Bientôt des attentats signés califoutraques islamiques en Occident ? Ce que sait vraiment le roi d’Arabie Saoudite en faisant ses prédictions<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Abdallah d'Arabie saoudite a affirmé l'imminence d'attaques terroristes en Europe et aux États-Unis.
Le roi Abdallah d'Arabie saoudite a affirmé l'imminence d'attaques terroristes en Europe et aux États-Unis.
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Qui est le mieux informé ?

Incarné aujourd'hui par l’État islamique, le terrorisme islamiste constitue une vraie menace pour les pays occidentaux qui doivent déployer tous les moyens nécessaires pour détruire cette entité qui s'est formée en Syrie et au Nord de l'Irak. Tel est le sens à donner aux récentes déclarations du roi Abdallah d'Arabie Saoudite, pays directement visé par les actions de l’État islamique, à l'instar des autres pétromonarchies arabes.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Vendredi 29 août, lors d'une réception organisée par le corps diplomatique étranger à Djeddah, le roi Abdallah d'Arabie saoudite déclarait, à propos du "terrorisme" : "si on le néglige, je suis sûr que dans un mois, il arrivera en Europe, et un mois plus tard en Amérique". Quel niveau de fiabilité peut-on attribuer à ces propos ? Quelles sont les sources les plus probables de ces informations ?

Alain ChouetLes précisions de temps données par le discours du roi sont évidemment à prendre au sens figuré. Elles signifient simplement que l’Europe et les Etats-Unis auraient tort de prendre à la légère les manifestations de la violence islamiste au Moyen-Orient et de refuser de s’engager pour la neutraliser. Au-delà de leurs fragiles conquêtes territoriales locales dont les débordements inquiètent tout le monde, les groupes djihadistes ont besoin, pour se légitimer dans l’ensemble du monde musulman, de frapper des coups spectaculaires contre les " infidèles " occidentaux, et en particulier américains. Cette menace est réelle et d’autant plus préoccupante que les djihadistes d’Irak et de Syrie commencent à se sentir menacés dans leurs fiefs d’Irak et de Syrie et chercheront à dissuader les Occidentaux de s’attaquer à eux.

Mais leur objectif premier reste de s’emparer du pouvoir et des rentes qui y sont liées - en particulier de la rente pétrolière - dans les pays musulmans et, de préférence dans les pays arabes riches. Après avoir longtemps soutenu, voire même créé, les groupes islamistes violents dans le cadre de leur rivalité avec l’Iran chiite, les Saoudiens ont enfin pris conscience qu’ils avaient joué avec des allumettes et qu’ils se retrouvaient être les principaux objectifs d’une violence qu’ils avaient eux-mêmes stimulée.

Comme ils ne disposent ni des moyens humains, ni des moyens techniques nécessaires pour faire face à cette menace, ils en sont réduits à appeler leurs alliés occidentaux au secours par des discours alarmistes.

La veille, le président américain Barack Obama reconnaissait que les Etats-Unis "n'ont pas encore de stratégie" pour combattre les jihadistes de l'Etat islamique (EI), demandant par la même occasion la constitution d'une "coalition" avec les Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Les déclarations du roi Abdallah sont-elles à entendre comme une réponse à la déclaration d'Obama ? Plus largement, quel est l'intérêt pour le souverain saoudien d'une telle déclaration ? 

Les déclarations du président américain sont apparemment troublantes…Pendant plus de dix ans, les Etats-Unis ont placé l’ensemble du monde musulman sous une loi permanente des suspects, détruit irrémédiablement plusieurs pays, espionné la planète entière - y compris leurs plus proches alliés et leurs concitoyens - , harcelé des millions de voyageurs dans les aéroports, multiplié les tortures et les internements illégaux au nom d’une " guerre globale contre la terreur " qui n’a ramené dans ses filets que quelques seconds couteaux et un Ben Laden " retiré des affaires ".

Et aujourd’hui que sont parfaitement localisés avec précision une dizaine de milliers de djihadistes arborant fièrement leur drapeau, défilant dans les rues, égorgeant des citoyens américains devant les télévisions, éventrant médiatiquement femmes et enfants, jouant au foot avec les têtes de leurs ennemis, la présidence américaine vient dire qu’elle " n’a pas encore de stratégie dans la lutte contre le djihadisme "…

Je veux croire qu’il s’agit là d’une manœuvre du président Obama pour contraindre l’Arabie saoudite et les pétromonarchies du Golfe à " choisir leur camp " et à cesser leurs pratiques de double langage qui consiste à condamner verbalement le terrorisme, tout en soutenant un peu partout dans le monde les groupes terroristes salafistes et les djihadistes en vue de neutraliser les initiatives démocratiques ou l’influence de l’Iran qu’ils considèrent comme également dangereuses pour le maintien de leur pouvoir.

Quel rôle effectif jouent les services secrets du royaume dans la lutte contre le terrorisme et notamment contre les combattants de l'Etat islamique ? Quel rapport entretient le pays à l'heure actuelle avec les puissances occidentales au sujet de la lutte contre le terrorisme, et notamment de la lutte contre les djihadistes de l'Etat islamique ? Peut-il être considéré véritablement comme un allié fiable ? 

Les services de renseignement saoudiens, comme la plupart des services spéciaux de la zone, sont d’abord des services de sécurité et d’action subversive extérieure au profit de la famille ou du clan au pouvoir. Le prince Bandar Ben Sultan, nommé chef des services spéciaux saoudiens après avoir été longtemps ambassadeur à Washington, ne s’est jamais caché d’apporter son soutien aux groupes islamistes irakiens - devenus depuis l’Etat islamique - dans leur lutte contre la domination du pays par les chiites. Il s’était également fait fort de "balayer" Bashar el-Assad par la création en Syrie du Front al-Nosra qui s’est ensuite affublé du drapeau d’Al-Qaïda.

Son échec patent dans l’un et l’autre cas lui ont valu d’être limogé il y a quelques mois par le cabinet royal saoudien, lassé par les " dérapages " de ses initiatives. Il semble toutefois que les Etats-Unis ont demandé au roi Abdallah de le reprendre comme conseiller spécial à la sécurité nationale car il serait le seul - et pour cause… - à bien connaître Abou Bakr al-Baghdadi, le " Calife " de l’Etat Islamique.

Dans tous les cas, il ne faut guère compter sur une collaboration technique efficace des services saoudiens pour endiguer le phénomène de la violence djihadiste. Ce serait déjà bien s’ils cessaient de la soutenir et de l’alimenter.

Le roi Abdallah d'Arabie-Saoudite et les services de renseignements saoudiens en sauraient-ils réellement plus sur la menace terroriste qui pèse sur l'Occident que les Occidentaux eux-mêmes ? Quelle est la teneur exacte des informations à leur disposition ? 

Personne, y compris en Occident, n’a d’informations précises sur les menaces terroristes. En revanche, trois choses sont claires pour tout le monde :

- Les djihadistes de l’EI feront tout pour empêcher les Occidentaux d’intervenir contre eux, en particulier par la violence terroriste, afin d’inciter les opinions publiques européennes et américaines à dissuader leurs dirigeants de se mêler de "contentieux entre Arabes auxquels on ne comprend rien " ;

- Alors qu’il est en train de saigner à blanc et d’exaspérer les populations des territoires qu’il contrôle, l’EI a besoin d’affirmer son importance, sa capacité de nuisance et son prestige dans le monde musulman par des actions d’éclat qui doivent s’exercer à l’encontre des Occidentaux pour être fortement médiatisées ;

- L’EI est largement constitué de mercenaires étrangers (Tchétchènes, Bosniaques, Pakistanais, Saoudiens, Maghrébins, Européens de diverses origines, etc.) venus en Irak soit par appât du gain, soit par attrait pour le " romantisme de la violence ", soit pour compenser par la terreur qu’ils inspirent la vision dégradée qu’ils ont d’eux-mêmes. En cas de revers de l’EI, ces volontaires étrangers retourneront dans leurs régions respectives plein d’amertume et de désir de vengeance, formés aux techniques de violence et auréolés de la "gloire" du moudjahid, comme les " Arabes afghans " des années 1990.

Tout cela constitue un cocktail détonnant, présent et à venir.

Que savons-nous précisément à l'heure actuelle, en tant qu'Occidentaux, sur cette potentielle menace terroriste ? Provient-elle essentiellement des djihadistes de l'EI, comme le déclarait vendredi le Premier ministre britannique David Cameron ? 

Au-delà de ce qui a été dit ci-dessus, personne n’a d’informations précises sur la menace elle-même. Et si on en avait, ce ne serait plus une menace puisqu’on saurait alors quoi faire pour s’en prémunir….

Mais là ou le Premier ministre britannique a raison, c’est quand il désigne l’EI comme la menace essentielle à l’heure actuelle. L’EI est actuellement le seul groupe djihadiste qui a les moyens, les hommes, la proximité et l’intérêt de frapper en Occident.

Les autres groupes djihadistes comme Boko Haram, les Talibans, AQMI, les Shebab somaliens, sont entièrement monopolisés par des préoccupations locales de pouvoir et/ou de trafics. Ils ne disposent pas de capacités humaines de projection en Occident par des militants qui pourraient s’y fondre dans la population et, au-delà de quelques proclamations incantatoires, ne manifestent aucun intérêt pour l’action djihadiste internationale.

Quelles actions devraient mettre en oeuvre dès à présent les puissances occidentales pour faire face à la menace terroriste en provenance du Moyen-Orient ? Faut-il privilégier une intervention sur place ou bien agir directement sur le sol européen contre les réseaux terroristes qui oeuvrent notamment au recrutement ? 

Il faut à l’évidence détruire par tous les moyens militaires et politiques l’Etat islamique qui est en train de s’ancrer dans une zone " grise " de non-droit comme l’avaient fait les Talibans en Afghanistan et comme a tenté de le faire AQMI au Mali. Le Nord de l’Irak n’est pas la jungle du Viet Nam et les nervis de l’EI ne disposent pas - ou du moins pas encore - de capacités anti-aériennes. Une grande partie de leur force vient de la légèreté de leur armement et de leur mobilité. Mais c’est une caractéristique qui peut se retourner contre eux s’ils perdent leurs moyens de mobilité et s’ils sont confrontés à des armements lourds.

Il faudra ensuite, bien-sûr, surveiller de très près et neutraliser par moyens policiers et judiciaires à l’échelle européenne et mondiale, les volontaires de la violence qui sortiront du chaudron. Mais cette démarche n’aura de sens que s’il n’y a pas de "trou" dans le dispositif, comme il y en a eu au Pakistan et dans la péninsule arabique après la destruction du régime Taliban et d’Al-Qaïda. C’est pourquoi, au-delà des manœuvres et des mots, la récente déclaration du roi d’Arabie est - pour une fois - encourageante et doit être prise en considération.

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