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Chroniques d'une jeune prof dans un quartier difficile : l'épreuve du conseil de discipline
©Reuters

Bonnes feuilles

Sophie commence à enseigner à la rentrée 2013, mais très vite se rend compte d'un grand décalage entre les connaissances apprises lors de ses études et la réalité du monde de l'enseignement tel qu'il se pratique dans un quartier difficile de l'Ile-de-France classé en zone d'éducation prioritaire (ZEP). Son témoignage restitue en détail la vie du collège. Extrait de "Jours de collège", de Louise Cuneo et Sophie Delcourt, publié aux éditions Bartillat (1/2).

Louise  Cuneo

Louise Cuneo

Louise Cuneo est journaliste au magazine Le Point, spécialisée dans les questions d'éducation.

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Sophie Delcourt

Sophie Delcourt

Sophie Delcourt est professeur d'histoire-géographie dans un collège francilien. Elle enseigne depuis 2013.

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« Toute la journée, j’ai cru que j’avais de la fièvre ». Pourtant, Sophie allait très bien ce mardi, mais la tension nerveuse à laquelle elle était soumise était bien trop forte pour ne pas bouleverser son équilibre. La prof jouait sa crédibilité auprès de ses élèves et de leurs parents, de ses collègues, de sa direction, lorsque s’est ouvert à 18 heures le conseil de discipline de Souleiman et de Simina.

Toute la journée, une étrange effervescence a régné en salle des profs. La solidarité sans faille s’est imperceptiblement fissurée pour laisser place à l’inquiétude. « On n’aurait jamais dû exiger ces conseils », regrette avec véhémence une prof. « Au mieux, les élèves s’en tireront avec une exclusion de huit jours. Autant dire rien, et ce sera un camouflet pour nous tous. Non, vraiment, il aurait mieux valu ne rien faire ». Sophie est atterrée et désolée. Elle pensait avoir gagné la bataille, en obtenant la tenue de ces conseils de discipline. Mais rien n’est encore joué. Françoise, la doyenne, lui explique les issues possibles : « Aujourd’hui, on ne peut plus exclure pour un mois, cela s’apparente à de la déscolarisation. Donc il y a trois possibilités : l’exclusion définitive, prévue par les textes, mais que l’on ne votera jamais car les représentants des parents et les délégués de classe, tout comme une partie de l’administration, s’y opposent systématiquement. Reste donc l’exclusion temporaire, et la définitive mais avec sursis, dont les élèves se moquent éperdument. À mon avis, ils vont obtenir huit jours, pas plus ». Prenant conscience qu’elle risque d’être désavouée une fois encore, mais à l’échelle de tout l’établissement, Sophie s’effondre.

Indécence

En fin de matinée, elle rencontre au secrétariat l’une des représentantes des parents, élue au conseil d’administration et qui siègera au conseil. La mère est en train de prendre connaissance du dossier qui sera jugé. La secrétaire lui présente Sophie. « La déléguée a levé les yeux vers moi. Sans me saluer, elle a saisi du bout des doigts mes quatre pages de rapport et me les a agitées sous les yeux : « Euh... c’est tout ? Vous n’avez que ça ? J’ai bien peur que cela ne fasse un peu léger, non ? » Sophie, encouragée par la secrétaire, raconte une nouvelle fois l’incident. Pas convaincue, la mère pousse un soupir et sort du secrétariat. « Non mais qu’est-ce qu’il lui aurait fallu, s’insurge la secrétaire, que tu te fasses casser la gueule, en plus ?! » Sophie quitte le bureau pour retrouver sa quatrième et... Simina et Souleiman.

Durant toute l’heure, les deux adolescents ne prennent même pas la peine de faire profil bas, pour tenter d’adoucir les griefs à leur égard. Ils se comportent comme à leur habitude : indisciplinés, provocateurs. À la fin de l’heure, alors que Simina est la dernière à quitter la salle, l’enseignante la rappelle à l’ordre : « Veux-tu bien ramasser les petits papiers que tu as laissés par terre sous ta chaise, s’il te plaît ? » Mais la jeune fille n’en a que faire, puis se décide finalement à ne jeter que deux ou trois morceaux dans la poubelle.

Excédée par le comportement de l’adolescente, qui a quitté la salle, Sophie prend la peine de balayer les papiers sur le sol. Surprise : sur l’un d’entre eux, elle reconnaît clairement sa propre écriture et comprend alors qu’elle tient dans ses mains les restes de la copie du contrôle de Simina, rendue à l’instant. « Comment peuton avoir l’indécence de se comporter de la sorte, à quelques heures d’une décision aussi importante pour son avenir ? »

Exclus définitivement

Quelques heures plus tard, le conseil est enfin arrivé. À la plus grande stupeur de Sophie, Simina ne change pas de comportement devant les membres présents. Arrogante et moqueuse, la jeune fille affirme que son enseignante ment, y compris lorsque Sophie assure que son dédain s’était encore manifesté le jour même, en classe. « J’ai eu de la chance : l’un des membres du conseil était aussi l’un des profs de Simina, et il a reconnu qu’elle ne se tient jamais correctement, et ce, malgré le couperet de l’assemblée. Forte de ce témoignage, mon honnêteté n’était donc plus en cause. Je n’aurais pas aimé que ce soit parole contre parole, et que mon récit ne soit retenu que parce que je suis l’adulte. » Puis vient le tour de Souleiman : à peine entré dans la salle, il nie en bloc les faits, se rétractant, alors même qu’il avait la semaine passée tout reconnu devant un autre enseignant. Contraint de se rendre à l’évidence devant l’incohérence entre sa version et celle de sa camarade, Souleiman finit par admettre ses actes.

« L ’audition s’est avérée très pénible. Le rapport de force qui se joue au quotidien s’est recréé dans la disposition même des participants : les profs ramassés au bout d’une immense table, les délégués de parents et d’élèves à l’autre bout, à presque dix mètres. Au milieu, l’administration. Et tout seuls, minuscules et perdus, l’élève mis en cause et l’un des membres de sa famille. » En face d’elle Sophie aperçoit la mère croisée le matinmême qui ne cesse de pianoter sur son téléphone portable. La suite est à l’avenant : « L e délégué des parents chuchote avec les familles hors cadre officiel, l’assistante sociale tente de me donner tort, le principal ne me regarde jamais dans les yeux. J’ai eu l’impression d’être assaillie de toute part. »

Extrait de "Jours de collège", de Louise Cuneo et Sophie Delcourt, publié aux éditions Bartillat, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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