Insécurité : "Il ne faut pas faire de prêt-à-porter idéologique"<!-- --> | Atlantico.fr
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Claude Géant et le préfet Alain Gardère (à droite), nouveau Délégué à la sécurité et à la défense pour les Bouches-du-Rhône.
Claude Géant et le préfet Alain Gardère (à droite), nouveau Délégué à la sécurité et à la défense pour les Bouches-du-Rhône.
©Reuters

To chiffre or not to chiffre

Claude Guéant et Martine Aubry se sont affrontés lundi à Marseille sur le thème de la sécurité. Ce combat à distance reflète l'enjeu médiatique majeur des questions de sécurité. Pour Alain Bauer, la cause dépasse pourtant la bataille des chiffres et des petites phrases.

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Atlantico : Quel œil portez-vous sur le bilan sécuritaire de Nicolas Sarkozy depuis 2002 ?

Alain Bauer : Le bilan de Nicolas Sarkozy est contrasté. Comme toujours, il y a eu plusieurs phases. La première phase après 2002 a été marquée par un réinvestissement policier sur la criminalité de prédation, et sur l’efficacité, l’élucidation. Pendant son deuxième passage à l’intérieur, Sarkozy était entièrement concentré sur la question présidentielle.

Les statistiques criminelles ont relativement peu de lien avec les alternances politiques. Les cycles que nous constatons sont des cycles longs. Pour les atteintes aux biens, la baisse a commencé à la fin des années 1990, pour les atteintes aux personnes les augmentations ont commencé au milieu des années 1990. Il n’y a qu’un élément qui correspond à peu près à la période Sarkozy, c’est l’augmentation de l’efficacité policière, ce que l’on appelle le taux d’élucidation. L’identification, l’interpellation et le déferrement (tout ce qui relève de l’efficacité réelle des services de police), après une très importante chute au milieu des années 90, ont connu une très forte progression durant la période Sarkozy. S’il y a un indicateur à peu près stable et intelligible, c’est celui-ci.  

La nomination d’un nouveau préfet à Marseille est-elle un aveu d’impuissance ?

La politique ne fait pas tout. Je crois à la dimension humaine de l’action policière. La police est une industrie de main d’œuvre, qui est faite d’hommes. D’ailleurs les médias ne sont pas les derniers à souligner l’action personnelle et individuelle des grands flics qui ont marqué leur époque, comme le commissaire Broussard. Au vu des chiffres posés par le journal « Le Monde » hier, on est plus sur le symbole et le spectaculaire du fait divers que sur de mauvais résultats globaux du prédécesseur de M. Gardère.

Je pense d’ailleurs que la nomination d’un policier spécialisée en la matière pour s’occuper de la sécurité publique est une bonne chose. Les policiers sont certes multitâches mais ils sont marqués par leur formation initiale.

Dans quelle mesure l’intervention de Claude Guéant a-t-elle été dictée par la médiatisation des faits divers de cet été à Marseille ?

Il n’y a pas un sujet où l’actualité des médias ne dicte pas l’action des politiques. Partout Il y a une problématique du fait divers qui occulte les perspectives générales. Par exemple, l’année du massacre dans le lycée de Columbine a été l’année avec le moins de criminalité dans le système scolaire américain. Les medias donnaient pourtant l’impression que l’on ne pouvait plus aller dans un lycée sans mettre un gilet par balle.

Le système médiatique et politique à une forte tendance à surexposer les faits divers ce qui amène à ce que l’on soit toujours en attente d’une réaction ministérielle.

La situation n’est pas nouvelle à Marseille. Il y a des règlements de compte depuis presque un siècle, depuis Carbone et Spirito. Il y en a en moyenne entre vingt et trente par an. Il y a eu aussi une gigantesque guerre des machines à sous qui a fait plus d’une centaine de morts dans les années 90. Il y a même actuellement deux guerres de succession et une guerre de position dans les anciennes organisations criminelles marseillaises. Le symbole du parking racketté était un signal qui a surpassé les politiques à cause de sa médiatisation. Les responsables politiques s’adaptent aux dures réalités de la communication.

Comment expliquer la bataille des chiffres que mènent Claude Géant et Martine Aubry ? Les chiffres sont-ils toujours de bons indicateurs ?

La controverse politique en période de campagne est naturelle. Le problème des statistiques, comme celui des effectifs, c’est que le « chiffre unique » amène souvent à prendre des positions étranges. Par exemple, si l’on explique qu’il y a trop de CRS et de gardes mobiles et que l’on réduit leur nombre, cela n’aura aucun effet sur l’efficacité de la police de terrain. C’est une police de maintien de l’ordre et de manifestation. La police de proximité est une formidable idée mais elle n’est pas faite pour réagir à des émeutes. Nous l’avons d’ailleurs vu pendant les évenements récents à Londres. Les chiffres ne font pas tout, il faut regarder ce qu’il y a derrière.

Derrière la simplification outrancière de la controverse politique, il faut aussi laisser un peu d’espace à l’analyse de la demande en termes de mission, territoire et organisation. L’amélioration de la sécurité, cela serait de passer du prêt-à-porter idéologique au sur-mesure pratique. Il y a un certain nombre d’éléments pragmatiques qui modifient structurellement les choses. Avec le même nombre de policiers, on ne peut pas faire la même chose, suivant qu’ils font 35 ou 39 heures.

La politique de rigueur est-elle incompatible avec une politique efficace de sécurité ?

Une révision générale des politiques publiques (RGPP) est parfaitement compatible avec une politique sécuritaire efficace. Je trouve absolument normal que cela soit le seul service public sur lequel le citoyen contribuable n’ait aucun droit de regard. Il y a, en la matière, des enjeux très importants et donc, au vu de ce que coûte la sécurité publique, il est parfaitement naturel qu’elle soit évaluée en termes de politique de résultat et pas en termes de politique du chiffre. Ceci étant dit, il faut dire que la RGPP a atteint ses objectifs dans la police. Il est largement temps d’y mettre fin, le débat ne devrait pas porter sur le nombre des effectifs mais sur leur répartition, il en faut plus dans la rue et moins dans les bureaux.

Risque-t-on de tomber dans une certaine naïveté de la politique sécuritaire, comme le confessait déjà Lionel Jospin en 2002 ?

Lionel Jospin pensait que l’amélioration des conditions de vie avait un effet mécanique positif sur l’évolution de la criminalité. Cela me parait tout à fait illusoire. Les Etats-Unis connaissent leur plus grande crise économique et sociale et la criminalité baisse. En période de croissance économique, sous Lionel Jospin, la criminalité avait fortement augmenté. Il faut se méfier des aprioris et des préjugés.

Une politique naïve ne s’appuie pas sur les faits et n’utilise pas les outils statistiques intelligemment. Il faut une politique pragmatique, sur mesure, qui prenne en compte la réalité. Nous devons sortir du chiffre unique et accepter la complexité du sujet.  Par exemple, dans l’augmentation des atteintes aux personnes, l’intrafamilial tient une place importante. Cela ne se règle pas avec des policiers mais avec des politiques sociales et éducatives au sein des familles. Une fois que l’on commence à comprendre la complexité et la diversité des affaires criminelles, on peut les traiter. Imaginer que les affaires criminelles vont s’adapter à la bureaucratie administrative des uns ou à l’idéologie des autres n’a aucun sens.

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