La présidence Hollande pourrait-elle empêcher la gauche de revenir au pouvoir avant 2040 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Si la gauche en 2017, elle pourrait retrouver le goût amer des 23 années passées loin du pouvoir entre 1958 et 1981.
Si la gauche en 2017, elle pourrait retrouver le goût amer des 23 années passées loin du pouvoir entre 1958 et 1981.
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Après moi, le déluge

Celui qui d'après le baromètre TNS Sofres pour le Figaro magazine a atteint le niveau de popularité le plus bas de l'histoire de la Ve République, à 13 %, pourrait bien faire perdre la gauche en 2017. Il ferait ainsi retrouver à cette dernière le goût amer des 23 années passées loin du pouvoir entre 1958 et 1981.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : L’année 1958 marque la fin de la IVe République et des crises gouvernementales qui la caractérisaient. Face à d'insurmontables divisions internes au sein de la majorité de gauche, le président du Conseil Guy Mollet (SFIO) est remplacé en 1957 par Pierre Pflimlin (MRP), qui lui-même doit s'en remettre au général de Gaulle au mois de mai 1958. Dans quelle situation la majorité de gauche se trouvait-elle exactement à cette époque ?

Jean Garrigues : Les socialistes étaient partie prenante des coalitions dites de "troisième force", et étaient donc associés au régime des partis qui était de plus en plus rejeté par la majorité des Français et faisait la preuve de son incapacité à gérer la guerre d’Algérie. Au sein de la famille socialiste proprement dite, on pouvait observer une remise en question très profonde de la ligne de conduite du parti en vigueur depuis le début des années 1950, connue sous l’appellation "national-mollétisme". Guy Mollet prônait la fidélité au dogme révolutionnaire, tout en s’appuyant sur une pratique politique d’alliance et de compromis avec les partis de centre et de droite, ce qui était contradictoire. Cette politique était d’autant plus remise en cause qu’elle s’accrochait au nationalisme et au colonialisme. La naissance du PSU (Parti socialiste unifié) entre 1958 et 1960 a participé de cette remise en cause du national-mollétisme.

Jean Petaux : Vous raccourcissez quelque peu la fin de la IVème République. Guy Mollet, premier secrétaire de la SFIO est président du conseil du 31 janvier 1956 au 25 mai 1957. Il bat le record de longévité de tous les cabinets de la IVème République. Son entrée à Matignon est consécutive à la victoire du Front Républicain. Pour l’emporter il a fait alliance avec Pierre Mendes-France et c’est d’ailleurs un peu par surprise qu’il devient président du conseil quand nombre d’observateurs (et aussi une partie des électeurs) pensent que c’est PMF qui va siéger à la tête du gouvernement. A la chute du gouvernement Mollet, Maurice Bourges-Maunoury (3 mois et demi) et Félix Gaillard (5 mois) vont être présidents du conseil. Juste avant la nomination de Félix Gaillard à Matignon (5 novembre 1957), Guy Mollet va conduire une nouvelle équipe gouvernementale mais comme la confiance lui est refusée par les parlementaires, son gouvernement ne dure que 6 jours (du 22 au 28 octobre 1957).

C’est à la chute du gouvernement Gaillard le 15 avril 1958 que s’ouvre la séquence qui va voir Pierre Pfimlin sollicité par le président Coty pour former une nouvelle équipe et que va s’amorcer dès le lendemain de cette nomination, le 13 mai, la crise éponyme qui conduit au retour du général de Gaulle (dernier président du conseil de la IVème République) et à la fin de ce régime qui aura duré 12 ans et connu 21 présidents du conseil… La gauche de l’époque n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. En tout premier lieu il faut rappeler que le Parti Communiste Français est la première force politique de la gauche et qu’il compte 150 députés (PCF et apparentés) dans la 3ème législature, celle issue des élections législatives du 19 janvier 1956, quand les socialistes de la SFIO sont 95 et les Radicaux avec leurs alliés (l’UDSR de François Mitterrand et de René Pleven par exemple) sont 77. Mais le Parti Communiste, pour cause de Guerre froide est exclu de la vie politique française, de fait, depuis 1946. La gauche non-communiste (la SFIO et les Radicaux, parmi lesquels on compte Pierre Mendes-France mais qui sont eux-mêmes très divisés surtout sur la question algérienne) est d’abord anti-communiste et atlantiste. Dès son arrivée au pouvoir, Guy Mollet dont on pensait qu’il pouvait s’engager dans une politique de règlement pacifique de la crise algérienne qui a explosé le 1er novembre 1954 (Toussaint rouge), change totalement de ligne politique et après la désastreuse affaire dite des "tomates d’Alger" où il a tenté d’imposer la nomination du général Catroux comme gouverneur général (les "Pieds-noirs" lui sont très hostiles), Guy Mollet fait volte-face, décide dès mars 1956 l’envoi du "contingent" en Algérie (cela veut dire les "Appelés" qui font leur service militaire et non pas les militaires de carrière comme en Indochine).

S’ajoute à cela pour des raisons parfaitement logiques d’un point de vue stratégique et militaire l’expédition de Suez (novembre 1956) aux côtés des Britanniques mais qui va aussi révéler, du fait du véto états-unien et soviétique, la faible souveraineté de la France alors. Bref, la gauche est épuisée par l’exercice du pouvoir. Ses idéaux d’alors semblent foulés au pied et c’est ainsi que l’on voit naitre un parti comme le PSA (Parti Socialiste Autonome) qui devient ensuite le PSU (Parti Socialiste Unifié) fondé par des dissidents de la SFIO (comme Alain Savary). Toute une génération d’hommes et de femmes qui partagent des idéaux progressistes considèrent que la SFIO les a trahis. On invente même l’expression terrible de "national-molletisme" pour désigner la stratégie (difficile de dire "la philosophie") de Guy Mollet. De renoncements en adaptation aux contraintes sous couvert de pragmatisme, la SFIO va finir (comme la quasi-totalité de la classe politique française, sauf les communistes et quelques personnalités isolées comme Mendès ou Mitterrand) par soutenir le retour du général de Gaulle et le changement de République puisque Guy Mollet va même être membre du comité constitutionnel chargé d’écrire la loi fondamentale promulguée le 4 octobre 1958 et qu’il sera ministre d’Etat dans le gouvernement de Gaulle.

Dans quelle mesure la situation de la gauche à l'époque est-elle comparable à celle que connaît la majorité actuelle ?

Jean Garrigues : La situation d’aujourd’hui n'est pas la même, puisqu’en 1958 les socialistes ne font plus partie de la coalition au pouvoir, et ce depuis 1957, et les socialistes à cette époque ne sont pas parvenus à trouver une doctrine de gouvernement alternative. Autrement dit, ils n’ont pas fait ce que François Hollande a fait au travers du Pacte de responsabilité, à savoir s’engager clairement dans une voie. C’est précisément ce qui manquait en 1958, et qui s’est progressivement reconstruit au fil des années 1960. Aujourd’hui si le PS est divisé, c’est précisément parce que le président a fait le choix d’une direction bien précise, qui depuis longtemps était réclamée par une partie des socialistes héritiers de Jacques Delors.

En 1958 les socialistes ne sont plus au pouvoir, et que lorsqu’ils l’étaient juste avant, ils le partageaient au sein d’une coalition. Ceci dit, il est vrai que la famille socialiste est divisée en 1958 comme elle l’est aujourd’hui, précisément parce que la ligne national-molletiste est remise en question par les partisans de l’indépendance de l’Algérie qui seront aux origines du PSU, y compris les militants comme Michel Rocard, André Philip ou Pierre Mendès-France. Un certain nombre de clubs, comme le club Jean Moulin ou la Convention des institutions républicaines de François Mitterrand, vont reconstruire la pensée socialiste et adapter le PS aux institutions de la Ve République et à la conquête du pouvoir dans le cadre d’un régime semi-présidentiel. Cette adaptation est chaotique et contradictoire, car en 1964 François Mitterrand écrivait "le coup d’Etat permanent" contre de Gaulle, mais en 1965 cela ne l’empêche de se présenter comme candidat de la gauche à l’élection présidentielle.

Jean Petaux : Tout le contexte politique que je viens de rappeler dans ma réponse précédente montre qu’il n’est pas très sérieux d’établir des correspondances avec la situation actuelle même si, dans la rhétorique politique d’aujourd’hui on aime bien jouer sur ce ressort. Il faut imaginer qu’en mai 1958 le pays est au bord du coup d’Etat militaire. Les parachutistes en Algérie s’apprêtent à sauter sur la Corse dans ce que l’on va nommer le "plan Résurrection". Et face à cela la gauche non-communiste est littéralement tétanisée, comme un lapin dans les phares d’une voiture. Rien de cela n’existe aujourd’hui.

Certes le PS apparaît comme divisé actuellement. L’est-il plus qu’aux grandes heures du Congrès de Rennes entre Fabius et Jospin alors que Rocard est premier ministre (automne 1990) ? L’est-il davantage que lorsqu’il se déchire sur le référendum sur le TCE en mai 2005 entre les tenants du "oui" (Hollande, Aubry, DSK) et ceux du "non" (Fabius, Lienemann, Mélenchon) ? En réalité ce qui me semble pouvoir être énoncé, pour parler de la situation actuelle, est assez simple : le gouvernement Valls, sous l’autorité du chef de l’Etat, conduit une politique différente que celle qui a été proposée aux Français lors des campagnes présidentielle et législative de 2012. Ceci n’a rien d’original par rapport à la vie politique française depuis 1958. En moins de 4 ans, le général de Gaulle rappelé par les partisans de l’Algérie française en mai 1958 va conduire, à marche forcée, le pays jusqu’à l’indépendance de l’Algérie (Accords d’Evian, 18 mars 1962). Dans le genre, il faut avouer que c’est quand même autrement plus gonflé que de proposer une "politique de l’offre" par rapport à la doctrine économique sacro-sainte du PS callée sur une "politique de soutien à la demande"… Et quand François Mitterrand, l’homme de la victoire de la gauche, le 10 mai 1981, décide le tournant de la rigueur, au printemps 1983, bloque les salaires et les prix (on l’a oublié cela) et s’engage dans une politique économique à l’opposé des 110 propositions du candidat présidentiel, là encore on est sur un tournant qui consiste en une "épingle à cheveux" s’apparentant à un lacet de route de montagne. A chaque fois les députés élus vont devoir "manger leur chapeau". Je ne parle même pas du retrait du texte sur un "grand service public laïc et unifié de l’éducation", en juillet 1984 qui va amener à la démission d’Alain Savary et au départ des quatre ministres communistes…

Il a ensuite fallu 23 ans à la gauche pour se regrouper derrière François Mitterrand et l'emporter en 1981. Pourquoi cette réunification a-t-elle été compliquée ? Tient-elle à la nature même de la gauche ?

Jean Garrigues : En 1971, lors du congrès d’Epinay, François Mitterrand impose au nouveau Parti socialiste créé en 1969 une nouvelle ligne politique, de concurrence avec le Parti communiste, et d’adaptation à la Ve République. C’est à ce moment-là que les socialistes sortent de l’impasse de 1958, époque à laquelle la moitié des élus et militants se prononçait contre les institutions de la Ve.

Néanmoins le parti se garde bien lors de ce congrès de poser la question su virage social-démocrate. L’ambiguïté idéologique persistait donc. Or la mise en marche du Pacte de responsabilité et le choix de Manuel Valls comme premier ministre sont la marque d’un tournant idéologique assumé par ceux qui au sein de l’exécutif incarnent le PS.

En réalité, l’adaptation au social-libéralisme s’est faite en 1983 au moment du tournant de la rigueur, mais la reconnaissance de cette adaptation aux lois du marché n’avait jamais été faite. Des évolutions ont été constatées, notamment chez Lionel Jospin qui avait déclaré que "l’Etat ne peut pas tout", mais jamais d’une manière aussi claire que François Hollande.

Jean Petaux : Je crois qu’il faut se garder de tout "essentialisme" en la matière. Il n’existe pas une "nature" de la gauche  française qui la condamnerait à l’opposition la majorité du temps avec de courts intermèdes d’exercice du pouvoir tous les 20 ans. Pour autant la tradition idéologique de la gauche française porte sans doute en elle des éléments propices à la désunion. Dès la fin du XIXème siècle pour ne parler que de ce qui va devenir la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) deux grandes "cultures" se regardent en chien de faïence. D’un côté le courant conduit par Jean Jaures, de l’autre celui emmené par Jules Guesde. Ce sont deux sensibilités, deux manières d’agir, deux cultures de parti, de la discipline, deux bases sociales différentes également. Certes la SFIO va rassembler ces courants différents mais, 15 ans et une guerre mondiale plus tard, en décembre 1920 au Congrès de Tours, la majorité de la SFIO fonde la SFIC (Internationale Communiste), s’aligne sur le fonctionnement bolchevique et léniniste du parti et s’instaure alors la plus grande ligne de fracture qui va traverser la gauche jusqu’à aujourd’hui.

La signature, en 1972, du Programme commun de l’Union de la gauche, suivant d’une année la création du Parti Socialiste (Congrès d’Epinay) emmené par François Mitterrand, va vite se traduire par une poussée du PS et une chute corrélative du PCF jusqu’à ce qu’en septembre 1977 le Parti communiste dirigé par Georges Marchais fasse voler en éclat l’Union de la gauche. Il faudra alors attendre 3 ans supplémentaires pour la victoire de Mitterrand à l’Elysée, le 10 mai 1981, face à Giscard avec le soutien effectif de Jacques Chirac et d’une partie du RPR.. Comme on le voit : il n’est pas question de réunification de la gauche toute entière. Le PCF et le PS n’ont jamais décidé de refusionner depuis 1920. Le Parti Socialiste, dans sa phase dynamique entre 1971 et 1981 va littéralement "aimanter" des éléments disparates de la gauche non-communiste, comme les "Cathos de gauche", les "Clubs", et même une bonne partie du PSU avec le ralliement de Rocard pour la présidentielle de 1974. Mais avec une suspicion quasi-paranoïaque d’une bonne partie des "fondateurs" du PS… Au point que Mitterrand parlera, bien plus tard, de la "nécessité de lever l’hypothèque  Rocard" (drôle d’expression quand même à l’égard d’un "camarade" de parti) et que l’existence des "deux cultures de gauche" au sein du PS (ou de la "deuxième gauche" pour désigner les rocardiens, dont Valls au passage est un héritier direct) a été admise par tous au sein-même du Parti Socialiste. Mais quand on regarde le camp d’en face. Celui de la droite française. La situation n’est guère plus brillante. René Rémond a écrit sur les "Droites en France" des pages d’une lumineuse justesse et d’une actualité toujours recommencée. Je me risquerais finalement à une hypothèse : les partis politiques en France souffrent d’un défaut originel, toutes sensibilités politiques confondues : ils sont faibles quantitativement, sous-organisés, sans base sociale et se complaisent dans des luttes intestines dont le sens profond relève davantage de la compétition pour la conquête du trophée électoral que du combat d’idées. A cet égard le parti écologiste EELV est une sorte de modèle "à l’état pur". Un concentré de toutes les tares fonctionnelles des organisations partisanes en France.

Au regard des divisions actuelles au sein de la majorité et des difficultés que rencontre le gouvernement,   peut-on également supposer que la gauche va de nouveau entrer dans une longue période éloignée de l'exercice du pouvoir ?

Jean Garrigues : Ce qui est certain, c’est que la clarification actée par la politique de l’offre du gouvernement conduit à des frondes et des dissidences comme celle d’Arnaud Montebourg, et nécessairement à des débats, voire des scissions donnant lieu à une recomposition de l’espace de la gauche dans son ensemble. Cela ouvre une phase de crise au sein de la gauche et du PS, crise qui coïncide avec le discrédit de François Hollande dans une période de crise généralise du politique. Il semblerait par conséquent que le PS soit sur le point d’entrer dans une phase de minorité, mais il reste très difficile d’affirmer combien de temps cela pourrait durer. Selon certaines hypothèses François Hollande pourrait être réélu en 2017 grâce aux divisions de la droite et à un second tour l’opposant à Marine Le Pen. Malgré la dynamique actuelle, donc, il n’est pas dit que le PS se retrouve à coup sûr dans l’opposition.

Ajoutons que par rapport à 1958 la pratique de l’alternance marque une nouveauté. La Ve république nous a montré que les cures d’opposition de duraient pas si longtemps que cela, à cause d’une accélération de l’histoire et du rejet des familles politiques au pouvoir. Même si sa chute de popularité n’a pas été aussi forte que celle de François Hollande, Nicolas Sarkozy en a lui aussi fait les frais. Avec le quinquennat, la surmédiatisation du politique et la fragmentation du champ politique, la tendance générale est à la remise en cause rapide voire immédiate de ceux qui gouvernent. De plus la droite connaît elle aussi une grande crise interne au plan idéologique, ce qui laisse tout espoir à la gauche de ne "s’absenter" que pour un quinquennat.

Jean Petaux : Il existe une règle politique quasi-universelle : "la plupart du temps on ne gagne pas une élection, ce sont les adversaires qui la perdent". En conséquence de quoi le gauche repartira sans doute dans l’opposition si la droite est capable de l’emporter en 2017. Dans l’hypothèse d’une victoire de la droite en 2017 si cette dernière s’y prend comme elle l’a fait entre 1993 et 1997 et surtout entre 1995 et 1997, elle perdra rapidement, à son tour, les élections suivantes. Peu importe alors l’état de la gauche…. Qui pouvait imaginer, au printemps 1993, après que le groupe parlementaire PS issu des législatives de mars ait compté moins de 100 membres et que le dernier premier ministre socialiste ait été retrouvé mort au bord du canal à Nevers, le 1er mai 1993, que, quatre ans plus tard, Lionel Jospin dirigerait un gouvernement dit de "gauche plurielle" avec des ministres socialistes, communistes, radicaux de gauche et même écologistes ? Personne… C’est qu’entre temps Chirac et Balladur se seront livrés une guerre féroce, que la majorité parlementaire RPR-UDF, triomphante en mars 1993 n’aura eu de cesse que de torpiller l’action du gouvernement conduit par Alain Juppé entre 1995 et 1997 jusqu’à ce que celui-ci, au vu de sondages pas si catastrophiques que cela, obtienne la dissolution d’avril 1997 qui va aboutir au retour de la gauche, deux ans après la défaite de Jospin face à Chirac au second tour de la présidentielle de mai 1995… Même totalement sur les rotules, le PS en 2017 peut retrouver le chemin du pouvoir en 2022 (échéance normale, je ne parle même pas d’un agenda politique modifié) si la droite est aussi nulle et maladroite qu’actuellement ou qu’elle le fut de 1993 à 1997.

Dans une telle perspective, à quelles conditions la gauche pourrait-elle revenir au pouvoir en France ?

Jean Petaux : Indépendamment de ce que l’on peut considérer comme "les circonstances" : dépression brutale et massive de l’adversaire de droite qui la ramènerait au pouvoir, la gauche française peut tirer un avantage important de la situation actuelle. Elle peut, définitivement, considérer que son logiciel politique, économique, social et pour tout dire idéologique doit être sérieusement "updaté". Elle peut, enfin, opérer une véritable recherche sur ce qui devrait constituer une "gestion de gauche" d’une société libre, concurrentielle, intégrée dans un ensemble supra-national majoritairement soumis à une doctrine économique libérale et où les lois du marché constituent un des fondements majeurs de l’organisation socio-économique. La gauche pourrait aussi réfléchir et travailler sur les transformations sociales, environnementales, géo-politiques. Pas forcément pour remettre en cause tout ou partie de sa cosmogonie. Pas, par exemple, pour "sortir du nucléaire" absolument pour "faire de gauche", mais au moins pour assumer pleinement et en conscience les choix faits… Dire par exemple : "oui nous sommes et demeurons pro-nucléaires et voilà pourquoi…" ou bien "oui nous maintenons notre adhésion à l’Euro et aux lois économiques et financières européennes, et voilà pourquoi et nous ne changerons plus de ligne politique sur cet aspect fondamental de notre doctrine". La question n’est pas de savoir si la gauche se renie ou pas. Elle est, bien plus simplement, qu’elle assume une bonne fois pour toutes ses choix politiques. Ce n’est surtout pas un problème de morale ou d’éthique, ce n’est pas le sujet, c’est là aussi, bien plus simplement, une question d’intelligibilité et de lisibilité du discours et des actes posés.

Jean Garrigues : Depuis trente ans la majorité de l’électorat français pense à droite, et celui-ci vieillit du fait d’un fort désengagement des jeunes. De manière mécanique, l’intérêt politique des socialistes serait d’aller vers la droite et de renforcer sa ligne social-libérale. A terme, cela signifierait qu’un nouveau parti socialiste se séparerait irréversiblement de ses alliés traditionnels, ce qui mettrait fin à la gauche plurielle. La continuité logique résiderait dans un rapprochement avec l’espace du centre droit, qui sur le plan économique, social, voire sociétal n’est pas si éloigné de la social-démocratie tendue vers le libéralisme. C’est d’ailleurs une solution qui existe dans la plupart des Etats européens : les socio-démocrates se sont bien souvent allié avec les centristes en Allemagne, les travaillistes avec les centristes au Royaume-Uni, etc.

Mais cette ouverture au centre, voire à la droite libérale, s'est toujours heurté jusqu'à présent à la logique majoritaire et au réflexe historique de l'alliance à gauche. Il faudrait bousculer la tradition, sans doute aussi réformer le système majoritaire, et il n'est pas sûr que François Hollande et Manuel Valls soient prêts à ce saut dans l'inconnu, qui pourrait ressembler à un retour à la Quatrième République

Propos recueillis par Gilles Boutin

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