Pourquoi cette gauche qui se demande s’il faut “s’excuser de l’être” ou qui voit en Macron une “provocation droitière” prouve surtout qu’elle est incapable de se vivre autrement qu’en victime<!-- --> | Atlantico.fr
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Le personnage de fiction de dessin animé Calimero.
Le personnage de fiction de dessin animé Calimero.
©DR

Calimero

La lettre ouverte de l'ex-ministre de la Culture et les critiques sur l'ancienne profession du ministre de l’Économie indique une tendance assez ancienne de la gauche française : vouloir à tout prix représenter le monde des victimes de la société... alors même que ses représentants sont issus des couches les plus aisées.

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Atlantico : Aurélie Filippetti dans sa lettre au Monde déclarait "faudrait-il que nous nous excusions d'être de gauche ?", "si nous ne sommes pas les porte-parole des sans-voix, qui le sera ?", tandis que la nomination d'Emmanuel Macron au ministère des Finances entraîne des procès en "authenticité" sur son engagement à gauche car issu du monde de la finance. Est-ce que la gauche socialiste française peine à se concevoir en dehors du prisme de l'exclu, de celui qui "subit" la société ?

Jean-Marc Daniel : Il y a un héritage historique qui est à la fois celui du marxisme et celui de Jean-Jacques Rousseau. Le pauvre, l'exclu, a non seulement des droits car il est victime de la société, mais il a aussi un rôle historique important. Le pauvre est chez Rousseau l'incarnation de la vertu, chez Marx il porte la société à venir dans le cadre de la lutte des classes. En France, ces héritages sont importants, et ont comme particularité, en outre, de n'être portés ni par des pauvres, ni par des exclus.

Il y a aussi en France, chez la gauche, une forme d'envie, d'agressivité à l'égard d'une société qui ne leur a pas donné ce qu'ils voulaient. Tout le monde peut potentiellement être M Macron, il suffit de passer des concours… Cette gauche a besoin de se persuader que la société est structurée de telle façon qu'il y a une injustice fondamentale qui explique l'existence des pauvres et des exclus.

La gauche se réclame des exclus (comme les "60% d'exclus" du géographe Christophe Guilluy), mais cette gauche est-elle encore connectée à la population dont elle se réclame ?

La gauche continue à parler des exclus mais elle a dû redéfinir le périmètre de la notion d'exclus. Après avoir beaucoup investi sur les travailleurs manuels et la classe ouvrière, elle a investi sur les sans-papiers, les immigrés. On retrouve d'ailleurs une certaine tradition historique comme quand Robespierre déclarait "les pauvres sont décevants." La découverte de son investissement auprès de gens qui n'étaient pas ce qu'il croyait conduisait à une sorte de schizophrénie et de déception. On voit bien que certains militants de gauche, ou de figure de premier plan comme Mme Filippetti, ont exactement le même profil que M Macron, appartenant à la couche la plus favorisée et la plus abritée de la population, sans contact avec les difficultés matérielles des personnes modestes.

Les propos proférés contre Emmanuel Macron, lui reprochant son parcours dans la banque et la finance, semblent témoigner d'une gauche qui s'attache plus aux moyens qu'aux résultats finaux. Mais sur quoi se basent ceux qui le critiquent ? Qu'est-ce qu'une manière "de gauche" de remplir des objectifs de progrès social ?

La gauche française n'a jamais accepté l'idée exprimée par Tony Blair qu'il n'existe pas de politique économique de gauche ou de droite – il y a seulement celles qui réussissent et celles qui échouent –, elle préfère penser qu'il n'existe que des objectifs de gauche ou de droite. Historiquement, au départ, la droite, ce sont les conservateurs qui veulent maintenir la société telle qu'elle est, et la gauche les progressistes, qui veulent la modifier. Or, la gauche est aujourd'hui plutôt du côté des conservateurs puisqu'elle cherche un certain statu quo. Mais elle habille cette situation de "progressisme" en considérant que les moyens utilisés sont progressistes. Elle prétend que dépenser est progressiste, que faire intervenir l'Etat est progressiste, que quelqu'un qui n'a pas été méritocratique est progressiste… Ce fétichisme des moyens cachent la réalité de son action qui est profondément conservatrice.

Malgré les protestations et les accusations, le nouveau gouvernement semble moins sur cette ligne déterministe (ceux l'étant ayant souvent demandé à ne justement pas participer au gouvernement). Est-ce que François Hollande et Manuel Valls n'auront pas au moins réussi à enclencher la fin de cet état d'esprit ?

L'histoire est en train de trancher. Les références marxistes ont échoué, n'amenant que l'inefficacité économique. Un certain nombre de mouvements de gauche ont fait leur aggiornamento et réformé leur approche. Ces partis qui ont abandonné la lutte des classes ont cependant du mal à définir ce que serait une gauche moderne. Tony Blair ou Gerhardt Schröder symbolisent cette mutation. Aussi bien chez les sociaux-démocrates du nord de l'Europe que dans le Parti démocrate américain, l'idée est que le progrès vient davantage de l'égalité des chances et de la possibilité de chacun d'exprimer son talent. On retrouve d'ailleurs l'esprit des libéraux du XVIIIe siècle, qui étaient des progressistes, en donnant à chacun la liberté d'agir plutôt que d'imposer une forme d'égalité artificielle. Le problème de l'exécutif actuel en France est qu'il manque ce qui a pu exister ailleurs – comme notamment au Royaume-Uni avec Anthony Giddens – c’est-à-dire de véritables intellectuels capables de produire une pensée accompagnant cette évolution...

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