2014, année zéro de la politique française : y a-t-il encore un parti qui sait unanimement ce qu’il pense dans l’avion France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les différences idéologiques entre les partis ne sont plus si importantes
Les différences idéologiques entre les partis ne sont plus si importantes
©REUTERS/Benoit Tessier

Complètement azimutés

Alors que le Parti socialiste donne de plus en plus l'impression de se scinder en deux grands courants et que face à la cohérence nouvelle du gouvernement Valls II la droite peine à se positionner, on peut le dire : aujourd'hui les lignes de partage partisanes traditionnelles sont dépassées.

Gil Delannoi

Gil Delannoi

Docteur d’Etat en 1982, Gil Delannoi est chercheur au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po, depuis 1982. 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Entre le départ d’Arnaud Montebourg du gouvernement, la fronde des députés socialistes et les tiraillements de la droite entre courants européistes et eurocritiques, la vie politique française a-t-elle déjà été à ce point atomisée en pôles de valeurs différents ? Le fait que certains courants tombent d’accord sur certains diagnostics d’une manière plus manifeste que par le passé est-il le révélateur d’une confusion ?

Christophe Bouillaud : Dans un pays à la longue histoire démocratique comme la France, nombreux sont les épisodes de recomposition des lignes de partage et de mobilité des hommes entre les camps en fonction des circonstances du moment. On pourrait citer un Victor Hugo, monarchiste en 1840, devenu une icône vivante de la République, dans les années 1870. On pourrait citer un François Mitterand de ses premières armes vichystes au PS d’Epinay en 1971 pour finir en "Président de tous les Français" en 1988. Dans le cas présent, il n’est pas étonnant que face au défi que constitue l’intégration complète de toute la politique économique et sociale de France dans un cadre normatif européen, il existe des critiques venant d’horizon divers, de droite comme de gauche. Certains comme Nicolas Dupont-Aignant critiquent l’ensemble de ce cadre normatif européen. Ils veulent aller vers une coopération entre nations souveraines. D’autres comme Arnaud Montebourg dans la tradition de l’internationalisme socialiste pensent qu’on pourrait et devrait changer l’orientation économique et sociale de ce cadre européen, mais qu’il faut un cadre normatif européen. Les clivages gauche/droite et fédéraliste/souverainiste s’entrecroisent, et les positions sur l’Union européenne ne sont qu’en apparence les mêmes : il ne faut pas confondre une critique de gauche et fédéraliste de l’Europe actuelle et une critique de droite et souverainiste, même si sur des cas concrets, elles semblent se rejoindre. Montebourg est parti sur un désaccord concernant la politique à mener face à Angela Merkel. Il voulait aller vers une discussion musclée pour modifier la politique européenne en général, un souverainiste comme N. Dupont-Aignant se contenterait volontiers d’une modification ne concernant que la France.

Gil Delannoi : On peut toujours trouver des rapprochements inattendus en politique. Ceci dit, les clivages qui étaient apparus sur le traité de Maastricht auraient sans doute disparu si tout allait bien aujourd’hui au sein de l’Union européenne. Il est tout à fait normal que les idées divergent et traversent les frontières politiques classiques. Ce à quoi nous avons assisté, c’est la perte d’autorité du président de la République, qui fait apparaître un bouillonnement et un « éclatement » des idées. Cependant ces dissensions existaient déjà, elles sont simplement apparues à la surface. Le cataclysme qui obligerait à revoir ses positions et à faire un choix radical, comme une crise de l’euro par exemple, n’étant pas arrivé, pour le moment tout pousse à une relative inaction.

De manière générale, malgré les différents courants qui les traversaient au vingtième siècle, les partis, comme le Parti communiste par exemple, n’avaient-ils pas une vision du monde plus claire et identifiable ? Face à la complexité du monde, souffrent-ils d’une absence d’idéologie ?

Christophe Bouillaud : C’est certain, il fut un temps où les grandes familles politiques françaises s’identifiaient facilement à une façon de penser. Un François Mauriac n’était pas un Louis Aragon. Cependant, il ne faut pas exagérer sur la perte de repères des uns et des autres. D’une part, il ne faut pas croire en effet que les dirigeants des partis ou tout au moins leurs militants  et leurs sympathisants n’aient plus aucune idéologie à faire valoir. Ces idéologies formées sur le temps long depuis le début du XIXème siècle dans un monde à l’évolution plus lente qu’aujourd’hui sont encore parmi nous. Dire par exemple que le mot même de "famille" ou le terme de "travail" évoque désormais  exactement les mêmes choses pour les électeurs de différentes orientations idéologiques serait absurde. Tout l’épisode de la "Manif pour tous" a été une démonstration en ce sens.

D’autre part, il n’est pas du tout certain que ces grilles de lecture idéologiques du monde  - libéralisme, socialisme, social-démocratie, etc. - soient  encore pleinement adaptées au monde contemporain. De fait, les partis comme les hommes politiques ou les intellectuels qui les inspirent ont beaucoup de mal à formuler des valeurs et des réponses, qui soient adaptées aux problèmes actuels, qui tiennent compte des acquis énormes des sciences et des sciences sociales, qui correspondent à ce qui est urgent ou ce qui ne l’est pas. Par ailleurs, tous les grands partis me semblent manquer d’un horizon à sa manière utopique, qui caractérisait dans le fond tout le monde dans les années 1950 (communistes comme gaullistes,  socialistes, ou démocrates-chrétiens). C’est peut-être un acquis, mais plus personne ne semble vouloir bâtir une société selon ses vœux, simplement tous les grands partis de gouvernement prétendent résoudre les maux de la société actuelle sans jamais réfléchir à une vision d’ensemble cohérente.  Cela se voit bien par exemple sur la question de l’allongement de la durée de la vie, qui n’est vue que sous le prisme réducteur du financement des retraites ou pire de la "dépendance".

Les louvoiements qui caractérisent la première moitié du quinquennat Hollande sont-ils la manifestation de cette incapacité à dégager une ligne politique claire ? Pourquoi les partis ne sont-ils toujours pas parvenus à pallier cette carence ?

Christophe Bouillaud : Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait eu tant de louvoiements que cela. Dès l’été 2012, Jean-Marc Ayrault confie à Louis Gallois un rapport sur la compétitivité de l’industrie française. Il en sortira dès l’automne 2012 toute une série de mesures en faveur des entreprises, dont le CICE financé partiellement par une hausse de la TVA (au 1er janvier 2014). Il est en fait clair dès le départ pour les observateurs attentifs que F. Hollande a choisi  le "socialisme de l’offre" et n’a aucune intention d’aller au conflit avec l’Allemagne sur les règles européennes. Par contre, F. Hollande n’a pas souhaité que les électeurs de gauche de mai 2012 comprennent immédiatement les choix pourtant faits, il a lancé un certain nombre de leurres, dont la célèbre taxe à 75%, bizarrement tellement mal conçue par le Ministre de l’époque qu’elle est annulée par le Conseil constitutionnel dans sa première mouture.

Cette volonté de dissimulation, au moins jusqu’en janvier 2014, tient au fait que pour se faire élire F. Hollande a dû faire semblant de se positionner comme un homme de gauche à l’ancienne ("Mon ennemi c’est la finance"). Il était difficile de virer immédiatement sur l’aile. Il fallait laisser le temps à l’opinion de gauche de comprendre la situation. Cette duplicité si l’on veut user de ce terme est le résultat direct de l’élection du Président au suffrage universel direct, il faut ratisser large et faire quelques promesses qu’on sait intenable à ses électeurs les plus extrémistes. La seule façon de revenir sur cette carence serait de passer à un régime de type allemand avec un scrutin proportionnel. Dans un tel cadre, les pieux mensonges sont un peu moins rentables, et on ne parle qu’aux électeurs qu’on sait pouvoir honnêtement convaincre et non pas leurrer pour les besoins de la cause. Les partis de gouvernement ne résoudront sans doute jamais cette carence, car le scrutin majoritaire est trop confortable pour eux.

Le nouveau gouvernement formé par Manuel Valls, qui se veut plus uni que le précédent, ne fait pas disparaître la réalité des frondeurs au Parlement. Ces derniers ont d’ailleurs bénéficié d’une certaine audience avec la défection d’Arnaud Montebourg. A terme l’éclatement du PS en deux grands blocs pourrait-il se faire ?

Christophe Bouillaud : En réalité l’éclatement du PS contemporain a déjà commencé en 2008 lorsque Jean-Luc Mélenchon a souhaité créer le "Parti de gauche" (PG) justement parce qu’il n’était plus d’accord avec la ligne économique et sociale suivie. Plus récemment, fin 2013, Pierre Larrouturou a quitté – de nouveau – le PS pour contribuer à la création de "Nouvelle Donne", un nouveau parti à la gauche de ce dernier, un parti qui insiste beaucoup sur le partage du travail, idée totalement oubliée par le PS depuis 2002. De fait, la gauche du PS, actuellement dirigée par un Emmanuel Maurrel, avec ces départs successifs de dirigeants et sans doute aussi plus discrètement de militants, se trouve structurellement minoritaire dans ce qui reste fondamentalement un parti d’élus locaux voués à la gestion au jour le jour des mairies, des conseils généraux, et des conseils régionaux.

L’opposition entre une ligne majoritaire d’adaptation "moderniste" à la réalité capitaliste du moment et une ligne "utopiste" d’inflexion des grandes tendances économiques et sociales en cours est de moins en moins facile à gérer. On ne peut pas à la fois vouloir imiter le camarade Gerhardt Schröder et ses lois Hartz et se référer sérieusement à l’histoire du socialisme depuis 1840. Les partisans des "réformes" au sens contemporain du terme, c’est-à-dire au sens du "consensus de Bruxelles", se sont récemment rassemblés autour du maire de Lyon, Gérard Collomb, qui s’affirme de plus en plus comme le grand élu local partisan d’une adaptation de sa métropole et de la France en général aux nécessités du capitalisme contemporain. Du point de vue de l’électorat, les forces issues de la gauche du PS n’ont pour l’instant que peu de prise sur les électeurs, en effet, les électeurs de gauche déçus du PS tendent plutôt à s’abstenir, mais le cas de Grenoble montre qu’un changement d’un rapport de force à terme n’est pas totalement impossible. C’est sans doute quand le PS sera revenu dans l’opposition que les positions se clarifieront. La manière dont il finira par y arriver comptera beaucoup. Ira-t-on jusqu’au terme du quinquennat ? Sera-t-on confronté à des législatives anticipées ? Et si oui, dans quelles conditions ?

Gil Delannoi : Institutionnellement, le gouvernement dispose de beaucoup de moyens pour maîtriser sa majorité parlementaire. Le président de la République disposant du droit de dissolution, il serait suicidaire de la part de gens guidés par leur intérêt à court terme d’aller jusqu’à une telle épreuve de force avec le gouvernement. Ceci dit l’impopularité sans précédent du président peut aiguiser les appétits de contestation non pas seulement à l’extérieur, mais à l’intérieur de son parti. Les stratégies sont multiples, elles peuvent consister à s’allier à Hollande pour prendre le dessus sur lui, ou au contraire à s’opposer ouvertement. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là de jeux très partisans, soit de carrière professionnelle, soit de positionnement idéologique. Compte tenu des institutions de la Ve république et des ambitions électorales de chacun, je reste sceptique sur la possibilité d’un éclatement du PS.

Face à une gauche tiraillée entre deux grands courants, n’est-il pas compliqué pour la droite de se positionner aujourd’hui ?

Christophe Bouillaud : C’est vrai que la droite et le centre – UMP et UDI-Modem – auront quelques difficultés à se différentier de la politique d’un gouvernement Valls II avec un Ministre de l’Economie comme Emmanuel Macron, qu’il semble bien difficile de soupçonner de gauchisme à ce qu’on croit comprendre des quelques formules cinglantes que des articles de presse lui prêtent. Pour reprendre l’exemple lyonnais, Gerard Collomb a réussi à étouffer la droite locale en se positionnant au centre-droit avec des alliances au sein de l’ancienne aire du Modem et en se liant avec le monde des entreprises. Au niveau national, la droite et le centre proposent le même genre de politique macroéconomique que les gouvernements Valls I et II : réduction des dépenses publiques, baisse des charges sur les entreprises, respect des critères européens de convergence, etc. Les effets récessifs de cette politique seraient sans doute similaires à ceux de celle actuellement menée, et personne à droite et au centre ne critique vraiment cette ligne "austéritaire". Par contre, en cas de campagne électorale dans les temps qui viennent, la droite et le centre peuvent fortement se différencier sur les réformes structurelles, en particulier en ce qui concerne le droit du travail. La droite sera sans doute amenée à proposer la suppression des 35 heures, et même une dérégulation totale de la durée du travail. De plus, sur les questions sociétales, la droite et le centre auront beau jeu de se poser en garant de la famille traditionnelle et de la loi et de l’ordre.

Gil Delannoi : Vous soulevez la question de la répartition de l’idéologie générale des forces politiques en France, qui ne se superpose pas du tout à notre système, qui est bipolaire, et non bipartisan comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. D’ailleurs les tentatives allant dans le sens d’un bipartisme en France n’ont jamais été un succès. C’est incompatible avec les deux tours de scrutin. On distingue aujourd’hui une droite plutôt centriste, peu critique à l’égard de l’UE, et une gauche qui lui correspond. Ceci apparaîtrait tout à fait au travers d’un référendum sur l’UE. Il est donc évident que la droite du PS et la gauche de la droite se retrouvent sur de nombreux sujets, mais cela ne peut pas transparaître au travers d’une élection présidentielle. De même qu’au deuxième tour de la présidentielle le FN n’ayant aucune chance, peu de bouleversements sont à attendre. Et aucun président arrivé au pouvoir n’aura l’envie d’instaurer la proportionnelle défavorable à sa majorité présidentielle (même quand il a fait des promesses en faveur de la proportionnelle !), surtout avec notre système de quinquennat.

La seule donnée vraiment inédite, c’est que l’ancien leader de la majorité Nicolas Sarkozy, et l’actuel Président de la République, sont particulièrement affaiblis. On peut supposer que la prime à l’ancienneté étant ce qu’elle est en France, 2017 pourrait voir s’affronter ces deux présidents, mais on peut aussi imaginer que compte tenu de la situation de blocage actuelle, deux nouvelles têtes pourraient émerger. Dans un cas comme dans l’autre, nous nous trouvons plus dans une logique de carrière personnelle et de relation entre une personnalité et l’opinion, que dans un bouleversement idéologique des clivages traditionnels de la politique française.

Si un bloc PS "à gauche" et un autre plus social-libéral devaient émerger distinctement, comment la droite proche du centre, menée pour le moment par Alain Juppé, serait-elle amenée à se positionner ? Les différences politiques avec le courant guidé par François Hollande et Manuels Valls seraient-elles si fondamentales ?

Christophe Bouillaud : Entre la droite et le centre et la majorité du PS actuellement au pouvoir, il resterait des différences : tout d’abord, la droite et le centre peuvent proposer des réformes structurelles du marché du travail, de l’Etat,  et de l’Etat social plus radicales encore que celles acceptables par cette majorité du PS (suppression des 35 heures, retraite à 67 ans ou plus, fin du fonctionnariat, déremboursement de tous les soins de santé non vitaux, etc.) ; ensuite, sur les questions sociétales, la défense de la famille traditionnelle et de tout ce qui va avec est une ligne de clivage possible ; enfin sur la loi et l’ordre, la droite et le centre peuvent sans doute se différentier sans trop de peine. De toute façon, ces questions de programme seraient anecdotiques en cas de législatives anticipées dans les prochains mois : avec le bilan actuel de F. Hollande et son niveau d’(im)popularité, il suffira à l’opposition de droite et du centre de se présenter comme le parti de ceux, capables de gouverner, qui vont débarrasser la France d’Hollande et de sa clique d’incompétents. Certains responsables de la droite ont déjà expliqué qu’ils refuseront toute cohabitation avec F. Hollande, ils ont raison, cela mobiliserait à plein leurs électeurs que de se voir promettre le départ de ce dernier.

Gil Delannoi : On sous-estime beaucoup l’impact de la réforme du quinquennat. L’élection présidentielle prend le pas sur ce qui relève du système d’alliances entre partis dans la plupart des démocraties, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Si le président en arrive malgré cela à dissoudre l’Assemblée nationale avant la fin de son mandant, la recomposition dont vous parlez n’est pas totalement impensable. Cela supposerait un changement d’habitudes, et tout de même de grands risques : si ce pôle central qui gouvernera la France était grignoté à sa gauche comme à sa droite, celui-ci pourrait s’affaiblir assez vite. Sans élections de l’Assemblée nationale au scrutin proportionnel et avec le maintien du quinquennat et de l’élection du président avant celle des députés, on ne voit pas comment ce changement pourrait avoir lieu. Mais la politique est pleine d’incertitudes.

La droite est elle-même divisée entre les partisans d’une politique de centre droit représentée par Alain Juppé et ceux d’une droite forte volontiers eurocritique à l’instar de Laurent Wauquiez, en passant par les libéraux qui ont trouvé en François Fillon leur nouveau leader. Face à des contradictions insurmontables, la logique de l’unité reste-t-elle forcément la plus forte ? La frange la plus droitière de l’UMP peut-elle par exemple s’entendre sur certains thèmes avec la gauche du PS dont fait partie Arnaud Montebourg ?

Christophe Bouillaud : Dans la situation actuelle, face à la victoire à portée de main en cas de législatives anticipées, les leaders de la droite et du centre ont intérêt à s’entendre. Je doute que la frange la plus droitière de l’UMP se rapproche d’A. Montebourg, ils se rapprocheront d’abord de ceux de leur camp qui sont déjà critiques de l’Union européenne, à savoir Nicolas Dupont-Aignant, ou éventuellement du Front national. Pour l’instant, la situation de la France n’est pas assez grave, comme entre 1914 et 1918 et  1940 et 1944, pour que des ennemis d’hier s’allient en oubliant d’anciennes querelles au nom de la sauvegarde de la Patrie en danger… On n’en est pas encore à un meeting commun à Marine Le Pen, N. Dupont-Aignant, A. Montebourg, et Jean-Luc Mélenchon… heureusement !

Gil Delannoi : Sur certains sujets on peut être idéologiquement plus proche d’un adversaire que d’un autre membre de son parti, mais c’est la logique électorale qui prime. Quand on est soumis à des contradictions insolubles, un détail peut tout faire changer. Soit c’est la paralysie qui l’emporte, comme c’est le cas aujourd’hui aux Etats-Unis entre démocrates et républicains, soit c’est l’éclatement sans limite. A cause de nos institutions, je ne suis pas certain qu’un simple remaniement gouvernemental et les positions de Montebourg suffisent à enclencher un éclatement total de la vie politique française.

Un éventuel retour de Nicolas Sarkozy, qui est censé s’exprimer au cours d’une interview d’ici une quinzaine de jours, pourrait-il rassembler la droite, ou au contraire provoquer son éclatement ? La figure du rassembleur reste-t-elle plus forte que les divergences idéologiques ?

Christophe Bouillaud : En l’espèce les divergences idéologiques comptent peu. Tout dépendra de la stratégie adoptée par N. Sarkozy : souhaitera-t-il s’inscrire dans le cadre des règles de l’UMP ? Acceptera-t-il de se soumettre à des primaires face aux autres candidats déjà connus ? Ou jouera-t-il le jeu solitaire du leader comptant sur son seul charisme personnel pour revenir dans le jeu politique ? Voudra-t-il créer son propre parti personnel ? Dans ce second cas, il provoquera un conflit entre personnalités de la droite sur cette stratégie, et il perdra la possibilité de jouer le rassembleur.

Les tiraillements actuels au sein des forces politiques sont-ils générateurs de confusions pour les électeurs ? L’offre politique est-elle devenue indéchiffrable ?

Christophe Bouillaud : Il me semble qu’on surestime largement la confusion dans l’esprit des électeurs. A en juger par les réponses aux sondages d’opinion, les choix électoraux sont cohérents avec le positionnement droite-gauche de chacun et avec les grandes options politiques proposées par chaque parti. Typiquement, les électeurs du FN sont très hostiles à l’immigration, et ceux des Verts beaucoup moins. De même l’acceptation du "mariage pour tous" est plus répandue dans l’électorat de gauche que de droite. Les électeurs savent plutôt bien ce qu’ils veulent, mais c’est notre mode de scrutin qui crée de la confusion. Le scrutin majoritaire à deux tours incite à la formation de deux grands partis, qui doivent regrouper des personnalités portant des idées divergentes sur certains points pour espérer être majoritaire. Un mode de scrutin proportionnel serait beaucoup plus à même de refléter les multiples clivages présents dans l’opinion publique. Ce n’est donc pas que l’offre politique soit indéchiffrable, c’est que le mode de scrutin empêche d’avoir la vérité des prix, de connaître la force réelle de chaque courant d’opinion. De plus, comme les gouvernements à cause du mode de scrutin s’appuient toujours sur des minorités électorales en termes d’électeurs inscrits, la France n’est jamais gouvernée par une coalition de partis formant une réelle majorité des électeurs, ce qui sans doute génère nécessairement de la déception.

Gil Delannoi : Aujourd’hui ce qui ressort surtout, c’est le manque de crédibilité du gouvernement à indiquer un programme et à l’appliquer. Par le passé les lignes politiques étaient plus identifiées, car la bipolarisation fonctionnait bien. Ceci dit, le monde et ses enjeux ont beaucoup changé : aujourd’hui le fait de prendre position en tant que citoyen sur l’existence de la zone euro et l’intérêt de la France par rapport à cette dernière est très différent des affrontements politiques du temps de François Mitterrand et Georges Marchais. Difficile, donc, de comparer des situations aussi différentes.

Reconnaissons qu’il est très compliqué aujourd’hui d’évaluer la part de sincérité et la part de jeu stratégique dans les prises de position des différents responsables politiques français. S’agit-il d’ambitions personnelles, ou effectivement de conflits majeurs sur ce que doit être la politique menée ? Pour le moment le clivage qui nous est présenté permet encore le doute, d’autant que celui-ci est extrêmement simpliste. Opposer l’austérité à la dépense est une vue de l’esprit restrictive. Les deux peuvent être positives, tout comme elles peuvent être négatives selon le contexte. En France nous plaquons sur cette opposition la logique droite-gauche, ce qui est très grossier lorsque l’on regarde les autres pays dirigés par des sociaux-démocrates, qui n’ont pas hésité à effectuer des cures d’austérité. Aux Etats-Unis, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la droite américaine a créé beaucoup de déficit. Il n’existe donc pas un « parti de la dépense » et un « parti de l’austérité ».

Vu de l’étranger, la France donne l’image d’un pays bloqué qui n’est pas capable de faire l’effort de se repenser sur des principes clairs, que ceux-ci soient de droite ou de gauche, sociaux-démocrates, de sociaux-libéraux ou simplement de libéraux.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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