Dans les coulisses du pouvoir : comment Balladur décida de communiquer sur la maladie de Pompidou<!-- --> | Atlantico.fr
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Edouard Balladur a été le secrétaire général de Georges Pompidou
Edouard Balladur a été le secrétaire général de Georges Pompidou
©Reuters/Charles Platiau

Bonnes feuilles

Édouard Balladur, qui fut le secrétaire général de Georges Pompidou, raconte ses derniers mois l'Élysée dans le livre "La tragédie du pouvoir. Le courage de Georges Pompidou" (Fayard). Un document exceptionnel dans lequel ce très proche collaborateur livre ses cas de conscience face à la maladie du chef de l'Etat. (1/2)

Édouard  Balladur

Édouard Balladur

Ancien collaborateur de Georges Pompidou à l’Élysée, Premier ministre de la deuxième cohabitation sous François Mitterrand, ancien président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Édouard Balladur a été chargé par Nicolas Sarkozy de présider une commission de sages chargés d’étudier une réforme des institutions de la Ve République puis d’étudier les grandes lignes d’une réforme des collectivités locales et de la création d’un Grand Paris.
Il a notamment publié chez Fayard Jeanne d’Arc et la France, Des modes et des convictions, Douze lettres aux Français trop tranquilles, un Dictionnaire de la réforme, La Fin de l’illusion jacobine, Machiavel en démocratie, L’Europe autrement, Pour une Union occidentale entre l’Europe et les États-Unis ainsi que de ses deux rapports.

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Mercredi 20 mars 1974

Le Conseil des ministres commence à 15 heures. Il dure moins de deux heures. Visiblement, le Président souffre, ne sait pas quelle position prendre, change de couleurs à plusieurs reprises. Il donne cependant la parole à chacun de ceux qui la demandent, écoute patiemment les idées de Gorse, de Guéna, d'autres encore, sur la lutte contre l'inflation. Il rentre dans son appartement privé de l'Elysée. Deux heures s'écoulent sans que j'aie de ses nouvelles. Puis il me fait appeler par l'infirmière qui vient me chercher en précisant qu'il ne veut aucun papier. 

Je le trouve prostré, assis dans le salon, la tête appuyée sur son poing. Il a les yeux humides : 

"Je n'en peux plus, ce n'est plus supportable. Cela ne pourra plus durer très longtemps. Préparez un communiqué pour dire que je n'assisterai pas au dîner diplomatique, demain soir. Dites ce que vous voulez, donnez le motif que vous vous voudrez.

-Je dirai que vous êtes grippé…

-Voyez-vous autre chose à dire, mon pauvre ami ? Excusez-moi de vous recevoir ainsi et de me donner en spectacle. 

-Je vous en prie, je ferai tout ce que je pourrai pour vous venir en aide, mais il faut me le demander : je ne veux pas vous importuner. 

-Je sais. Je vous remercie de tout ce que vous faites. Je m'en remets à vous pour tout, faites au mieux…"

Juillet vient me voir à mon retour dans mon bureau. Je le tiens au courant: "Ah, ce ne serait pas mal, me dit-il, que Messmer préside le dîner diplomatique. 

-Vraiment, vous ne perdez pas le nord…!

-Que voulez-vous, je suis comme quelqu'un qui marche sur un sentier à flanc de montagne et qui voit l'avalanche se déclencher…

-En tout cas, il faut faire un communiqué et préciser de quoi souffre le Président. Je le lui dira demain…"

Jeudi 21 mars 1974

Je reçois le professeur Vignalou chez moi à ç heures. Je lui dis qu'il faut absolument publier un communiqué médical sur l'indisposition du Président. Je tiens à ce qu'il évoque la répétition des crises pour expliquer le passé… et sans doute l'avenir. Cela évitera de refaire un communiqué chaque fois que l'emploi du temps prévu sera perturbé. Sur ce dont souffre Georges Pompidou, Vignalou me dit qu'on ne peut faire aucun pronostic de durée : les accès de douleur peuvent se répéter durant une semaine ou deux mois. Ce n'est pas grave du tout, mais c'est très douloureux, et l'on ne peut pas toujours opérer. En tout cas, "ce n'est pas cancéreux" me dit-il.

Je lui demande s'il ne vaudrait pas mieux que le Président prenne un mois de repos, ou davantage. "Le repos ne changerait rien", me répond-il. Je lui propose de parler moi-même à Alain Pompidou de l'état de son père. Il ne répond pas ; manifestement, ce n'est pas la solution qu'il recommande. 

"Notre responsabilité est lourde, me dit-il, mais la vôtre plus lourde encore.  Nous nous sommes, à trois, posé la question de savoir s'il ne fallait pas recommander au Président de démissionner. Nous n'estimons pas en avoir le droit : et s'il guérissait deux mois après ? Il nous reprocherait de lui avoir conseillé une telle décision. 

-En effet, lui dis-je. Démissionner pour des ennuis vasculaires bénins…"

Il ne me répond pas.

Je lui répète les propos de Pompidou : "Cela ne pourra pas continuer longtemps ainsi."

"Pensez-vous, me demande-t-il, qu'un beau matin il pourrait démissionner sans crier gare ?

-Non je ne le crois pas, pas encore, surtout s'il a le sentiment que vous lui dites la vérité… De toute façon, je ne vous demande pas – je le précise – de l'inciter à démissionner. Je vous demande deux choses : de lui dire la vérité sur sa maladie, et aussi de me la dire pour que je ne sois pas mis brutalement devant le fait accompli. Nul plus que moi ne souhaite que tout s'arrange. Dois-je l'espérer vraiment ? 

-Ce n'est pas exclu…"

Nous n'irons pas plus loin, force est de m'en contenter.

Je lui répète que de toute façon je souhaite un communiqué médical dans l'après-midi. 

Extraits de "La tragédie du pouvoir : le courage de Georges Pompidou" d'Edouard Balladur publié chez Fayard (2013). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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