Plus efficace que les banques ? Le Français fondateur de Lending club lance l’entrée en bourse aux Etats-Unis de sa start up de prêts entre particuliers<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux Etats-Unis, la start-up de prêts entre particuliers, Lending-Club, prépare son entrée en bourse.
Aux Etats-Unis, la start-up de prêts entre particuliers, Lending-Club, prépare son entrée en bourse.
©Reuters

Gare à l'usure

Avec une image très dégradée aux Etats-Unis, les emprunteurs évitent de passer par les canaux classiques de financement. Pourtant, si les prêts constatés sont effectivement moins élevés que dans les banques, les prêteurs peuvent également devenir des usuriers.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Jézabel  Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran, est économiste, maître de conférences à l'université de Paris-I-Sorbonne, membre associé à l'École d'économie de Paris et conseillère scientifique auprès du Conseil d’analyse économique. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages d'économie académiques et grand public. Elle a notamment écrit "L'économie pour toutes" avec Marianne Rubinstein et "Parlons banque" avec Christophe Nijdam. 

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Atlantico : Aux Etats-Unis, la start-up de prêts entre particuliers, Lending-Club, prépare son entrée en bourse et devrait lever 500 millions de $. Comment fonctionne exactement ce principe de prêts entre particuliers ?

Jézabel Couppey-Soubeyran : Ces plateformes de prêts entre particuliers ou "peer-to peer lending" permettent la mise en relation directe de prêteurs et d’emprunteurs. Les emprunteurs à la recherche de financement soumettent leur(s) projet(s) d’investissement et les prêteurs font leur choix parmi les projets présentés. Ces derniers ont à leur disposition quelques informations pour évaluer le risque du projet : outre la présentation du projet lui-même, l’historique d'emprunt et de remboursement de l’emprunteur, ainsi éventuellement que le taux proposé (c’est parfois au prêteur lui-même de le proposer). Le prêteur peut financer un projet dans son intégralité ou en partie, ou encore financer une petite part de plusieurs projets (en souscrivant à des tickets de quelques dizaines de dollars ou d’euros), ce qui permet de diversifier les risques. Les taux varient beaucoup, de 5% pour des projets français à plus de 25% pour des prêts dans des pays de l’Est de l’Europe, en passant par un peu plus de 8% pour le taux médian affiché par Lending Club aux Etats-Unis.

Frédéric Fréry : Le prêt entre particuliers est une des formes de ce qu'il est convenu d'appeler le crowdfunding, ou financement participatif, ou encore peer-to-peer bancaire. Le principe est très simple. Si vous avez besoin de 20 000 euros, plutôt que d'aller les demander à un banquier ou à un organisme de crédit, qui va évaluer votre niveau de risque, décider ou non de vous prêter, et à quel taux, vous vous inscrivez sur un site Internet, vous expliquer ce que vous voulez faire de ces 20 000 euros, et ce sont par exemple 1000 particuliers qui vont vous prêter chacun 20 euros, ce qui dilue le risque. Il existe des sites ce type depuis près de quinze ans, à l'image de prosper.com aux ou de zoppa.com en Grande Bretagne. On estime que le marché mondial du crowdfunding a représenté près de 3 milliards de dollars en 2012.

Existe-t-il des initiatives similaires en France ? 

Jézabel Couppey-Soubeyran : En France, il existe par exemple Unilend qui, sur le principe du peer-to-peer lending, fait se rencontrer des prêteurs et des emprunteurs. Les emprunteurs doivent être domiciliés en France métropolitaine, immatriculés au registre du commerce et des sociétés, et avoir clôturé au moins trois exercices comptables. Les prêteurs doivent être majeurs, domiciliés fiscalement en France métropolitaine, et effectuer un versement minimum de 100 euros. Il existe aussi des solutions approchantes, type Prêt d'union, qui communique sur la possibilité d’« emprunter moins cher sans les banques ! ». Si Prêt d’union n’est pas une banque au sens strict du terme parce qu’il ne gère pas de moyens de paiements et ne transforme pas des dépôts recouvrables à tout moment en crédits de long terme, c’est toutefois un établissement de crédit agréé auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). C’est donc … une banque, certes éloignée du modèle de la grande banque universelle puisque spécialisée dans le crédit mais aussi douée en marketing ! Le business model de Prêt d’union n’est d’ailleurs pas tout à fait celui du peer to peer lending car l'opérateur effectue lui même la sélection des emprunteurs et fait souscrire aux épargnants des parts de son actif sur le modèle d’un fonds commun de placement ou d’une SICAV.

Frédéric Fréry : Si les sites principaux sont anglo-saxons, il existe de nombreux acteurs français du crowdfunding, dont les plus connus sont anaxago.comwiseed.comulule.com ou kisskissbankbank.com. Tous ne sont pas dédiés au prêt entre particuliers. Certains permettent ainsi de financer des entreprises, soit par prêt, soit par prise de participation, à la manière d'un capital-risqueur. D'autres permettent de financer des projets artistiques (comme mymajorcompany.com) ou caritatifs (comme babyloan.org). Quoiqu'il en soit, la position de la France sur le marché du crowdfunding est loin d'être négligeable. Pour l'anecdote, on peut d'ailleurs souligner que Lending-Club, même si c'est un site américain, a été fondé en 2006 par un Français, Renault Laplanche.

Quels sont les avantages de ces systèmes de crédit alternatifs ?

Jézabel Couppey-Soubeyran : Ce système répond sans doute à un besoin pour les particuliers et les petites entreprises qui ressentent souvent une difficulté d’accès au marché du crédit traditionnel. Il est vrai que l’encours de crédits au bilan des banques correspond pour une très large part à des crédits immobiliers et non à des crédits finançant les projets investissement des entreprises, surtout pour les plus petites d’entre elles. Du côté des épargnants, échaudés par la crise bancaire et financière qui les a rendus défiants à l’égard des banques et des placements financiers traditionnels, ce dispositif donne sans doute l’impression de mieux maîtriser la destination de son épargne, lui redonnant une utilité sociale que la finance traditionnelle a perdue en se déconnectant de l’économie réelle.

Frédéric Fréry : Le principal avantage - si on peut considérer que c'en est un - est de se passer des banquiers. Cela permet de réduire les frais - et donc les taux - et d'offrir une solution de crédit à certains emprunteurs exclus des canaux classiques. Les taux des prêts constatés sur Lending Club sont ainsi inférieurs de 4 à 6 points à ce que réclamerait un organisme de crédit à la consommation classique. Par ailleurs, certains sites de crowdfunding surfent sur l'image très dégradée dont souffre la finance à l'heure actuelle, et affichent leur indépendance vis-à-vis des grandes institutions bancaires.

N'y a-t-il pas des risques néanmoins à participer à ce genre de système ?

Jézabel Couppey-Soubeyran : D’une part, il ne faut pas sous-estimer le risque de fraude, d’autant plus grand que la clientèle recourant à ce type de dispositif ne se limite évidemment pas à, d’un côté, de toutes petites entreprises innovantes qui ont un projet génial et s’estiment mal servies par le secteur bancaire et, de l’autre, des épargnants solides et bien avisés. Peuvent y recourir aussi des emprunteurs escrocs abusant de la crédulité de petits épargnants ou à l’inverse des prêteurs sans scrupule abusant de particuliers en proie au surendettement avec des taux proches de l’usure.

D’autre part, même en réduisant la discussion à des plateformes fiables et bien organisées, ce type de financement desintermedié bute exactement sur le même obstacle qu'un financement de marché : le prêteur en sait naturellement moins que l’emprunteur quant au risque du projet à financer. Il doit effectuer une sélection des projets, coûteuse ne serait-ce qu’en temps, pour identifier les projets rentables et les emprunteurs dignes de confiance. En théorie, les banques puisent d’ailleurs leur raison d’être dans le traitement de cette asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs.

Aujourd’hui, Internet et les réseaux sociaux permettent de diffuser largement et d'agréger l'information et la technologie informatique permet quant à elle de la traiter, la trier, la comparer. Reste néanmoins à disposer de l’information pertinente. C’est une condition indispensable au bon fonctionnement de ce genre de système. En France, il existe par exemple une banque de données financières (FIBEN – fichier bancaire des entreprises) administrée par la Banque de France et qui n’est accessible qu’aux banques. En ouvrant ces données (open data) à tous, nul doute que la desintermédiation des financements sous la forme du peer-to-peer lending pourrait largement progresser. Nul doute aussi que les lobbies bancaires et financiers sauront s’organiser pour empêcher une telle ouverture aussi bien qu’ils savent le faire quand il s’agit d’empêcher le progrès de la réglementation.

Sur la base de l’information disponible, en sélectionnant et en diversifiant au mieux les projets financés, le prêteur peut réduire le risque de défaut auquel il s’expose. Il n’en demeure pas moins que si le projet échoue, il perd une bonne partie de la somme prêtée (le remboursement s’effectuant toutefois au fur et à mesure par somme fixe mensuelle). C’est un placement qui n’est pas moins risqué qu’un placement financier traditionnel mais qui peut être plus rémunérateur qu’un produit d’épargne classique auprès d’une banque. Dans tous les cas, le rendement va de pair avec le risque ! Et le prêteur doit pouvoir assumer le risque pris. En cas de mauvais choix ou de prise de risque excessive, il n’y aura pas l’Etat pour venir à sa rescousse, ce qui nous éloigne il est vrai là encore des pratiques du secteur bancaire traditionnel (sic) !

Frédéric Fréry : Par définition, un taux d'intérêt mesure un risque : plus le taux est élevé, plus le risque l'est aussi. Si en tant que particulier vous devenez prêteur, il faut donc accepter un certain niveau de risque. Sur Lending Club, les taux d'intérêt versés par certains emprunteurs vont jusqu'à 30 %, ce qui implique un risque particulièrement élevé. Cela dit, l'avantage du système est qu'on prête généralement de petites sommes à chaque emprunteur. Par ailleurs, il faut savoir que certains sites ont établi des relations de partenariat avec des banques, qui leur servent de caution ou qui leur permettent d'utiliser leur agrément officiel. En France, Prêt d'Union est ainsi partenaire du Crédit Mutuel, Kiss Kiss Bank Bank de la Banque Postale et Wiseed de BNP Paribas. Enfin, début 2014, le gouvernement français a réglementé le crowdfunding, afin de contenir de possible dérives. Les sites peuvent ainsi prêter jusqu’à 1 million, chaque internaute étant limité à 1000 euros par projet. Cela a permis de créer le nouveau statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP).

D'un point de vue macro-économique, quels peuvent en être les effets ? 

Jézabel Couppey-Soubeyran : Pour le moment encore assez confidentielle, cette nouvelle forme de financement désintermédié pourrait, en prenant de l’ampleur, modifier l’architecture du financement de l’économie. Traditionnellement, quand un investissement nécessite un financement externe, on distingue en effet entre financement indirect (ou intermédié) et financement

direct (ou désintermédié ou "de marché"). La frontière est d’ailleurs devenue floue entre financements intermédiés et financements de marché, à mesure que les banques et les autres intermédiaires se sont faits de plus en plus présents sur les marchés de titres. Ainsi lorsqu’un titre est émis par une entreprise et acheté par une banque, c’est autant un financement de marché qu’un financement intermédié, un "financement de marché  intermédié" en quelque sorte. Ce qui se joue avec le peer-to-peer lending ou prêts entre particuliers, c’est une extension du financement direct, désintermédié en dehors des marchés de capitaux traditionnels.

Dans ce type de face à face, le principal risque à gérer, évoqué plus haut, est le risque de défaut des emprunteurs. Ce risque est supporté par les prêteurs et non par l’administrateur de la plateforme. A la différence d’une banque, ce dernier ne s’expose pas non plus à un risque d’illiquidité : il n’effectue pas de transformation et ne risque pas un "run" de ses créanciers. Son risque individuel est essentiellement un risque opérationnel qui pourrait survenir en cas de panne ou d’une attaque de hackers. 

Il serait toutefois hâtif d’y voir une plus grande source de stabilité financière et un moindre risque systémique. Ce nouveau mode de financement constitue ni plus ni moins qu’une source additionnelle d’endettement. Il n’a aucune raison d’échapper au cycle financier traditionnel porté dans sa phase ascendante par un excès de confiance qui mène droit aux crises financières et conduisant dans sa phase descendante à la dépression et à la déflation. La finance, sous toutes ses formes, reste un drôle d’animal dont il faut dompter les mouvements de rodéo.

Frédéric Fréry : On peut se demander si le crowdfunding ne constitue pas une menace pour la banque et les organismes de crédit. Pour le moment, le phénomène bénéficie d'une importante couverture médiatique, mais les volumes de prêts engagés restent très modestes par rapport à ceux que brassent les banques. Lending Club annonce ainsi qu'en huit ans, ce sont cinq milliard de dollars ont été prêtés par son intermédiaire. C'est impressionnant, mais ce n'est qu'à peine plus de deux fois le bénéfice de la Société Générale l'année dernière. Cela dit, ce qu'il faut regarder, c'est plus la progression du phénomène que son niveau absolu : on constate alors que les montants concernés par le crowdfunding au niveau mondial font plus que doubler tous les ans. A terme, les banques peuvent donc légitimement s'inquiéter, ce qui explique que certaines d'entre elles soient devenues partenaires des principaux sites. Plus largement, on peut aussi souligner que l'esprit du crowdfunding n'est pas très éloigné de la démarche mutualiste et coopérative qui a émergé à la fin du XIXe siècle - avec des acteurs tels que le Crédit Agricole ou Groupama - et qu'en un siècle, ce système n'a pas remplacé la finance classique.

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