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Théorie sur le futur : le vin, cœur battant du monde de demain
©Reuters

Bonnes feuilles

Pour mieux appréhender le futur, les mythes, anciens comme contemporains, permettent à chacun de tenter des hypothèses sur l’inconnu et peut-être de se construire son propre récit du futur. C'est en tout cas le parti pris par Christian Gatard dans son livre "Mythologies du futur" (L'Archipel). Dans cette enquête planétaire, subjective et décalée, sur la façon dont la culture populaire et la culture savante s’emparent du thème du futur, l’auteur invite le lecteur à se fabriquer sa propre feuille de route du futur. (1/2)

Quand ma femme est rentrée, après notre dîner de Ligueurs, elle a médité quelques instants sur les cadavres de bouteilles de vin qui avaient accompagné nos agapes. Nous avions sans doute cherché à nous réconcilier avec les choses de l’esprit, disait son regard amusé, mais étions-nous dupes ? Le vin et l’ivresse sont les créatures chéries de Dionysos, qui est le dieu des délires mystiques mais aussi le roi des carnages culturels. Elle et lui surplombaient de leurs regards tendres et ironiques notre rêve pacifique. Il ne faut donc pas se faire trop d’illusions. Le vin est comme notre monde : à la croisée de chemins.

Son pedigree mythologique est irréprochable. Il a toujours été un symbole de connaissance et d’initiation (1). Le vin était, pour les Anciens, le moyen d’abaissement de la conscience nécessaire à la révélation des secrets de la nature. Il permettait à l’initié des rites antiques de s’abandonner à sa nature animale pour en éprouver le pouvoir fécondant et la plénitude. Les forces en jeu étaient ici centripètes : une concentration intense des efforts pour pénétrer les secrets de sa propre nature, dont on comprenait enfin qu’elle est la nature du monde. L’essence de cette révélation était symboliquement représentée par un accomplissement érotique et sacré – l’union de Dionysos et d’Ariane. 

Le vin a continué de symboliser les quêtes héroïques : le graal des héros médiévaux était une quête à la fois initiatique et personnelle. Hollywood s’en est emparé (2) et il occupe l’espace spirituel du repas final du film Des Hommes et des Dieux (3). Les mythes racontent sa vocation irénique : rétablir la paix. Après le déluge, les catastrophes, les crises et toutes les colères divines, le premier geste de Noé à la sortie de l’Arche est de planter une vigne comme symbole de liberté et de paix. Thot, dieu lunaire, offre à la déesse Hathor, devenue lionne sauvage sa première coupe de vin et récite des formules magiques. Hathor se laisse amadouer et, redevenue femme, elle devient la déesse de l’Amour et de la Joie. Le discours amoureux contemporain s’en fait évidemment l’écho. Le récit qui se met en place est spectaculaire. Il s’agit d’accentuer toujours davantage l’effet de sensation.

La Cène, dernier repas du Christ et de ses disciples selon le Nouveau Testament, est représentée par les peintres au fi l des siècles avec des assiettes de plus en plus grandes et une nourriture de plus en plus abondante, selon des chercheurs américains. Brian Wansink, professeur de marketing et d’économie appliquée à l’université Cornell, à New York, et son frère Craig, professeur d’études religieuses en Virginie et ministre presbytérien, ont analysé cinquante-deux des plus célèbres peintures représentant la Cène, réalisées entre l’an 1000 et l’an 2000.

Avec l’aide d’une technologie assistée par ordinateur, ils ont constaté que, de siècle en siècle, la taille des assiettes placées devant Jésus et ses disciples, rapportée à la taille moyenne des têtes des personnages, augmentait inexorablement, pour croître de 65,6 % en mille ans. Celle du plat principal augmentait de 69,2 %, et celle du morceau de pain, de 23,1 %.

Quand on peut discerner ce qu’il y a dans le plat principal, c’est du poisson ou de l’anguille (18 %), de l’agneau (14 %) ou du porc (7 %). L’offre de portions de nourriture plus importantes dans des plats plus larges incite les gens à manger davantage. D’après Brian Wansink, cela reflète le succès de l’agriculture au cours des dix derniers siècles, avec « croissance énorme de la production, de la mise à disposition, de la sécurité alimentaire, de la quantité et de la possibilité de s’en procurer ». « Comme l’art imite la vie, ces changements se reflètent dans les peintures représentant le dîner le plus célèbre de l’histoire », souligne-t-il (4).

Gargantuesque sera notre futur qui voudra toujours plus. Gargantua nous a beaucoup manqué. Il revient en force. Il est souvent assimilé à Dagda, le dieu-druide de la mythologie celtique irlandaise : "Dieu-Chef, Dagda est en tant que tel considéré comme le père de son peuple dont il est, par sa science, le premier magicien, par sa masse, le défenseur, par son chaudron, le nourricier. Ses orgies de nourriture sont à la fois démonstrations de vitalité et rites d’abondance (outre le sens spirituel qu’elles ont, la nourriture pouvant être symboliquement « spirituelle »). Par ses accouplements périodiques avec les divinités du sol, il assure à son peuple la protection de celles-ci et consacre en sa personne l’union de la tette (5) et de l’homme (6)".

Les cadavres des bouteilles consommées par les Ligueurs suggèrent qu’avant d’être sacrifié à nos agapes, le vin est un produit animé, éveillé, vivant, peut-être incontrôlable et porteur d’excitantes incertitudes… Le vin raconte le nouveau frisson du vivant… qui verra la réconciliation entre l’esprit et la matière, qui nous débarrassera des vieilles lunes cartésiennes, qui réintroduira la logique de la fête, du carnaval.

Alors, on va tous finir sous la table ? Peut-être, mais l’avantage du futur, c’est qu’il réserve des tas de surprises. Et, contrairement à ce que pensent et légifèrent les Institutions et autres ministères des Précautions, le rôle du vin sera de réconcilier les tensions et de ralentir, de participer à (voire de créer) un ralentissement du monde moderne, stressé, conflictuel, terrifiant. L’interdire est aussi peu malin aujourd’hui que l’était la Prohibition en son temps. Le vin est un passeport vers les autres, c’est la gloire et la banalité de son mythe. Il donne ses lettres de noblesse à la rencontre et à la conversation, il reconnecte avec la ruralité, il va permettre des rituels et des gestes nouveaux aussi bien que des résurgences d’antiques agapes, il sera le lieu d’une culture de l’équilibre alimentaire, il sera classé au Patrimoine mondial de l’Humanité à la rubrique « culture », il permettra une nouvelle forme d’ivresse hédonique et mystique, il va aider l’homme à redonner un sens à son existence et il va permettre à la femme de reciviliser l’homme ! On fait le pari ?

1. … ce que le Centre culturel et touristique du vin à Bordeaux ne manque pas de souligner, rendant ainsi hommage à sa pertinence symbolique aujourd’hui.

2. … comme dans le film Sideways, d’Alexander Payne (2004).

3. Xavier Beauvois, 2010.

4. L’étude a été publiée dans la revue britannique Th e International Journal of Obesity en 2010.

5. Bout de la mamelle des animaux.

6.  http://lamainrouge.wordpress.com/2007/08/01/gargantua-et-les-divinites-celtiques/

Extraits de "Mythologies du futur" de Christian Gatard publié aux Editions L'Archipel. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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