : le concept d'utiliser les ongles pour pouvoir identifier les corps venait d'une étudiante en informatique qui n'avait pas la moindre connaissance en biologie. C'est une situation qu'on retrouve le plus souvent : la majorité des projets sont le fruit de collaborations interdisciplinaires (entre designers, biologistes, ingénieurs...), permettant ainsi de croiser différents points de vue et différentes façons de concevoir le monde et d'augmenter le potentiel d'idées.

Quelles sont les motivations des biohackers ?

Au delà de ce qui a été mentionné auparavant, je crois que les biohackers sont motivés par un certain plaisir de découvrir. De nombreuses expériences démarrent de façon un peu hasardeuse sans qu'on sache où elles vont aboutir. Les projets  ne sont pas motivés par une volonté politique, ni entrepreneuriale. Souvent il s'agit de répondre à une question que les gens se posent : une étudiante s'interrogeait sur le lien entre la perception des visages et l'état cognitif. Nous disposons de moyens pour mesurer l'état cérébral superficiel d'une personne, en utilisant des électroencéphalogrammes à bas prix, via la technologie low-cost. Ce sont traditionnellement des expériences réservées à des laboratoires élitistes, qu'on cherche à permettre au plus grand monde. Toutes les grandes études ne reposent pas sur des expériences compliquées : ce qui importe c'est de répondre à une problématique, et que la problématique soit bonne. Et parfois il s'agit de questions soulevées par des gens qui ne sont pas initiés aux sciences.

Quelle est l'ampleur de ce phénomène et vers quoi peut-il évoluer ? Quels sont les risques inhérents à cette pratique ? 

Il s'agit d'une expérience humaine mondiale, mais également d'un mouvement local. Le biohacking est installé un peu partout dans le monde, fait baisser les coûts et démocratisme l'accès aux machines, pour des utilisations à échelle plus modestes et des problématiques d'ordre locales. À chaque niveau il faut s'adapter, notamment à l'environnement, mais également aux ressources disponibles : le différentiel nord-sud est criant. Les machines de laboratoire étant fabriquées par les occidentaux elles sont d'autant moins accessibles là bas et l'open source prend d'autant plus de sens. Je pense que l'avenir du biohacking, qui est aujourd'hui l'embryon d'un mouvement très global axé autour d'une inventivité collective mais scindée en hubs locaux, c'est de représenter une alternative au système académique avec plus de transparence.

Pour autant, c'est une pratique d'exploration, de profilage technologique. Ce qui comporte nécessairement des risques. Dès lors qu'on use d'une technologie (comme de n'importe quel outil), c'est à double tranchant. Si l'usage qui en est fait n'est pas le bon, ça devient potentiellement dangereux, et quand il s'agit d'explorer il peut y avoir ce genre de problèmes, d'accidents. Ceci étant, la majorité de la communauté est suffisamment impliquée pour être consciente de ces dangers qui, jusqu'à présent, ont été plutôt évités.

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