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Pourquoi Manuel Valls n'est pas un socialiste canal historique mais pas franchement un social-libéral non plus
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Faux ami

Le Premier ministre a clos ce dimanche l'université du PS à La Rochelle par un discours en insistant sur la cohésion entre le gouvernement et sa base, le Parti socialiste.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Lors de son discours de clôture de l'université d'été du Parti socialiste, Manuel Valls a voulu rappeler la nécessité de son action politique au gouvernement, en insistant sur la cohésion entre le gouvernement et sa base, le Parti socialiste. Si le Premier ministre, à travers les mots et la terminologie employée représentait effectivement le Parti socialiste, que serait idéologiquement ce dernier ?

Vincent Tournier : Ce qui est sûr, c’est que le discours de Manuel Valls n’a pas suscité une approbation consensuelle. Ne tournons pas autour du pot : l’heure est difficile pour le PS. On a assisté ce week-end à quelque chose de très rare : le Premier ministre a été chahuté, désapprouvé, sifflé par des militants de son propre parti, malgré une rhétorique habile de sa part pour désamorcer les contestataires, par exemple en commençant son intervention par un hommage aux victimes de l’accident de Rosny-sous-Bois, ou en parlant du virus Ebola et des divers drames qui se produisent dans le monde. Malgré cela, les tensions ont été explicites.

C’est exactement le contraire de ce à quoi sont censées servir les universités d’été, qui sont conçues comme une grand-messe, une vitrine : ces universités sont d’abord des opérations de communication qui doivent permettre aux partis politiques de faire parler d’eux au moment de la rentrée, de se rappeler au bon souvenir de leurs électeurs, de montrer que tout le monde s’entend bien. Cette fois, c’est tout le plan com’ qui tombe par terre. Le PS a certes l’habitude de rendre publiques ses divisions internes, mais on est ici à un autre niveau : ce n’est plus seulement un antagonisme entre les diverses sensibilités : c’est un clash entre le parti et le gouvernement. Et ce clash porte, non pas sur un projet spécifique, ce qui pourrait se résoudre assez facilement, mais sur la ligne politique globale, ce qui est beaucoup plus dangereux pour les socialistes.

On a pu constater une certaine insistance sur des thèmes consensuels de gauche tout en martelant qu'il fallait réformer et ne pas rester cloîtré dans des "dogmatismes". A quels "dogmatismes" fait-il allusion ? Que déconstruit-il par là de l'idée traditionnelle du Parti socialiste ?

Le terme de "réforme" a une longue histoire à gauche. Longtemps, le réformisme a sonné comme une trahison : c’était accepter de se plier au capitalisme, au marché ; c’était abdiquer la cause révolutionnaire, la pureté de l’idéal socialiste. Depuis les années 1990, la réforme a gagné ses lettres de noblesse, y compris à gauche. Etre réformiste, c’est désormais être progressiste. Une grande partie des élites politiques, de gauche comme de droite, sont maintenant convaincues qu’il faut réformer l’Etat en France pour l’adapter à l’Europe et à la mondialisation.

La rhétorique vient habiller cette volonté : on va qualifier de dogmatisme toute proposition qui va dans l’autre sens, alors que les dogmes sont évidemment dans tous les camps (le mariage gay ou le droit de vote des étrangers sont aussi des dogmes). Aujourd’hui, le terme de réforme a une signification très claire : cela veut dire être contre l’étatisme, c’est considérer que les réglementations, le code du travail, bref l’Etat-providence, sont des machineries trop lourdes qui génèrent des effets pervers, notamment pour l’emploi. Il faut donc alléger tout ceci, ce qui permettra de relancer la compétitivité  des entreprises et d’attirer les capitaux. Toutes ces orientations sont certes parfaitement justifiables, mais le problème est qu’elles n’entrent pas facilement dans les grilles traditionnelles du socialisme.

On a pu également retenir l'évocation de "patriotisme économique", ou encore l'énumération des nombreuses embauches de fonctionnaires, comme les 60 000 de l'éducation nationale. De plus, Manuel Valls a démenti la rumeur selon laquelle il songeait à revenir sur le temps de travail des salariés. Sur le plan des finances publiques, peut-on établir que Manuel Valls et le socialisme qu'il incarne sont libéraux ?

Après son discours tonitruant devant le MEDEF, Manuel Valls se devait de donner quelques gages sur sa gauche. Mais remarquons tout de même qu’il n’a pas prononcé le mot socialiste, sauf lorsqu’il a lancé "j’aime les socialistes", ce qui est une formule ambigüe puisqu’elle laisse entendre que lui-même n’en est pas un. Le problème est que, même pour faire illusion, il n’est pas facile de dresser une liste des mesures gouvernementales vraiment estampillées à gauche, surtout après avoir annoncé le détricotage de la loi Duflot sur le logement, implicitement accusée de menacer l’industrie du bâtiment. La création de postes dans l’Education nationale, dont il faut rappeler qu’elle n’est encore qu’une promesse puisqu’elle doit s’étaler sur cinq ans, n’est qu’une annonce minimaliste. Comment se fait-il d’ailleurs que la seule mesure d’ampleur sur l’éducation concerne un aménagement des rythmes scolaires, projet dont le bien fondé n’est guère évident puisque la plupart des communes ne se précipitent pas pour l’appliquer ? Que devient la réflexion sur les inégalités sociales face à l’école, alors que l’OCDE a souligné récemment que celles-ci sont particulièrement marquées en France ?

Les mesures rappelées par Valls sonnent donc plutôt comme un cache-misère. L’appel au patriotisme des entreprises a même pour effet de souligner l’impuissance du pouvoir : en somme, on suggère aux entreprises de penser un peu à leur pays, mais qu’est-ce qui les oblige à le faire, surtout dans un contexte d’ouverture des frontières ?

La question des 35 heures est intéressante. On sait que c’est un marqueur fort entre la gauche et la droite puisque cette question renvoie à des conceptions différentes de l’économie, du travail, du sens de la vie. Or, il semble bien que le projet d’un assouplissement était effectivement dans les cartons du gouvernement, mais devant la fronde qui couvait, le Premier ministre a préféré temporiser. Mais pour combien de temps ?

Malgré le fait d'affirmer qu'il n'y a "ni virage, ni tournant", la justification de rendre compétitive les entreprises françaises apparaît nouvelle. Finalement, et d'après la synthèse de ce nouveau parti socialiste, à quelles évolutions notables ce dernier est-il idéologiquement confrontée ?

Lorsque Manuel Valls dit qu’il n’y a "ni virage, ni tournant", il n’a pas totalement tort. Avec lui, la ligne du gouvernement ne va pas beaucoup évoluer par rapport à son prédécesseur. La seule chose qui va probablement changer, c’est que les contreparties symboliques à gauche vont se faire plus rares, et que la politique économique va devenir plus explicite. La mise en avant d’Emmanuel Macron est un signe intéressant : celui qui était jusqu’à présent simple conseiller dans les coulisses accède désormais à la lumière. Cela dit, la déclaration d’amour pour les entreprises et les entrepreneurs ne fait qu’officialiser une orientation qui était déjà dans les faits.

Il reste que la difficulté est de faire avaler tout ceci par le Parti socialiste. Les militants ne sont pas habitués à une rhétorique aussi explicite sur l’entreprise et le marché. Le choc est d’autant plus grand que Manuel Valls représente la tendance droitière du PS et qu’il est très minoritaire. Rappelons en effet qu’il a obtenu moins de 6% des voix lors des primaires en 2011, contre 17% pour Arnaud Montebourg. Il pèse donc trois fois moins. Sauf que Manuel Valls est manifestement beaucoup plus en phase avec l’opinion publique. Mais c’est cela qui compte pour lui puisqu’on peut présumer qu’il cherche à se positionner pour 2017, ce qui l’oblige à se droitiser. Le risque est alors de perdre le soutien du parti et des parlementaires.

La déclaration, ce matin même, de Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS, qui a annoncé que le PS est "sans candidat" pour 2017 est une violente critique envoyée à la fois à François Hollande et à Manuel Valls, sous-entendu : aucun des deux ne doit se considérer comme un candidat naturel. Cette crise entre le PS et le pouvoir n’est pas en soi trop grave pour le gouvernement : les institutions de la Vème sont conçues pour que l’exécutif puisse être à l’abri des partis et des assemblées. Faut-il dès lors s’attendre à une implosion du PS ? Ce n’est pas impossible puisqu’il y a déjà eu des départs dans le passé, que ce soit les rocardiens en 1958 ou leschevènementistes en 1991. Mais ces scissions se sont produites dans des contextes particuliers, avec des événements qui obligeaient à faire des choix. La situation est aujourd’hui très différente puisque les principaux choix ont déjà été faits. Donc, ceux qui envisagent de partir devront expliquer aux électeurs pourquoi ils ne l’ont pas fait plus tôt, et pourquoi ils le font maintenant. De plus, à quoi bon quitter le parti si c’est pour créer un groupuscule sans avenir ? Le précédent de Chevènement mérite réflexion. Une autre conséquence possible de la crise est d’aller vers un blocage des projets du gouvernement au Parlement, mais les parlementaires vont-ilsprendre le risque de provoquer des élections anticipées qui ont toutes les chances de ramener la droite au pouvoir ?

Bref, le coup de force que tente Valls a de fortes chances de réussir, alors même qu’il est minoritaire, ce qui est paradoxal. Il sera certes critiqué sur sa gauche, mais la droite aura du mal à l’attaquer puisqu’il va appliquer des propositions que celle-ci approuve. Peut-être même aura-t-il la possibilité de débaucher quelques centristes qui lui serviront d’appoint. Bref, s’il joue bien, et si la crise ne s’aggrave pas trop, il peut se retrouver en position favorable dans deux ans.

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