L’UMP en plein échauffement avant le congrès de novembre : le match de ceux qui vont à la Baule contre ceux qui vont à Nice<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce week-end est placé sous le signe des rassemblements pour l'UMP : un à Nice et l'autre à la Baule
Ce week-end est placé sous le signe des rassemblements pour l'UMP : un à Nice et l'autre à la Baule
©Reuters

Duel au sommet

Ce week-end est placé sous le signe des rassemblements pour l'UMP : un à Nice, à l'initiative des Jeunesses Populaires en soutien à Nicolas Sarkozy, et un autre à la Baule, réuni en guise de résistance à un éventuel retour de Nicolas Sarkozy. Une situation qui pourrait très vite se transformer en affrontement déclaré entre deux blocs au sein du parti.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Les deux rassemblements UMP de ce week-end, à savoir celui de Nice rassemblant les jeunes sympathisants de Sarkozy, et celui de la Baule réunissant, sinon des opposants affichés, des sympathisants qui ont pris leurs distances avec l'ancien président de la République, préfigurent-ils un affrontement à venir entre 2 blocs au sein de l'UMP ?

Jean Petaux : Vous pourriez même pour faire bonne mesure ajouter le rassemblement organisé par une autre fraction de l’UMP le week-end dernier. Interrogé à ce sujet lors d’une grande session d’information du matin (Léa Salamé, France Inter, dans le 7-9 de Patrick Cohen), Christian Estrosi, député-maire de Nice, candidat à la présidence de l’UMP, a répondu qu’il préférait voir plusieurs rassemblements différents de militants UMP plutôt qu’un seul comme à La Rochelle pour le PS où les personnes passent leur temps à se disputer devant les micros et les caméras… En réalité qu’il y ait "unité de lieu" ou "multiplication des scènes", le résultat et l’effet produit sont les mêmes. Il est également symptomatique de l’état des partis politiques de gouvernement en France : sinistré et ravagé.

L’affrontement entre les clans de l’UMP date de mai 2012, dès le lendemain de la défaite du leader vaincu. Dans les faits l’UMP, dans l’ambition initiale de ses fondateurs, Jacques Chirac et Alain Juppé, après 2002, est destinée à être le grand parti modéré et conservateur qui manque à la France et qui serait comparable à la CDU-CSU allemande, au Parti Conservateur britannique, au Partido Popular espagnol ou au grand parti conservateur américain. Le projet de fusionner le RPR (néo-gaulliste) et l’UDF (centriste, libéral, héritier pour partie de la tradition chrétienne-démocrate et d’une fraction de la culture radicale à la française) est une sorte de conception idéale de la droite. En réalité tout comme l’UDR (le parti gaulliste des années 60) était déjà parcourue de sensibilités différentes (gaullistes de la Résistance, gaullistes de gauche, gaulo-pompidoliens technocrates et modernisateurs, gaullistes conservateurs, etc.), le RPR a aussi connu ses clans et sous-clans. Quant à l’UDF elle était, par définition, une sorte de "syndicat de partis" oscillant entre le soutien à VGE en 1981, à Barre en 1988 et à Balladur en 1995 (le comble quand on se souvient que Balladur était, tout comme Chirac, un "bébé Pompidou"…). Ce qui peut très bien se passer dans un futur proche c’est effectivement un affrontement direct entre divers clans de l’UMP, comme on l’a vu devant les caméras des chaines d’infos en continu en octobre-novembre 2012 pour la présidence du parti, entre Copé et Fillon. Mais il est plus probable que cette guerre intestine se déroule à l’occasion des primaires pour désigner le candidat à la présidentielle de 2017. Tout dépendra du degré d’adhésion de toutes les factions à la procédure électorale mise en place pour ces primaires, premières du genre dans un parti dont l’ADN est plus bonapartiste que pluraliste. Si, comme il semble le souhaiter, Nicolas Sarkozy, voulant se représenter en 2017, empêche la tenue de primaires pour éviter un déchirement public du parti, il court le risque d’une ou de plusieurs candidatures dissidentes comme celles qu’a eu à affronter Lionel Jospin candidat de la fraction majoritaire de la gauche d’alors (le PS) . Cette multiplication des candidatures à gauche (Chevènement, Taubira, Mamère) ont fait qu’il n’a pu se qualifier au second tour, le 21 avril au soir. Dans ce cas, Nicolas Sarkozy aura évité le grand déballage politique au sein de l’UMP, il aura scellé du même coup les conditions de sa défaite...

Si l'on devait considérer chacun de ces deux blocs (pro-Sarkozy et anti-Sarkozy), quelle évaluation pourrait-on en faire en termes de positionnement idéologique, du profil des sympathisants, etc. ?

Jean Petaux : Difficile de répondre à cette question tant qu’on n’aura pas fait réagir un panel représentatif de chacune de ces factions sur des items et des propositions avec des échelles de valeurs pour chacune d’elles destinées à identifier le positionnement sur un axe "droite-gauche" ou "conservateur-réformateur" ou "nationaliste-internationaliste" par exemple. Ma réponse sera donc forcément lacunaire. Au vu de ce qui s’est passé ces 15 dernières années au sein de la droite de gouvernement française (à l’exclusion donc du FN), on peut considérer que Nicolas Sarkozy agrège derrière lui des militants et des sympathisants (il ne faut pas confondre les deux) qui se reconnaissent dans des thématiques sécuritaires, plutôt hostiles aux immigrés en provenance de la rive sud de la Méditerranée, privilégiant l’initiative individuelle, l’esprit d’entreprise, et concédant assez facilement que les lois qui régissent le fonctionnement de la société française sont trop protectrices encourageant ainsi à l’oisiveté ("mère de tous les vices") ainsi qu’à la fraude.

Au plan des mœurs et des choix de vie, cette partie de la droite française considère que l’idéologie issue de "Mai 68" (remise en cause de l’autorité parentale, égalité entre les sexes, libre-choix des sexualités, remise en cause des institutions structurante de la société, etc.) a tout gangréné participant pour beaucoup de la perte d’influence de la France et de son affaiblissement. Cette première sensibilité peut être qualifiée de "traditionnaliste-conservatrice-nationaliste".
Face à elle, il existe une autre composante qui se reconnait beaucoup moins dans les items précédemment cités et beaucoup plus dans une adhésion forte à l’idéal européen, avec sa composante économico-monétaire, qui privilégie la négociation sociale et contractuelle, qui considère que la pauvreté n’est pas de la responsabilité des pauvres et qui aspire à une société consensuelle où les clivages idéologiques seraient contournés voire gommés. Pour ceux-là par exemple, même s’ils considèrent que le mariage homosexuel n’est pas pour eux, ils ne voient pas d’inconvénients à ce que la loi permette à des couples de même sexe de se marier. Ils ne considèrent pas non plus qu’en adoptant un tel texte de loi on remet en cause la cellule familiale et, partant, l’ensemble de la société française dans ses fondamentaux. Cette partie de l’UMP n’est pas pour autant social-démocrate. Les socialistes l’insupportent. Elle les considèrent comme des hypocrites, des cyniques, des privilégiés qui s’achètent, à peu de frais, une bonne conscience progressiste en revendiquant le "monopole du cœur" pour reprendre la célèbre formule de Giscard lors du premier débat télévisé, entre les deux tours de la présidentielle de mai 1974. On recense dans cette sensibilité de l’UMP aussi bien des personnes et des groupes qui se reconnaissent dans Alain Juppé, dans le François Fillon fils spirituel de Philippe Seguin, dans Bruno Le Maire, dans NKM sans doute aussi… Je qualifierai cette sensibilité de "libéral-pluraliste-réformatrice".

Ce sont là des clivages finalement assez classiques entre sensibilités de droite. La difficulté aujourd’hui tient peut-être aux "effets de posture" où ce qui compte souvent dans la détermination des orientations idéologiques des uns et des autres (pas pour tous cela dit) demeure prioritairement les choix opérés par tel ou tel conduisant à des conduites tactiques et conjoncturelles de différenciation ou de dédifférenciation quasi-systématiques.

Lequel de ces deux blocs pourrait paraître comme étant celui représentant le plus fidèlement les valeurs derrière lesquelles se retrouvent aujourd'hui les militants (parallèlement au phénomène de droitisation) 

Jean Petaux :Globalement et pour ne pas compliquer ma réponse. Les militants UMP qui ont tendance à se tourner majoritairement vers Nicolas Sarkozy se reconnaissent davantage dans les thématiques "traditionnaliste-conservatrice-nationaliste". Il n’y a rien d’étonnant à cela. Tout comme le noyau dur du PS militant a tendance à être plus "gauchiste" que l’électorat qui a voté pour François Hollande même au premier tour de la présidentielle, le "cœur du réacteur" UMP est plus à droite et plus conservateur que l’ensemble des sympathisants. C’est ce qui fait par exemple qu’Alain Juppé tend à devancer Nicolas Sarkozy selon que l’on interroge un échantillon représentatif des sympathisants UMP et non plus seulement des seuls militants qui, majoritairement par exemple, ont voté pour le courant "La Droite forte" de Geoffroy Didier et Guillaume Peltier, eux-mêmes sarkozystes tendance "Nicolas Chauvin" sous le Premier Empire…

Quelle hiérarchie des forces en découle aujourd'hui ? Comment et à quelles conditions pourrait-elle évoluer ?

Jean Petaux : Il faut toujours garder à l’esprit que le meilleur carburant qui fait fonctionner un parti politique est celui qu’on appelle communément "la dynamique de la victoire". Cette essence-là, à fort degré d’octane avec un indice énergétique très élevé, emporte tout sur son passage y compris les différences idéologiques. Ce que veut un militant c’est gagner. Il aura donc la plupart du temps tendance à mettre ses idées dans sa poche au profit d’un engagement tout entier tendu vers la victoire de son propre camp à travers le héraut que celui-ci aura choisi. Il se peut parfois qu’un appareil et ses cadres se braque contre un candidat (en l’espèce "une candidate") désigné. Ce fut ce qui arriva à Ségolène Royal en 2007.

Mais très souvent la base des militants est beaucoup moins calculatrice et pusillanime dans son engagement que les apparatchiks du parti toujours prompts à parier sur la défaite prochaine pour se repositionner dans la perspective d’une victoire future… Ce fut d’ailleurs le cas aussi pour Ségolène Royal en 2007 : au plus fort de sa campagne présidentielle, elle bénéficiait bien d’un soutien fort parmi la base militante du PS et surtout chez les jeunes qu’on aurait pu penser bien plus à gauche qu’elle. En fait ils se retrouvaient dans l’engagement quasi-messianique de leur candidate et dans sa dimension "mère courage". J’aurais donc tendance à dire pour l’UMP que les forces se recomposeront en fonction du vainqueur. A condition encore une fois que la compétition interne qui devra choisir le candidat présidentiel existe d’une part, qu’elle soit acceptée et légitimée par tous d’autre part et que, in fine, le ralliement des battus vers le vainqueur soit sans ambiguïté, tout comme la victoire de ce dernier ne devra pas être entachée d’un quelconque soupçon de tricherie… Et là, le moins que l’on puisse dire, c’est que tout cela n’est pas acquis au jour d’aujourd’hui.

A quelles conditions un bloc anti-Sarkozy pourrait-il réussir à l'emporter au plan interne ?

Jean Petaux : A trois conditions. Premièrement si Nicolas Sarkozy est rattrapé par les 12 juges d’instruction qui le "marquent au short" depuis plusieurs années et qui n’ont aucune intention de le laisser respirer tranquille. Deuxièmement s’il apparaît aux yeux de la plupart des cadres actuels de l’UMP qu’une candidature Sarkozy en 2017 peut exploser en vol, à 2 mois de l’échéance du premier tour, parce que l’amoncellement des affaires sera insupportable à gérer politiquement. et enfin si ce bloc-anti-Sarkozy apparait mieux à même d’agréger les déçus de Hollande qui ne revoteront pas Sarkozy en 2017 alors qu’ils ont contribué, en choisissant Hollande en mai 2012, à faire battre le président-sortant. Autrement dit s’il apparaît clairement que l’électeur centre-droit (pour faire simple : Bayrou par exemple) refuse de remettre Sarkozy à l’Elysée, en souvenir de sa présidence 2007-2012…

Un sondage Le Figaro/Ifop sorti ce vendredi révèle qu'en cas d'affrontement FN-UMP dans le cadre de la présidentielle de 2017, Alain Juppé ferait un meilleur score que Nicolas Sarkozy.Quel bloc est aujourd'hui le mieux placé pour l'emporter face eux électeurs lors d'un scrutin national ? Comment la situation pourrait-elle évoluer ?

Jean Petaux : Ce sondage tend à confirmer mon propos précédent. Nicolas Sarkozy, même marqué à droite, ne parviendra pas à récupérer l’électorat de Marine Le Pen. Ce sera même l’inverse qui se produira. Plus que jamais les électeurs "traditionnalistes-nationalistes" privilégieront une candidate qui n’a jamais exercé le pouvoir à un "cheval de retour" (même si ce fut un pur-sang nerveux…) comme Sarkozy. Pourquoi choisir Sarkozy qui fait du Le Pen et pas Le Pen directement ? Pourquoi préférer la "copie"  même si c’est Nicolas Sarkozy, à "l'original", surtout si c’est Marine Le Pen ? En conséquence de quoi l’espace politique à occuper ne sera pas à la droite de la droite, mais au centre-droit, voire au centre-gauche si le tournant "social-démocrate" du binôme Hollande-Valls se termine contre l’iceberg. C’est là que se trouvera le réservoir des voix. Et Nicolas Sarkozy aura du mal à se recentrer jusqu’à se positionner sur ce créneau. C’est sans doute la chance et la fenêtre d’opportunité offerte à Alain Juppé en revanche.

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