L'ascension par la phase centre : quelle perspective pour l'offensive Juppé sur la droite ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Alain Juppé et Nicolas Sarkozy le 15 novembre 2011
Alain Juppé et Nicolas Sarkozy le 15 novembre 2011
©Reuters

Premier de cordée

En se déclarant mercredi 20 août candidat à la future primaire de la droite pour les élections présidentielles de 2017, Alain Juppé a pris de court ses adversaires. Le maire de Bordeaux compte parmi ses alliés celui de Pau, François Bayrou. Un duo de centristes de droite qui devra toutefois prendre en compte la ligne majoritaire de l'UMP, plus à droite, représentée par Nicolas Sarkozy.

Xavier  Chinaud

Xavier Chinaud

Xavier Chinaud est ancien Délégué Général de démocratie Libérale et ex-conseiller pour les études politiques à Matignon de Jean-Pierre Raffarin.

Aujourd’hui, il est associé du cabinet de stratégie ESL & Network.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Dès l’annonce de la déclaration de candidature d’Alain Juppé à la primaire de l’UMP ce mercredi 20 août, François Bayrou s’est empressé d’appuyer sa démarche en disant que le maire de Bordeaux "peut faire du bien au pays".  Cet axe centriste qui se dessine au fur et à mesure à droite n’est-il pas en décalage avec les militants UMP, qui sont quant à eux plus à droite ? Que représente aujourd'hui la mouvance la plus modérée au sein de l'UMP, idéologiquement et numériquement ? A quelles conditions pourrait-elle vraiment rivaliser avec la droite décomplexée et Nicolas Sarkozy ?

Christophe de Voogd :Les militants UMP affichent clairement une volonté de rupture et un éloignement avec le chiraquisme qu’incarne historiquement Alain Juppé. Cette tendance a été renforcée par la présidence de François Hollande qui a radicalisé la droite. Il est difficile de mesurer le poids des centristes pour le moment. On en saura plus au prochain Congrès de l’UMP mais assurément la mouvance centriste issue de l’ancienne UDF est minoritaire à l’UMP. Mais une élection présidentielle ne se gagne pas avec les seuls militants UMP !

Je crois qu'Alain Juppé, qui a bien joué le coup au niveau du calendrier en annonçant sa candidature, prenant de court ses rivaux, se base sur trois hypothèses : d’abord temporelle, puisque sa candidature repose sur le respect du calendrier institutionnel, sur le "temps long". Il se place dans l'hypothèse normale où la présidentielle aura bien lieu en 2017, sans catastrophe d'ici là (crise sociale et dissolution ratée par exemple) : sinon c’est Nicolas Sarkozy qui est davantage en position de force. Deuxièmement, Alain Juppé pense sans doute qu’il n’y aura pas de candidature de Nicolas Sarkozy à la primaire, notamment pour des raisons judiciaires. Enfin troisièmement il estime que les Français seront favorables à une solution de  gouvernement modéré après une période de très grandes divisions. Il incarne une figure rassurante et consensuelle comme le montre sa popularité transpartisane.

Jérôme Fourquet : A l’Ifop, nous avons fait un sondage pour Valeurs actuelles en demandant  aux sympathisants de l'UMP "si Nicolas Sarkozy revient, souhaitez-vous qu'il soit sur une ligne de 'droite modérée' ou de 'droite décomplexée ?" : 60 % étaient en faveur d’une ligne décomplexée et 40 % étaient contre en voulant pour leur part une ligne modérée. Voilà le rapport des forces. Nicolas Sarkozy fait de loin la course en tête mais il n'écrase pas le match. Au niveau idéologique,  la ligne Thierry Mariani - Guillaume Peltier - Laurent Wauquiez est donc plus importante que celle de Dominique Bussereau - Jean Pierre Raffarin - Alain Juppé. Les 40 % sont minoritaires au sein des sympathisants, mais ils pèsent quand même. 

Xavier Chinaud :L’élection présidentielle n’est pas une élection militante, 160 000 militants  ne font pas le vote de plus de 46 millions de Français. Pour l’opposition, être au rendez-vous passera par plusieurs conditions dont la première est un candidat capable de rassembler la droite, le centre et au-delà. L’UMP de Nicolas Sarkozy est aujourd’hui droitisée, celle d’Alain Juppé et Jacques Chirac à sa création était un peu plus large.

Quels ténors seraient capables de se fédérer autour d'une candidature de Juppé ? 

Christophe de Voogd Chacun joue sa carte pour le moment et tous les grands ténors sont en lice, soit pour la présidence du parti soit pour la primaire. Le fait de ne pas être pour le moment entouré est un handicap qu’Alain Juppé doit combler mais dans son hypothèse du temps long, cela peut être rattrapé dans la mesure où il a une forte autorité et légitimité à droite, y compris à l'UMP, qu'il a fondée. Sur cette question de la fédération des forces autour de lui, il pourrait bien cependant y avoir un handicap plus "politicien" pour Alain Juppé : c’est qu’il a déjà visiblement promis Matignon à François Bayrou. Du coup, qu’a-t-il à proposer à Bruno Le Maire, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse ou encore Laurent Wauquiez ?

Jérôme Fourquet : Cela peut être intéressant pour Alain Juppé de tuer le match en interne. Il faut que l’essai soit rapidement transformé pour Alain Juppé. Si Xavier Bertrand, François Fillon, NKM et d’autres se présentent aussi ils lui piqueront des voix. En revanche si jamais ils rallient Alain Juppé cela peut créer une dynamique. Il était prévisible que François Bayrou suive Alain Juppé à partir du moment où il se déclare candidat mais si d’autres ralliements en chaîne sont annoncés rapidement le plan de Nicolas Sarkozy sera cassé. 

Xavier Chinaud : Il ne s’agit pas de réunir un orchestre ou de jouer un opéra, mais de parler aux Français. Je veux croire que c’est l’ensemble de ceux qui participeront  à la primaire qui soutiendront celui qui en sortira en tête.

En assumant le soutien de Bayrou, Juppé semble parier sur un soutien du centre en cas de primaire ouverte. Quelles sont les limites à un tel calcul ? Le vivier du centre est-il suffisant pour rattraper son retard auprès des sympathisants UMP ? Et peut-il rallier tout le centre ? Quid de Jean-Louis Borloo ?

Christophe de Voogd : Le danger pour  Alain Juppé est d’apparaître comme trop centriste et trop "énarchique". On le voit bien dans sa déclaration de candidature sur son blog : sa rhétorique est celle que l’on retrouve beaucoup chez François Hollande et chez Jacques Chirac. C’est celle de l’ENA des années 60-70 qui consiste à ne pas trancher et à ménager les uns et les autres: un peu de libéralisme, mais encore beaucoup d'étatisme, un peu de liberté mais aussi de l'égalité ; c'est la figure "d’un côté, mais de l’autre".

Jean Louis Borloo semble s'être retiré de la course alors qu’il était le seul candidat présidentiable du centre. Les électeurs centristes vont plus se tourner vers Alain Juppé et c’est là tout le sens de l’opération qui peut fonctionner. Et le centre ne pèse pas rien : il a fait 10 % aux Européennes… C’est donc un calcul jouable pour Alain Juppé. Une alliance avec François Bayrou présente toutefois un handicap : l’ancien candidat du MoDem à la présidentielle représente pour les militants UMP la figure du "traître" et, même en 2017, cela risque d’être encore trop frais dans les mémoires.

Jérôme Fourquet : Avant d’être dans la présidentielle, il va d’abord falloir qu’Alain Juppé remporte la primaire. Dans les enquêtes sur les sympathisants UMP, il reste encore très loin derrière Nicolas Sarkozy. Même dans le cas d’une primaire ouverte il faudrait que l’UDI et ce qu’il reste du MoDem soient partie prenante pour que sa stratégie fonctionne. Alain Juppé devra aussi être le seul sur le créneau centriste, si François Fillon veut le faire il n’y aura pas de places pour deux.

François Bayrou est encore une voix importante au centre mais il faut compter sur l’UDI. Il faut voir si Jean-Louis Borloo ne roulerait pas pour Nicolas Sarkozy, c'est ce que l'on murmure... François Bayrou n’est pas concerné par l’élection à la présidence de l’UDI. Alors que la campagne se déroule actuellement, que vont dire les Jean-Christophe Lagarde, Yves Jego ou Hervé Morin ? Il serait curieux qu’ils se rallient à Alain Juppé alors qu'ils organisent une élection interne. Il faut que l’annonce de François Bayrou soit suivie de ralliements mais je pense qu'Alain Juppé et Nicolas Sarkozy auront  chacun leurs centristes. Il faut toujours se méfier de ceux qui disent "on est minoritaires mais avec le soutien d’autres personnes on peut faire basculer les choses" comme c'était le cas pour Martine Aubry lors de la primaire socialiste en 2011. Il ne faut pas oublier que la logique des primaires veut que ça soit le parti qui l’organise qui dirige les opérations et fournisse le plus grand nombre d’électeurs. Il  y aura donc un avantage à l’UMP.

Xavier Chinaud : A deux ans et demi de la date normale de l’élection présidentielle et à plus d’un an de la primaire envisagée à l’UMP, le temps n’est pas à la compétition boutiquière mais à la proposition puis l’incarnation. Se contenter d’une primaire interne à l’UMP n’a et n’aura aucun sens, si ses militants préféraient s’enfermer dans un jusqu’au boutisme revanchard, encouragé par des suivistes de l'opinion prétendant les guider, leur place serait au zoo pour de nombreuses années. Le Centre est multiple mais a su en 1974 se rassembler autour de Valéry Giscard d’Estaing puis dans l’UDF. Il pourrait encore le faire. Jean Louis Borloo manque à l’UDI et François Bayrou reste au MoDem alors qu’ensemble ils voulaient se réunir. Les modérés et les indépendants représentent toujours une part non négligeable de l'électorat pour peu qu'ils soient eux-mêmes. 

Certains militants de l’UMP sont critiques par rapport à Alain Juppé, jugé trop centriste et pas assez clivant. L’ancien Premier ministre, qui a pris ses distances avec Nicolas Sarkozy, a d’ailleurs perdu 4 points chez les sympathisants dans un sondage Ifop pour Atlantico publié en juillet tandis que l’ancien président progressait de 6 points. François Bayrou, lui, fait carrément figure de repoussoir auprès de l’électorat UMP qui n’a pas accepté qu’il vote pour François Hollande à la présidentielle. L’alliance Juppé-Bayrou ne va-t-elle pas inquiéter les militants de l’UMP, voire les détourner vers l’abstention ?  Nicolas Sarkozy, lui, peut-il en profiter en ayant un boulevard à droite ?

Christophe de Voogd :Le risque pour Alain Juppé est aussi d'incarner une image du passé, alors que le renouvellement générationnel est une demande qui monte dans l'opinion, comme le montre l'ascension de Bruno Le Maire. Ensuite, une alliance de centristes peut ne pas faire peur mais elle peut en revanche ne pas susciter l’adhésion. Il faut voir quelle sera l’offre politique du moment : il reste  que l’électeur UMP qui a le choix entre Alain Juppé et François Hollande ou Marine Le Pen choisira évidemment de voter pour Alain Juppé. On peut toutefois avoir une petite hausse de l’abstention.

Nicolas Sarkozy, c’est la figure de Bonaparte au pont d’Arcole, plutôt une figure du recours en cas de catastrophe. Pour cette raison mais aussi à cause des menaces judiciaires, il doit miser sur un calendrier court. Il a un boulevard pour la présidence de l’UMP mais pour la primaire je pense que les jeux sont très ouverts. Encore une fois, il faudra voir si la primaire est ouverte et quelle sera la situation économique à ce moment-là... et si Nicolas Sarkozy est encore dans la course. Beaucoup s'emploient à ce qu'il n'y soit pas!

Xavier Chinaud : J’ignore l'effectivité de ce que vous nommez l'alliance Juppé-Bayrou, mais le premier incarne à la fois le RPR et l'UMP originelle, le second le centre et la volonté de dépasser les clivages obsolètes. Le moment du choix de son candidat par l'opposition viendra, il ne se résume pas à l'expression militante ou aux sondages d'aujourd'hui.

De la même manière, alors que le Front national n’a jamais été aussi fort, les électeurs UMP pourraient-ils être tentés de voter pour le parti d’extrême-droite si Alain Juppé était élu à la primaire de l’UMP, en 2016 ? A contrario, Nicolas Sarkozy n’est-il pas le seul capable d’endiguer ou du moins de limiter la progression du FN ?

Christophe de Voogd : Depuis 2012 la droite résiste très bien dans les élections partielles au Front national, qui prospère surtout au détriment de la gauche. Comme le programme du FN devient de plus en plus "néo-socialiste"  au sens des années 1930 (protection sociale, nationalisme, défense du service public) c’est la gauche qui en fait et qui va en faire les frais.Les électeurs de droite qui pourraient être tentés de voter FN, malgré les convergences sur l''immigration, ne sont pas d’accord avec le programme économique de ce parti et en particulier la sortie de l'euro. Il y aura certes plus de transfuges de droite vers le FN si c’est Alain Juppé qui est candidat de l’UMP, mais inversement ce dernier gagnera plus de voix vers le centre que Nicolas Sarkozy.

Xavier Chinaud : Cette idée d'un champion seul capable de limiter la progression de l'extrême droite est une argutie boutiquière et  non démontrée par la progression du FN entre 2007 et 2012. La course à la droitisation a échoué aux présidentielles et a montré à ceux qui en doutent encore que la droite et le centre ne font pas un parti unique. Ce sera l'enjeu majeur du prochain président de l'UMP que de conduire cette formation vers la raison, la proposition plus que la stérile opposition et au rassemblement.

Quelle pourrait être la stratégie d'une droite centrisée contre le Front national ?

Christophe de Voogd : Elle est écrite depuis longtemps et Alain Juppé ne fera qu'accentuer la position de Jacques Chirac : les centristes de droite sont pro-européens, enjeu désormais capital,  ils refusent d’aller sur les thèmes du FN et prônent une attitude plus ouverte sur l’immigration et les thèmes sociétaux. Leurs convictions et leurs stratégies sont très claires.

Xavier Chinaud : Ce n'est pas une stratégie que de refuser toute entente ou convergence avec le FN, mais une conviction. La présidentielle ne peut plus être une élection de calculs ou se faire par défaut, le candidat attendu dans chaque camp est celui qui sera capable de rassembler, de conduire et de faire participer les Français à leur vivre ensemble dans un monde en mouvement.

Toute la stratégie d’Alain Juppé ne repose-t-elle pas finalement sur le second tour de la présidentielle, au risque de subir des déconvenues lors de la primaire UMP ou, s’il était élu, au premier tour de la présidentielle ? Le maire de Bordeaux peut-il récupérer les voix des déçus de François Hollande dès la primaire de l’UMP ou pendant la présidentielle, s’il réussit à remporter l’élection ?

Christophe de Voogd :Oui c’est tout à fait son pari de s'inscrire dans un calendrier long et de deuxième tour de la présidentielle face au FN, puisque tout laisse à penser que Marine Le Pen y sera. Si son calcul repose sur des arguments raisonnables, peut-être reflète-t-il toutefois trop la tradition politique française depuis 30 ans : celle d’une alternance classique entre le centre-droit et le centre-gauche. Est-ce qu’en 2017 la France fera encore ces choix ? La droite française semble davantage tentée désormais par la radicalisation. Du coup la stratégie d'Alain Juppé est sans doute moins bonne, car moins clivante, pour le premier tour, tandis que la candidature de Nicolas Sarkozy parait être une meilleure candidature de premier tour ; mais moins rassembleuse au second. Leurs cotes de popularité dans les différentes fractions de l'électorat sont parlantes.

Jérôme Fourquet : Alain Juppé aurait plus de chances de rallier les déçus de la gauche au second tour face au FN. Il ferait mal à une candidature centriste au premier tour. Certains pas trop politisés qui auraient voté pour François Hollande pourraient le rallier au premier tour mais pas ceux qui le sont plus. Pour Alain Juppé, il faut déjà montrer sa capacité de ralliement dans sa propre famille. 

Xavier Chinaud : La rencontre d'un homme ou d'une femme avec le pays doit se conjuguer avec les circonstances, aujourd'hui le leadership fait défaut, hier c'était la gouvernance, demain nous verrons bien. Les questions de 2014 seront sans doute bien différentes en 2016 et les candidats de 2017 aussi...

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