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Frontières conflictuelles : quand le mur entre les deux Corées attise les tensions
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Bonnes feuilles

De la Grande muraille de Chine au "Mur de Bush" séparant les Etats-Unis et le Mexique, Claude Quétel propose dans son livre "Histoire des Murs" (Perrin) un passionnant tour d'horizon des murs à travers les âges et les civilisations. (1/2)

Les bonnes barrières, dit-on, font de bons voisins lorsqu’elles procèdent d’une volonté commune. Cela peut valoir d’un champ à l’autre, d’un jardin à l’autre, mais jamais d’un Etat à l’autre. Une frontière fortifiée ne fait évidemment pas de bons Etats voisins – c’est justement parce que deux Etats n’étaient pas de bons voisins qu’on en est arrivé la. Le seul fait qu’une barrière physique ait été édifiée sur une frontière, toujours dans un contexte de tension permanente, voire de guerre, prouve que ladite frontière n’est pas reconnue par tous (en réalité, moins de 3 % des frontières dans le monde sont durablement concernées par « les murs »). Le plus souvent, le mur ainsi édifié a été décidé unilatéralement, par l’un des deux Etats, l’un des deux camps – le fort contre le faible. Dans le cas de la Corée, il en va différemment.

Ce n’est pas un camp qui s’impose à l’autre, mais une ligne d’armistice qui s’impose aux deux camps. Le mur des deux Corée, type même de la frontière conflictuelle, fait en outre figure de doyen. Il a en effet pour parenté avec le mur de Berlin (et avant lui) d’être un enfant de la guerre froide. La guerre de Corée demeure curieusement oubliée, alors qu’elle a mis le monde au bord d’une troisième guerre mondiale. La Corée a été partagée en deux Etats le long du 38e parallèle en 1945. La Corée du Nord est soutenue par les Soviétiques et la Corée du Sud par les Américains. Bien entendu, chaque moitié prétend réunifier la péninsule à son compte. Le 28 juin 1950, les troupes nord-coréennes franchissent le 38e parallèle. C’est le début d’une guerre (décidée dans des circonstances exceptionnelles par l’ONU – et ce sera la seule fois) qui va durer jusqu’en 1953, voir la Chine populaire intervenir et le président Truman évoquer de façon a peine voilée la possibilité de faire usage de l’arme atomique. Côté occidental, quinze pays – dont la France – menés par les Etats-Unis participent à cette véritable croisade contre le communisme.

Le bilan est effarant : un million de civils tués des deux côtés ainsi que 600 000 soldats (Coréens du Nord et Chinois pour une très forte majorité) – et cela sans compter les disparus et les blessés. Un peu plus de deux millions de morts au total. Un armistice est signé le 27 juillet 1953 à Panmunjom, qui prévoit notamment la fixation d’une ligne de démarcation sur la base de la ligne de front où se sont arrêtés les combats – et d’ailleurs d’où ils étaient partis, c’est-à-dire le 38e parallèle. Diplomatiquement et juridiquement, on en est toujours la aujourd’hui : un armistice n’est pas un traité de paix. De jure, les deux pays sont toujours en état de guerre. Quant a la réunification de la Corée, elle reste à l’ordre du jour, prouvant ainsi que la guerre froide n’a pas encore pris fin au « pays du matin calme ».

Depuis 1953 donc, la Corée est coupée en deux par une frontière fortifiée de 238 kilomètres allant de la mer Jaune à la mer du Japon. Au nord, la République populaire démocratique de Corée (24,5 millions d’habitants), au sud, la République de Corée (48,7 millions d’habitants). Entre les deux, la DMZ (Demilitarized Zone) qui porte mal son nom car elle est loin d’être démilitarisée. C’est un no man’s land de 4 kilomètres de large (2 pris sur le Nord et 2 sur le Sud), fermé par un double mur de 2 a 3 mètres de haut fait de panneaux de béton ou de grillages, surélevé d’une haute frise de fils barbelés. C’est la frontière la plus large et la plus hermétique du monde. Au sud, répartis sur 131 postes de garde jalonnant les classiques postes d’observation, 400 000 soldats sont stationnés en permanence – soit 60 % des effectifs totaux de l’armée de la Corée du Sud, auxquels il convient d’ajouter ceux, en retrait, de l’armée américaine, toujours la (30 000 hommes). Au nord, 337 postes de garde, soit 700 000 soldats, veillent à la frontière, avec 8 000 pièces d’artillerie et 2 000 chars.

La surveillance est extrême, preuve de l’état de guerre entre les deux pays : projecteurs de nuit, patrouilles maritimes a l’aplomb de la DMZ, approches de la zone truffées de camps militaires, sévèrement contrôlées et soumises a un couvre-feu, défenses antichar… A l’intérieur même du no man’s land, des mines antipersonnel sont posées et des patrouilles de la Corée du Nord et de la Corée du Sud spécialement entraînées y circulent la nuit, non sans provoquer des accrochages causant morts et blessés.

Longtemps une guerre de propagande s’est déroulée par haut-parleurs par-dessus les barbelés. Du Nord, c’étaient les interminables discours du « président éternel » Kim Il-sung et des appels à déserter. Du Sud parvenaient en réplique des statistiques sur la production et la consommation de la Corée du Sud. Aujourd’hui, il apparaît désormais aux yeux du monde entier que la Corée du Nord est devenue le « Jurassic Park » du communisme.

Pour la première fois dans l’histoire du monde, une dynastie communiste dirige le pays : Kim Il-sung et, depuis 1972, son fils Kim Jong-il. Le pays vit sous la terreur et dans l’endoctrinement permanent (les enfants des écoles chantent aujourd’hui encore l’appel au meurtre des monstres américains). L’économie du pays est exsangue et les habitants ne survivent que grâce à l’aide internationale, sans éviter des périodes de famine ou les gens meurent dans les rues. Le pays manque de tout, sauf de militaires. Vue de satellite la nuit, la Corée du Nord est un pays éteint. Seule la statue géante de Kim Il-sung est toujours éclairée. En comparaison de la Corée du Nord, la RDA ferait presque figure de paradis !

Dans un tel contexte, toutes les communications avec le voisin honni du Sud sont coupées. Il a fallu attendre 2007 pour qu’un train franchisse l’unique pont ferroviaire, a Imjingak. On l’appelle « pont de la liberté » parce que c’est par la qu’en 1953, 13 000 soldats de l’ONU prisonniers furent rapatriés. Mais le « pont de la liberté » a pris aujourd’hui un autre sens. Sur des grillages, aux approches de la DMZ, des messages appellent à la réunification du pays. On vient se faire photographier a l’entrée du pont. C’est que le mur des deux Corée, côté sud bien sur, est devenu un lieu de tourisme très fréquenté. Les Coréens du Sud veulent contempler le paysage de l’autre côté du mur. Ils veulent aussi y aller car c’est en Corée du Nord que se trouvent les monts sacrés du Kumgang. Un tour operator a réussi l’exploit d’y organiser un circuit touristique de trois jours, sévèrement encadré. Tout contact entre les pèlerins et la population est rigoureusement interdit. Quant au voyagiste sud-coréen, avec 12 000 touristes par mois a 700 dollars US par tête, c’est sans problème qu’il peut s’acquitter auprès du régime de Pyongyang du péage de 1 million de dollars par mois.

Le lieu ou a été signé l’armistice, Panmunjom, est également devenu une destination touristique : 100 000 Coréens du Sud et tout de même 9 000 Coréens du Nord s’y rendent chaque année – sauf que Panmunjom est situé au beau milieu de la DMZ… L’endroit a reçu en conséquence un statut particulier : Joint Security Area (JSA), conjointement gardé par des soldats des deux pays se regardant en chiens de faïence de part et d’autre de la ligne de démarcation qui ne les sépare que de quelques mètres. L’atmosphère est tendue. Interdiction est faite aux touristes de tout geste qui pourrait être interprété comme hostile.

Il se passe décidément de drôles de choses dans le DMZ. Tout prés de la JSA de Panmunjom, les habitants du village de Taesong-dong refusèrent de quitter leurs maisons âpres l’armistice. Soutenu par la Corée du Sud et symbole de la résistance face à la Corée du Nord, il est appelé « village de la paix ». Les communistes ont répliqué en construisant tout prés un village fantôme, Kijung-dong, lui aussi baptisé « village de la paix ». Le mât du village de la paix (pas si bien nommé que cela) se dressait à 100 mètres de hauteur en arborant le pavillon du Sud. Alors, à Kijung-dong, les communistes ont hissé leur propre drapeau au mât le plus haut du monde (160 mètres). Hors de ces gesticulations, la DMZ est devenue, âpres plus d’un demi-siècle, grâce a un retour de la végétation a l’état sauvage, un sanctuaire d’espèces animales menacées. Une partie de la faune coréenne s’est réfugiée là.

L’hiver, c’est aussi une étape de migration ou viennent se poser hérons, grues et aigrettes blanches venus du Nord de la Chine et de la Sibérie. Ces animaux sont d’autant plus tranquilles dans le no man’s land que personne ne se risquerait à y tirer un coup de feu. A quelques dizaines de mètres de la barrière sud de la DMZ, quatre tunnels aux dimensions importantes ont été découverts. Ils avaient été percés depuis les années 1970 par l’armée nord-coréenne pour prendre à revers la ligne de défense sud-coréenne en cas de conflit. Il y en a surement d’autres. Apres un mouvement d’indignation en Corée du Sud, trois d’entre eux sont devenus des destinations touristiques. Il n’empêche que la Corée du Nord – à commencer par les discours belliqueux de son dictateur – reste menaçante. Un début de dialogue semblait pourtant devoir s’instaurer âpres la fin de la guerre froide en Europe.

Le 13 décembre 1991, un accord de réconciliation, de non agression, d’échanges, de coopération et de reconnaissance réciproque était signé et suivi d’autres déclarations et sommets intercoréens. On assistait en même temps à un début de rétablissement des liaisons routières, ferroviaires et maritimes. Il y eut même en 2006 un festival pour la réunification de la nation. Pour être en Corée du Sud, la ville choisie n’en convenait pas moins à la Corée du Nord puisqu’il s’agissait de Gwangju, entrée dans l’Histoire depuis son soulèvement sanglant en mai 1980 contre le dictateur militaire Chun-Doo-hwan (en fait un soulèvement démocratique et non procommuniste).

Toutefois, de graves affrontements en 1999 et en 2002 entre les marines de guerre des deux pays ont eu tôt fait de montrer que le rapprochement était de façade, et il est d’ailleurs suspendu aujourd’hui. Pis, dans le même temps, la Corée du Nord, qui s’est obstinée à se doter de l’arme nucléaire en dépit de sa détresse économique, s’est retrouvée au rang des « Etats voyous » (l’« axe du Mal » des Américains). Or la sécurité de la Corée du Sud, comme autrefois, ne tient que grâce a l’alliance américaine. Enfin, la différence de richesse est telle entre les deux pays (l’IDH de la Corée du Sud est excellent) que les Coréens du Sud, au-delà du vœu pieux d’une réunification, sont peu soucieux de devoir un jour « digérer » leur voisin du Nord. La note à payer serait infiniment plus lourde que celle de la réunification de l’Allemagne.

Il semble donc que le mur des deux Corée ne soit pas encore prés de disparaître, mais il est vrai qu’on en disait autant du mur de Berlin la veille encore de sa chute. Mille quatre cents Coréens du Nord ont été tués depuis 1953 en tentant de le franchir. Ceux qui veulent fuir le régime, pour ne pas dire la folie de Kim Jong-ils essaient plutôt de passer en Chine, qui compte 1 412 kilomètres de frontière commune avec la Corée du Nord. Des dizaines de milliers de Nord-Coréens sont passés illégalement en Chine ces dernières années, en transitant par la grande ville frontalière chinoise de Dandong. Les autorités chinoises reconduisent systématiquement à la frontière les immigrants clandestins quand ils sont repris.

La Chine a installé en outre un mur d’une autre espèce : un mur anti-immigration. Il s’étend sur une dizaine de kilomètres, la ou s’effectuent la plupart des passages clandestins, le long de la rivière Yalu qui délimite la frontière entre les deux pays. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’Histoire quand on sait que c’est la que se terminait, a l’est, la Grande Muraille. Quant a la Corée du Nord, elle a surenchéri en construisant son propre mur avec des caméras de surveillance, parallèlement au mur chinois. A la différence du mur de Berlin ou il n’était interdit que de sortir, il est ici tout autant interdit d’entrer.

Extraits de "Histoire des murs" de Claude Quétel publié aux éditions Perrin (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici

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