L'UMP face au tandem Valls-Macron : piège idéologique ou pas ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Manuel Valls
Emmanuel Macron et Manuel Valls
©REUTERS/Christian Hartmann

Le jeu des différences

Le choix d'Emmanuel Macron, voulu de longue date par Manuel Valls au ministère de l'Economie, a confirmé le tournant libéral entamé par le gouvernement Valls I. Confrontée à certaines mesures qu'elle-même prônait par le passé, l'UMP doit réfléchir à la manière dont elle pourra se démarquer et ne pas donner plus de crédit à l'appellation "UMPS".

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Après le limogeage d'Arnaud Montebourg lundi 24 août, la nomination d'Emmanuel Macron, ancien banquier d'affaires, a surpris l'ensemble de la classe politique. Confirmant le virage libéral du gouvernement, peut-on parler d'un piège destiné à étouffer dans l'oeuf les revendications de la part du principal parti de l'opposition, en empiétant sur ses plates-bandes ? Cette nomination ne s'apparente-t-elle pas à un piège idéologique ?

Christophe de Voogd : Je ne crois pas que le rapport à la droite ait joué un rôle dans ces choix. Il s'agit d'abord d'une clarification à gauche, liée à la situation alarmante de l'économie, qui, si rien ne changeait, envoyait le pouvoir dans le mur. De plus, la crise de la gauche la met vraiment très peu en état de tendre des pièges idéologiques à la droite... Nous sommes plutôt dans un scénario de sauve-qui-peut ! Bien sûr -et François Hollande sait y faire - si cela provoque un petit trouble à droite, ce sera un bénéfice supplémentaire. Mais cela ne se produira pas pour une bonne raison : sur le fond, la distance entre la politique économique du gouvernement et le programme de la droite - ou ce que l'on en connaît - est encore immense. D'abord il faut rappeler que quasiment rien n'a encore été fait, sauf un peu de CICE. Le dit-on assez ? Le pacte de responsabilité n'est toujours pas en application ! Et les (modestes) économies budgétaires promises restent toujours à déterminer... Ensuite le gouvernement n'a toujours aucune intention de réduire le nombre de fonctionnaires, de couper dans les dépenses sociales ou de réformer le code du travail. Il y a un monde entre cette politique économique et sociale et celle que propose par exemple François Fillon qui est le plus avancé à droite dans l’élaboration de son programme économique.

Philippe Braud : Je ne pense pas du tout que le changement de gouvernement ait été inspiré par le souci de piéger l’opposition. Les raisons en sont plus profondes. En éliminant les détracteurs et frondeurs des responsabilités ministérielles, François Hollande et Manuel Valls ont eu d’abord la préoccupation de faire cesser la cacophonie gouvernementale et poser un acte d’autorité. La faiblesse du Président dans l’opinion publique doit beaucoup au fait qu’il paraît trop souvent louvoyer. Le risque politique est grand si l’on a les yeux fixés exclusivement sur les états d’âme des militants de gauche. Il l’est déjà moins au niveau de l’opinion publique, comme le montre l’accueil favorable dont bénéficie le nouveau ministre de l’économie, symbole même du virage que représente ce nouveau gouvernement. Il ne l’est plus du tout, bien au contraire, si l’on pense à nos partenaires européens, aux autorités de Bruxelles ainsi qu’aux marchés financiers dont l’humeur maussade peut aggraver considérablement le coût des emprunts de l’Etat. Tant que la France entend demeurer dans la monnaie unique et dans l’Union européenne, "l’autre politique" prônée par les frondeurs est tout simplement déraisonnable car la convergence économique et financière au sein de l’Europe est un impératif catégorique.

Un sondage Ifop pour le Journal du dimanche révèle que la troisième préoccupation des Français est la lutte contre la délinquance (53% des sondés) et la lutte contre l'immigration clandestine. Dans quelle mesure un positionnement fort sur ces questions de société, déjà très prisées à droite pourrait-il marquer la différenciation que la matière économique ne favorise pas vraiment ?

Philippe Braud : A tort ou à raison, la droite a plus de crédibilité en ce domaine que la gauche. Celle-ci est obligée de se situer sur une difficile ligne de crête pour éviter à la fois l’accusation de laxisme et celle de renier son âme. Mais actuellement, le balancier penche certainement dans le sens d’un durcissement législatif qu’appelle l’opinion publique en matière de lutte contre la criminalité. La gauche est en quelque sorte condamnée à se différencier de moins en moins de la droite sur ce terrain. Ce qui fragilise la ministre de la Justice.

Christophe de Voogd : La droite "classique" est en effet sur une ligne clairement différente sur ces sujets et tant que Christiane Taubira sera au gouvernement, l'opposition entre les deux camps sera totale. Mais encore une fois, les politiques économiques restent très divergentes : c'est la différence bien établie entre social-démocratie et libéralisme.

L’annonce en janvier du Pacte de responsabilité, incluant des subventions aux entreprises avait déjà perturbé l'UMP. Bruno le Maire avait même du avouer "qu'il en va de notre crédibilité [à l'UMP] de reconnaître que la suppression des cotisations familiales [taxe qui était payée par l'entreprise pour chacun de ses salariés] est une bonne idée dès lors qu'elle se trouvait dans notre projet". Ou encore la contradiction de l'appel à voter contre le volet d'économie tout en promettant d'en réaliser à hauteur de 130 milliards en cas d'alternance en avril. Quels sont les angles d'attaque qui restent à l'opposition en matière de politique économique ?

Alexandre Delaigue : Le gouvernement utilise la triangulation : adopter les idées de l'adversaire pour pousser celui-ci dans la radicalité afin de le rendre inéligible. Cela a bien fonctionné pour Clinton ou Blair. Les électeurs de gauche et centristes n'aiment pas la politique de leur gouvernement, mais détestent encore plus l'opposition si elle se radicalise. L'opposition a alors deux choix possibles. Se radicaliser pour galvaniser son électorat et compter sur une conjoncture difficile pour que les partisans du gouvernement, déjà peu motivés, n'aillent pas voter en nombre ; et ensuite, mener une politique plus centriste une fois au pouvoir. Ou alors, selon le théorème de l'électeur médian, adopter exactement le même positionnement économique, tout en annonçant faire mieux que le gouvernement (qui concentre les insatisfactions, étant confronté au réel) et choisir des sujets sociétaux différents des questions économiques (moeurs, immigration, sécurité...) pour motiver son électorat. De manière générale, cela pousse vers une radicalisation, au moins dans les programmes. Cela signifie la même chose, mais en plus marqué: plus de réductions de dépenses annoncées, par exemple. Mais très vite cela posera des problèmes : le principal électorat de la gauche est peut être constitué de fonctionnaires, mais les petits commerçants, professions "libérales", électorat de droite, sont la cible principale d'un programme de libéralisation de l'économie.

Philippe Braud : Effectivement la réorientation de la politique économique par le gouvernement Valls a pour effet induit de mettre l’opposition UMP en difficultés. François Fillon et son gouvernement ont amorcé ou souhaité mettre en œuvre des réformes que le gouvernement Valls s’apprête à reprendre à son compte, sous une forme à peine masquée. L’opposition ne serait pas l’opposition si elle approuvait purement et simplement les projets gouvernementaux. Son angle d’attaque le plus crédible sera d’une part (et avec quelque raison) de dénoncer le temps perdu, d’autre part de critiquer les timidités que les parlementaires de gauche imposeront à la volonté gouvernementale.

Christophe de Voogd : Je vous remercie de votre question qui permet de dissiper des confusions têtues dans le débat public : le pacte de responsabilité ne prévoit absolument aucune "subvention aux entreprises" ! Il allège seulement les cotisations et impôts que celles-ci versent. L'Etat ne donne donc rien, il prélève simplement moins... juste après avoir prélevé beaucoup plus ! Je n'entends d'ailleurs personne dire que les allègements fiscaux actuels sont des "subventions" aux ménages. Quant à la suppression des cotisations familiales, elle ne sera que partielle. Bruno Le Maire n'a donc nullement été troublé et n'a rien eu à "avouer" : il a agi en homme politique responsable... et habile, de plus, en mettant le gouvernement au défi de passer à l'acte. Attendons donc le budget pour connaître les contreparties du pacte en termes d'économies. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises...et de nos crises !

En quoi l’UMP se différencie-t-elle du gouvernement en matière économique ?

Philippe Braud : Le gouvernement Valls comme le gouvernement Fillon, hier, sont sur la même ligne. La France doit réduire les charges sur les entreprises pour améliorer leur compétitivité, et favoriser ainsi la croissance (laquelle est seule, à terme, pourvoyeuse d’emplois durables). Ils sont également d’accord pour ne pas diverger excessivement de la majorité de nos partenaires européens de la zone euro en matière budgétaire, ce qui implique de réduire la dépense publique pour ne pas avoir à augmenter la pression fiscale. Ce qui fait la différence, ce sont les soutiens respectifs de la gauche et de la droite. Le patronat demeure circonspect à l’égard de la gauche et attend des actes forts alors qu’il accorde a priori une meilleure confiance à l’opposition ; les syndicats sont hostiles à la droite et dans un certain embarras vis-à-vis de la gauche. Bref, l’accord sur les objectifs ne peut aboutir aux mêmes résultats parce que les leviers d’action sont différents.

Christophe de Voogd : C'est tout simplement la différence entre 50 (Valls), 100 milliards (Fillon) et 130 milliards (Copé) ! Mais cette différence de degré entraîne une différence de nature : alors que le pouvoir socialiste veut seulement économiser à la marge en espérant que la croissance revienne vite, la droite propose d’attaquer le socle dur des dépenses publiques. Loin de moi l’idée que Manuel Valls n’est pas sincère : c’est un vrai réformateur et il est fidèle à ses idées émises depuis des années ; bref un "social-libéral" (seulement en matière économique, il est vrai). Mais le problème est qu’il est sans doute le seul au gouvernement : coincé entre un président social-démocrate et une majorité socialiste il n’a tout simplement pas les moyens d’aller plus loin, car là se trouve la ligne rouge : s’il s'attaquait au "dur" du système public français (nombre des fonctionnaires, prestation sociales) il serait mis en minorité, vu la base électorale du PS. D’où ce que je considère comme une équation et une mission impossibles.

Alexandre Delaigue : On peine à distinguer dans ce domaine de grandes différences. C'est normal : les politiques sont déterminées largement par les contraintes réelles. Dès lors qu'on veut apparaître comme raisonnable (ce qui exclut sortie de l'euro, nationalisation générale de l'outil de production, ou autre idée aventureuse) on est vite limité par les contraintes européennes. Quand on regarde de près, les gouvernements français, au pouvoir, disent tous la même chose, à gauche comme à droite: une dévaluation de l'euro pour soutenir les exportations, et la promesse de réformes structurelles assez creuses. une hostilité générale à la mondialisation, la volonté de sauver les entreprises existantes au détriment de celles qui pourraient apparaître... La seule différence est l'attitude vis à vis de la dette publique. La droite tend en général à l'accroître au pouvoir, à coups de baisses d'impôts, pour contraindre la dépense publique une fois la gauche au pouvoir. La gauche par contre a tendance à lutter contre les déficits pour préserver l'état-providence. Ainsi, contrairement aux idées reçues, les déficits sont en moyenne plus faibles sous la gauche que sous la droite.

Ces différences font-elles vraiment écho aux Français ? Ou bien sont-elles, comme pour le CICE, construites autour d'arguments très techniques, évocatrices pour les spécialistes mais sourdes pour la plupart des électeurs ?

Philippe Braud : Les arguments dits techniques sont toujours largement incompris ou ignorés de la majeure partie de l’opinion publique (voire de bien des élus). Mais cette ignorance est encore aggravée lorsque manque une pédagogie élémentaire en matière économique. Or l’important n’est pas de savoir si l’on fait une politique de gauche ou une politique de droite, mais si l’on mène une politique efficace sur le terrain de la croissance, du chômage et du développement réel. La France est membre d’une Union européenne qui a fait, dès l’origine, le choix de l’économie de marché ; ce qui, sur un demi siècle, lui a fort bien réussi, ne l’oublions pas. Dans un tel contexte vouloir réintroduire le dirigisme dans un seul pays est assez absurde.

Christophe de Voogd : Tout cela n'a rien de "technique" : les Français n'ont hélas guère de culture économique mais, grâce à leur fond paysan et à l'ancienne école publique, ils savent compter : donc 100 milliards c'est le double de 50 milliards, indemniser des chômeurs 1 an au lieu de 2 ou 2 au lieu de 3, cela fait 1 an de dépenses en moins; et supprimer 1 poste de fonctionnaire sur 2 départs en retraite, ce n'est pas pareil que recruter 60 000 enseignants de plus...

Dans un contexte où les économistes mondiaux observent les effets de la politique d'austérité menée, et où des économistes libéraux (au sens américain) comme Paul Krugman, pourfendent la politique d'austérité en Europe, la reprise partielle de la ligne d'Arnaud Montebourg pourrait-elle s'avérer politiquement pertinente ? Quelle ligne économique l'UMP pourrait-elle trouver, qui permettrait de se démarquer sans oublier de se faire entendre par les Français ?

Philippe Braud : Paul Krugman se fait, depuis des années, l’interprète le plus vocal d’une critique des politiques d’austérité menées en Europe. Ses arguments sont puissants, même s’ils ont aussi pour effet de légitimer les déficits abyssaux des Etats-Unis (lesquels aux yeux de beaucoup d’économistes américains constituent une redoutable bombe à retardement pour l’ensemble de l’économie mondiale). Cependant Krugman préconise un fort infléchissement des politiques d’austérité pour l’ensemble des pays européens. Au sein de l’union monétaire euro, aucun pays ne peut faire cavalier seul. Le fait est que la majorité des gouvernements européens ne souhaite pas laisser filer les déficits ni mutualiser les dettes souveraines. Ce qui se comprend : allez demander aux Allemands de financer les déficits grecs ou italiens tant que la corruption et la gabegie de leurs dirigeants économiques et politiques ne sont pas réduites ? Les membres de l’Union européenne sont de vraies nations à la différence du Texas ou du Massachussetts ; la contrepartie est leur responsabilité dans la gestion de leurs dépenses publiques. Les pays de l’Union européenne doivent avancer du même pas, et ce n’est pas en élevant la voix quand on obtient soi-même, chez soi, de piètres résultats, que l’on risque d’être le mieux écouté.

Alexandre Delaigue : L'austérité budgétaire et l'absence de contestation des règles européennes, qu'on le veuille ou non, est la caution pour apparaître raisonnable, donc à même de gouverner. Avec un électorat vieillissant, se lancer dans les aventures ne garantit pas le succès économique. Les gouvernements ne se font pas élire pour appliquer un bon programme; ils choisissent le programme qui leur donnera la chance d'être éu. Se différencier sera maintenant difficile pour la droite sans apparaître comme exagérément radicale. En ce sens, la stratégie de Manuel Valls, si elle est peu efficace économiquement, n'est pas dans le contexte actuel électoralement absurde.

Christophe de Voogd : Ah, Saint Krugman ! Encore faut-il le lire... En keynésien cohérent qu'il est et que nous ne sommes pas, il rappelle que les déficits budgétaires sont justifiés seulement en temps de crise économique et condamne le laxisme budgétaire des 30 dernières années. Qui le dit ? Mais surtout il faut en finir avec ce mythe de "l'austérité" qui cache des calculs très politiciens. Les chiffres sont sans appel : la France n'a jamais eu autant de fonctionnaires et autant de dépenses publiques qu'en 2014: où est donc l'austérité ? A vrai dire, ce mot cache des choses bien différentes: austérité des dépenses ? Nous en sommes à mille lieues, nous l’avons vu : pire les dépenses de fonctionnement continuent d’augmenter rapidement et presque tout l’effort de maîtrise porte sur les dépenses d’investissement : le contraire de ce que préconisait Keynes ! Austérité des impôts ? Là, oui, nous y sommes bel et bien: les prélèvements obligatoires n'ont jamais été aussi hauts qu'en 2014. Austérité monétaire ? C'est de celle-là dont parle et que critique surtout Krugman ou Nicolas Goetzmann mais les mesures Draghi depuis 2 ans sont en train de changer la donne. Peut-on vraiment parler d’austérité monétaire quand le taux directeur de la BCE est à 0,25% c’est-à-dire en dessous de l’inflation ? Or j'observe que Montebourg et, plus encore les frondeurs, mélangent allègrement et à dessein ces différents types "d'austérité"... La raison en est simple et elle est purement politique: il faut à tout prix empêcher que l'on touche au secteur public, base électorale du parti. Bref, si la France connaît actuellement une austérité, c'est donc seulement l'austérité fiscale. Or c'est la plus contreproductive en période de crise !

Propos recueillis par Alexis Franco

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