Ouf, pecho, bitch… Ce que les mots d’argot disent de leur époque

Atlantico : Quels sont les mots d'argot en vogue actuellement ? Comment ont-ils été popularisés ?

Gilles Guilleron : Les gros mot d'argot en vogue sont des mots que l'on entendait déjà il y a quelques années. Ce qui est intéressant est qu'ils deviennent de plus en plus fréquents. Surtout, ils apparaissent dans des endroits dans lesquels ils n'apparaissaient pas auparavant comme par exemple dans les médias. Alors, pourquoi les médias se mettent-ils à utiliser de l'argot ? Je pense que le public qui utilise l'argot est plutôt jeune et c'est un auditoire pour les médias. C'est une façon de toucher un public. La présence de l'argot dans les journaux et à la télévision traduit une volonté de toucher un public à travers un langage commun. L'argot n'est en fait plus nécessairement utilisé par ses locuteurs originels.

Quels sont les termes les plus utilisés, que disent-ils de leur locuteurs et de l'époque ? 

Par exemple, le mot "kiffer" revient régulièrement. Comme "ouf" d'ailleurs. L'objectif est que le public puisse s'identifier. "Pecho" se retrouve également dans beaucoup de films. Il y a plusieurs sortes d'argot. Par exemple le mot "pecho", c'est du verlan. Le verlan est très ancien et on en trouve dès le 17e siècle, tout comme l'argot. Ce langage est d'abord utilisé par le milieu, par des petits voyous. C'est un langage qui se veut crypter même si ce cryptage n'est pas très compliqué à décoder. Utiliser "pecho" dans la société actuelle est une façon de gommer, le temps de sa
prononciation, les différences. C'est une façon d'intégrer soit un groupe social, soit de réduire un temps donné le fossé entre une génération. J'ai la soixantaine, si je dis "pécho", je crée une rupture dans le langage que j'utilise habituellement, cela peut être une petite provocation ou une façon de ne pas paraître ringard.

L'argot peut véhiculer des significations différentes en fonction de la situation de communication. Des jeunes qui utilisent l'argot, c'est un moyen d'identification avec ses codes. Si on extrait un mot et utilisé hors contexte, la volonté peut être de surprendre. L'argot reste marginal dans la communication traditionnelle. C'est un phénomène qui va s'exprimer dans une sociale ou géographique. C'est une façon de s'identifier. Quand l'argot est utiliser comme un langage de base et pas comme un langage circonstanciel, peut traduire un enferment dans un groupe. Lorsqu'il est utilisé comme seul moyen d'expression, c'est un facteur d'isolement. C'est un marqueur social.

L'origine de l'argot ce sont des mots qui ont subi des traitements. Le verlan étant souvent le plus simple. Ou on peut
également tronquer les mots en enlevant une syllabe, la première ou la dernière. L'argot c'est aussi un jeu, une manipulation du langage. On part d'un mot qui existe vraiment : Rebeu. On est face à un phénomène d'inversions. Et lorsqu'on le rétablit, ça devient le beur. c'est aussi un mot qui a été travaillé. L'argot est un travail à plusieurs étage, avec un premier traitement et parfois un second traitement, voire plus.  C'est un jeu linguistique. Le fait de travailler la langue de le sorte est une volonté de créer du langage. D'appartenir à groupe qui va fonctionner à partir d'un code.

Par exemple "bitch" est très utilisé par les canadiens francophones. Fuck par exemple est un mot grossier dans une langue étrangère qui est en train de pénétrer la langue française.

Les mots d'argot s'installent-ils dans la langue ou sont-ils plutôt éphémères ?

Caillera qui a eu son succès, a aujourd'hui perdu de sa pertinence. L'argot est un espace marginal de communication. Il faut se demander qui utilise l'argot. 

Pour l'immense majorité des locuteurs l'argot n'est pas du tout envahissant. On vit avec une langue très codée. L'Argot c'est une petite variation qui vient ornementer le langage politiquement correct. Mais il n'est pas révélateur de la société.
Jusqu'au 16e sicèle, la langue est un joyeux bordel. A partir du  16e, académie française et des grammairiens ont codifié la langue. En parallèle de cette codification, des argots, ou plutôt des jargons qui sont liés à des milieux professionnels vont émerger. L'argot est généralement synonyme de voyou. Des mots tabous, grossiers, c'était un vocabulaire destiné à échapper à la norme, à la police. Il est symptomatique, car dans des endroits ou l'on est censé s'exprimer de manière très normé, l'arrivée de l'argot n'est absolument pas pénalisée, ni incomprise.