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La crise creusera-t-elle 
le fossé de l'Atlantique ?
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Complotisme, dollar, etc.

La crise économique européenne ? Un complot orchestré par les États-Unis, selon Laurence Parisot. Faut-il voir dans ces propos la simple quête d'un bouc émissaire ou s'agit-il du retour de l'anti-américanisme ?

André Kaspi

André Kaspi

André Kaspi, est agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire des États-Unis. Il a été professeur d'histoire de l'Amérique du Nord à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de recherches d'histoire nord-américaine (CRHNA). Il a présidé notamment le comité pour l'histoire du CNRS.

 

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Atlantico : Peut-on interpréter les dernières déclarations de Laurence Parisot - dénonçant dans Le Figaro un complot américain contre l'Europe, dans le cadre de la crise économique - comme une résurgence d'anti-américanisme ? 

André Kaspi : L'anti-américanisme existe depuis que les États-Unis existent ! Au moment même où les colonies proclamaient leur indépendance, il y avait plusieurs auteurs français qui soutenaient que tout dégénérait sur le continent américain, qu'il ne pouvait pas y avoir des hommes importants, des animaux de taille normale, bref, il y avait déjà à ce moment là une forme d'anti-américanisme.

Celui-ci a évidemment beaucoup évolué. Il a traversé toute l'histoire des États-Unis et de la France. Cela fait partie des relations entre nos deux pays, mais avec des pointes et des creux, selon les moments historiques.

Précisons que si l'anti-américanisme est une spécificité française, il ne reste pas limité à la France. Si vous allez dans le monde arabe, vous trouverez un anti-américanisme encore plus violent et plus fort. Nous n'en n'avons pas le monopole.

Toutefois, l'anti-américanisme en France existe depuis très longtemps et n'a jamais complètement cessé d'exister, notamment à gauche et surtout à l'extrême-gauche. Interrogez par exemple Jean-Luc Mélenchon ou des militants du NPA, voire même certains membres du Parti socialiste et vous aurez des réponses qui seront de ce point de vue particulièrement significatives.

Vous pensez à quelles personnalités du Parti socialiste ?

Je pense par exemple à un ancien membre du PS passé depuis à l'UMP : Eric Besson. Il avait rédigé une brochure en 2007, en pleine campagne présidentielle alors qu'il était du côté de Ségolène Royal, où il accusait Nicolas Sarkozy d'être un néo-conservateur à l'américaine. C'est-à-dire d'être une sorte de réplique des néo-conservateurs américains. Cela dit, au sein du PS, c'est certainement moins fort qu'à l'extrême-gauche.

A droite, vous avez aussi une très forte hostilité aux États-Unis. Par exemple, chez Marine Le Pen qui considère que le phénomène de mondialisation correspond à l'arrivée des Américains dans le fonctionnement de la vie française en particulier et mondiale en général. Elle pense que c'est le capitalisme américain qui nous empêche de conserver notre indépendance et notre souveraineté. L'antiaméricanisme n'a donc jamais disparu.

Les dernières déclarations de Laurence Parisot s'inscrivent-elles, selon vous, dans un anti-américanisme ?

Laurence Parisot semble chercher à trouver une explication aux rumeurs qui ont circulé à propos des banques françaises. Elle ne dit pas que cela provient du gouvernement des États-Unis, elle ne dit pas que cela provient du peuple américain. Elle dit que cela provient de certains milieux américains – sans doute financiers et économiques – en prétendant que ceux-ci ont intérêt à détourner ce qui se passe chez eux du côté de l'Europe.

L'antiaméricanisme avait beaucoup reculé en France avec l'élection de Barack Obama. Tout simplement parce qu'il est sympathique, noir, jeune et démocrate : beaucoup de Français font l'équivalence entre démocrate et personne de gauche... Bref, il apparaissait un peu comme l'anti-Bush, comme un superman à la Maison Blanche. Selon moi, il ne faut pas donner à ces expressions d'hostilité à tel ou tel milieu américain une dimension plus importante que ce qu'elles sont.

Par ailleurs, il existe des rapprochements entre les deux pays. Il faut savoir que dans les milieux militaires américains, au Pentagone, on considérait jusqu'à très récemment qu'on ne pouvait pas compter sur les Français. Par exemple, il y avait une plaisanterie au temps de la Guerre du Golfe qui disait : « vous voyez, ça c'est un char français : il possède six vitesses, toutes en marche arrière... ». C'était le moment où l'on traitait les Français de singes mangeurs de fromage...

Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Les Américains reconnaissent que les Français ont eu un rôle actif et brillant en Libye. Ils applaudissent aussi l'intervention française dans la guerre en Afghanistan. Nous assistons donc plutôt à un rapprochement. Nous ne sommes plus dans de l'hostilité. C'est la même chose côté français : Nicolas Sarkozy passe pour le plus pro américain des Présidents de la République française. Il a l'image de l'homme qui a su rapprocher les deux pays, tout en conservant l'indépendance de notre nation. Donc, le retour de la France au sein du commandement intégré de l'OTAN, la participation à la guerre en Afghanistan, les liens que Nicolas Sarkozy maintient malgré tout avec Barack Obama tendent à montrer qu'il existe plutôt un recul de l'antiaméricanisme, même si de temps en temps il y a quelques tensions éruptives.

Le discours critique vis à vis des agences de notation fait-il partie de l'antiaméricanisme ?

Vous savez, les agences de notation sont elles-mêmes critiquées aux États-Unis : on leur reproche de ne pas avoir vu venir la crise de 2008. Il existe même une controverse sur le rôle de Standard and Poor's. Les agences de notation sont donc critiquées parce que ce sont des agences de notation. Pas parce qu'elles sont américaines. Parler d'antiaméricanisme en la matière ne me semble donc pas correspondre à la réalité. En tous cas, pour le moment.

Après, bien-sûr, si en 2012, à la place de Barack Obama, un conservateur très marqué est élu (Rick Perry, par exemple), peut-être retrouverons-nous le schéma qui existait sous George W. Bush. Ce serait alors un antiaméricanisme de gauche. Tant que Barack Obama est au pouvoir, je ne pense pas qu'il y ait une hostilité très forte à son endroit.

Vous semblez donc plutôt confiant : la crise économique ne devrait pas, selon vous, faire ressurgir l'anti-américanisme ?

Je pense que la réflexion sur la crise économique porte essentiellement sur le rôle que l'Europe veut jouer. Que l'Europe soit concurrente des États-Unis sur le plan économique, c'est une évidence : nous sommes les principaux partenaires des Américains (même si la Chine joue un rôle important) mais aussi leurs principaux concurrents. États-Unis et Europe entretiennent des liens étroits qui suscitent parfois des agacements de part et d'autre. Pendant cette crise, il devrait donc y avoir de temps en temps des tensions.  

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