Le pacte de compétitivité, arme contre la déflation ? Pourquoi les déclarations pré et post-vacances du gouvernement prouvent qu’il n’a pas compris le diagnostic qu’il a lui-même établi<!-- --> | Atlantico.fr
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Malgré la croissance nulle, l'exécutif entend poursuivre la même politique économique
Malgré la croissance nulle, l'exécutif entend poursuivre la même politique économique
©Reuters

Vouloir le beurre et l'argent du beurre

Manuel Valls a récemment déclaré au JDD qu'il était "hors de question de changer de politique", qu'il fallait continuer de "réformer". Il a également réitéré sa foi dans le Pacte de responsabilité. Le Premier ministre oublie cependant qu'il est bien compliqué de relancer une économie nationale tout en imposant une politique d'austérité, le tout sur fond de réformes structurelles.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Dans une interview au Journal du dimanche, Manuel Valls a déclaré qu'il était "hors de question de changer de politique", et ce malgré l'absence de résultats sur le front socio-économique que l'on a pu constater dans les derniers chiffres publiés par l'Insee. Début août, et à la suite de l'annonce de la menace déflationniste, le Premier ministre avait également martelé qu'il fallait continuer de "réformer", et portait ses espoirs dans le Pacte de responsabilité. Que peut le Pacte de responsabilité face aux menaces auxquelles l'économie française est confrontée ? Est-il porteur des réformes structurelles nécessaires ?

Alexandre Delaigue : Le Pacte de responsabilité ne constitue qu'une aide fiscale. Le système, dans lequel les deux leviers que sont les impôts d'une part et les dépenses publiques d'autres part restent les soutiens de l'activité économique, demeure donc toujours. Le Pacte de responsabilité ne comprend aucune réforme structurelle, il s'agit plutôt d'un chèque que l'on envoie aux entreprises, ce qui ne relève pas d'une réforme susceptible de modifier le marché du travail, ni d'améliorer l'activité économique. On peut également noter que ce genre de subvention portant sur les cotisations sociales est potentiellement réversible. Du point de vue des employeurs, c'est donc une donnée sur laquelle ils savent qu'ils ne pourront pas compter sur le long-terme. Ainsi, les effets que l'on peut en attendre sont limités, d'autant que la principale motivation d'embauche est l'anticipation de la demande, sur quoi le Pacte de responsabilité n'a bien sûr aucune prise.

Sur la menace déflationniste, les choses sont relativement claires puisque le gouvernement n'a aucun pouvoir. Cela ne dépend que de la politique de la BCE, laquelle est indépendante. On peut lui reprocher son fonctionnement actuel, et notamment son biais déflationniste important, mais le gouvernement français n'y a pas de prise. A la limite, on pourrait même croire que la relance de l'activité économique pourrait inciter la BCE à être encore plus timorée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Avec du recul, on a pu constater qu'elle était souvent à la recherche d'excuses pour ne pas modifier ses prérogatives, et c'est ce qu'une politique de relance mise en oeuvre par plusieurs politiques pourrait lui donner.

Mais la BCE rétorque toujours aux Italiens comme aux Français qu'il faut engager plus de réformes structurelles, alors que celles-ci ne peuvent être mises en place de manière acceptable que si le contexte économique est favorable, c'est une règle de base qui se vérifie partout.

Le gouvernement persiste et signe sur les 50 milliards d'économies mais les choix dans les coupes sont-ils adaptés ? S'il n'est pas question de remettre en cause les efforts budgétaires que doit engager la France, en quoi cette posture, qui refuse toute évolution sur des politiques décidées il y a plusieurs mois, entre-t-elle en contradiction avec la politique de croissance désormais demandée par le gouvernement à Bruxelles ?

Le gouvernement est totalement coincé. Il a pris un certain nombre d'engagements, et s'ils ne sont pas respectés, sa capacité d'influence à Bruxelles sera proche de zéro. La seule chose qu'il lui reste à faire, c'est de faire croire qu'il a essayé de tenir ces engagements, sans les avoir tenus. On est donc davantage dans un exercice de communication que dans un exercice concret. En pratique, il ne subsiste que très peu de marges de manoeuvre politique pour réduire les dépenses, et une politique d'austérité maintenant ne ferait qu'amplifier les difficultés économiques.

Si le gouvernement a reconnu une menace déflationniste en Europe, ses prises de positions récentes permettent-elles de traduire les déclarations en actes ? A contrario, en quoi sont-elles contradictoires avec le début de diagnostic ?

Non, il est assez clair que le gouvernement est dans posture consistant à espérer que la croissance arrive grâce à des facteurs extérieurs, comme une conjoncture qui s'améliorerait dans d'autres pays, ou à un changement de politique de la BCE. L'avantage serait que le gouvernement pourrait s'en attribuer le mérite, et il pourrait aussi se défosser sur elles en cas de résultats médiocres. Il n'y a que dans cette explication que l'on peut trouver une cohérence gouvernementale. Elle n'est qu'un exercice de communication, tout simplement parce que la pratique de sa politique est extrêmement contrainte. Pourquoi ? Parce que premièrement il n'est pas possible de conduire une politique de relance affichée, sous peine d'une réplique de la part de la BCE et des marchés, sans oublier que ce serait considéré comme inacceptable par Bruxelles. Deuxièmement, faire de l'austérité aurait un effet catastrophique sur la situation économique, et troisièmement les réformes structurelles dans un contexte de déflation et de faible croissance consommerait un pouvoir politique trop important pour un gain faible ; les secteurs visés se défendront très fortement. Il ne reste donc que la communication et la posture.

A contrario, indépendemment de la question déflationniste, il y a une partie du gouvernement qui a l'intention de mener une politique de réforme structurelle. On a pu voir qu'Arnaud Montebourg et son cabinet menaient une campagne de longue haleine pour pouvoir annoncer au mois de septembre des réformes sur les professions règlementée. On voit bien à la fois la volonté du gouvernement de les mener, mais en même temps les difficultés qu'il s'imposent. Alors on observe cette tendance à la fuite de rapports soit-disant confidentiels dans la presse, pour pouvoir créer un bruit autour de ces professions. Mais on se rend bien compte que les arbitrages ne sont pas pris au plus haut niveau. Il en découle un jeu d'influences interne, plutôt qu'une stratégie déterminée. On sent bien que le gouvernement ne parvient pas à choisir une approche, et préfère rester dans une ambigüité. On se souviendra de Jacques Chirac qui avait choisi la même position en déclarant que les Français ne pouvaient pas accepter des réformes, et qu'il fallait donc gérer l'existant, ce qui était à peu près la seule chose faisable.

Manifestement, nous sommes dans cette logique aujourd'hui.

Les réactions de la part du gouvernement semblent s'être davantage portées sur des postures que de nouvelles annonces. Ainsi, en quoi le fait de renvoyer la responsabilité du front économique aux entreprises, comme Michel Sapin dans sa tribune parue dans Libération (voir ici), ou envers l'Europe et sa politique monétaire défavorable pour la France peut-il révéler que le gouvernement est démuni ?

Le gouvernement réagit de la même manière que les shamans du temps passé : si la pluie arrive, il en réclamera les mérites, et si elle ne vient pas, il dira que les dieux sont en colère. Le gouvernement attend le coup de chance, et si cela n'arrive pas, il reportera donc la faute sur le patronat, ou sur l'Europe. On est beaucoup plus sur la préparation d'un discours au cas où l'un de ces deux déroulement surviendrait que dans une véritable stratégie.

Quelles autres incohérences économiques trahissent aujourd'hui le désarroi du gouvernement ?

Sur les réformes structurelles, d'un côté on a un discours qui les préconise, et de l'autre côté, dès que de nouvelles activités viennent menacer des monopoles et des rentes, on aboutit à une préservation des secteurs existants, et on ne parvient pas à favoriser l'émergence des nouveaux arrivants. On pense alors au ministère de la culture vis-à-vis d'Amazon, mais aussi à la question des taxis et des VTC. A chaque fois que le gouvernement se retrouve dans une situation où il pourrait favoriser la concurrence, on trouve ce décalage.

Egalement, le fait de préconiser la relance de l'activité, dans un contexte d'austérité, est contradictoire. On ne peut pas espérer le retour de la croissance tout en menant une politique budgétaire qui a pour conséquence immédiate de la rendre plus difficile. On voudrait à la fois avoir de la croissance, une baisse du chômage, et l'amélioration des déficits, alors qu'il est impossible d'être efficace sur toutes ces questions à la fois.

Finalement, où en est le gouvernement dans son diagnostic de la situation économique ? Quelle trajectoire propose-t-il ?

Encore une fois, je pense que le gouvernement attend un miracle, il attend que la situation s'améliore de lui-même. Cela illustre une grande lacune d'imagination au sommet de l'Etat, qui s'est imprégné de sa position difficile et a décidé de croiser les bras en attendant des jours meilleurs. D'ailleurs ce défi d'innovation ne touche pas que le gouvernement, mais aussi toute l'administration.

Propos recueillis par Alexis Franco

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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