Pourquoi Cécile Duflot aurait-elle besoin de s’intéresser à la réalité quand l’invocation obsessionnelle du mot "gauche" lui tient lieu d’analyse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Cécile Duflot, ancienne ministre du Logement
Cécile Duflot, ancienne ministre du Logement
©Reuters

Passionaria desconectada

Dans un livre à paraître le 25 août dont le JDD a révélé des extraits dimanche, Cécile Duflot règle ses comptes avec François Hollande. L'ancienne ministre du Logement déclare notamment : "J'ai cru en François Hollande, en sa capacité de rassemblement. (...) J'ai essayé d'aider le président de la République à tenir ses promesses, de l'inciter à changer la vie des gens, de le pousser à mener une vraie politique de gauche. Et j'ai échoué. Alors je suis partie". Des propos qui témoignent au minimum d'une distance avec la réalité.

Dominique Andolfatto

Dominique Andolfatto

 

Dominique Andolfatto est professeur de science politique à l’université de Bourgogne et un chercheur spécialiste du syndicalisme. Ses travaux mettent l'accent sur des dimensions souvent négligées des organisations syndicales : les implantations syndicales (et l'évolution des taux de syndicalisation), la sociologie des adhérents, la sélection des dirigeants, les modes de fonctionnement internes, les ressources, la pratique et la portée de la négociation avec les employeurs et l'Etat.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont 

- "Un échec français : la démocratie sociale", Le Débat, Gallimard, sept. 2019 (avec D. Labbé).

- "The French Communist Party Confronted with a World that was Falling Apart", in F. Di Palma, Perestroika and the Party, Berghahn, New York, 2019 : 

https://www.berghahnbooks.com/title/DiPalmaPerestroika

- "Faire cause commune au-delà de la frontière ? Le syndicalisme transjurassien en échec", in M. Kaci et al.,  Deux frontières aux destins croisés, Presses UBFC, Besançon, 2019.


- Chemins de fer et cheminots en tension , EUD / Ferinter, Dijon, 2018 :

https://eud.u-bourgogne.fr/sciences-sociales/623-chemins-de-fer-et-cheminots-en-tension-9782364412927.html?search_query=andolfatto&results=1

- "Organisations syndicales", in Y. Deloye et J. M. De Waele,  Politique comparée / Traités de science politique , Bruylant, Bruxelles, 2018 (avec D. Labbé) :

https://www.larciergroup.com/fr/politique-comparee-2018-9782802760771.html


- La démocratie sociale en tension, Septentrion Presses Universitaires, Lille, 2018 : http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100096680

- Syndicats et dialogue social. Les modèles occidentaux à l'épreuve, P. Lang, Bruxelles, 2016 (avec S. Contrepois) : https://www.peterlang.com/view/9783035266177/9783035266177.00001.xml

- Les partis politiques, ateliers de la démocratie, Ed. uni. Bruxelles, 2016 (avec A. Goujon) : http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2768

 

Voir la bio »

Atlantico : Cécile Duflot égratigne François Hollande dans son livre (voir ici), déclarant notamment l’avoir "incité à changer la vie des gens".  François Mitterrand et le PS en avaient fait leur slogan dans les années 1970 avant de rapides désillusions une fois arrivés au pouvoir. Quarante ans plus tard, les dirigeants actuels de gauche comprennent-ils vraiment la vie des gens ? Qu'est-ce qui témoigne aujourd'hui du contraire, notamment dans les mesures portées par Cécile Duflot ?

Dominique Andolfatto : Curieuse remarque de Cécile Duflot. Elle aurait incité le président à "changer la vie des gens". On aurait pu penser que ce soit plutôt François Hollande, dont elle était ministre, qui l’incite (et même lui enjoigne) de faire de bonnes politiques, de prendre de bonnes décisions... et peut-être que celles-ci auraient "changé la vie des gens". Or le bilan laissé par la ministre du logement reste pour le moins discuté. Elle n’a su gagner la confiance des professionnels du secteur, et encore moins relancer la construction de logements neufs, ajoutant de nouvelles contraintes à des contraintes déjà nombreuses. Les Echos parlaient d’un "terrible bilan" en mai dernier, au vu de l’effondrement des constructions nouvelles même si certaines règles d’urbanisme ont été revues et pourraient déverrouiller le secteur à moyen terme. Au passage, on s’amusera aussi qu’une écologiste, qui – politiquement – n’existe que parce que le PS l’a souhaité pour des raisons tactiques, cherche à faire la leçon à ce dernier en reprenant, ou plutôt en détournant certains slogans de la gauche des années 1970 et en faisant allusion au célèbre "changer la vie " qui titrait le programme du PS au début de cette décennie... il y a donc plus de 40 ans. Cela fleure bon la nostalgie, l’illusion et une vision plutôt autoritaire de la politique... En outre, c’est oublier que François Mitterrand lui-même n’avait pas fait sien ce slogan et lui avait préféré le plus personnel (et plus marketing) "force tranquille" en 1981. 

L'ancienne ministre écologiste déclare avoir "poussé François Hollande à mener une vraie politique de gauche". Comment expliquer que celle qui passait pour la caution de gauche du gouvernement avec Benoit Hamon et Arnaud Montebourg se soit finalement contentée de son rôle de faire-valoir ? Que mettent vraiment ceux qui s'en réclament dans l'expression "politique de gauche" ? En quoi un tel positionnement est-il dépassé ?

En fait, il n’est pas si facile que cela de qualifier telle politique "de gauche" et telle autre "de droite". Bien sûr, il y a certaines thématiques qui ressortissent a priori plus de la droite (durcir les règles d’immigration, privatiser les entreprises publiques...) et d’autres plus de la gauche (nationaliser les entreprises, imposer davantage les plus riches...). De ce point de vue, la gauche au pouvoir ne s’est pas privée de "jouer" avec ces thématiques depuis 2 ans afin de démontrer qu’elle conduisait bien une politique "de gauche", en conformité avec le verdict des urnes de 2012. Mais, le recours à ces marqueurs idéologiques ne suffit pas à faire une bonne politique et à produire des résultats face à la montée du chômage, par exemple, ou à la nécessaire relance du logement en France et, surtout, à une recherche de la réduction de leur coût... Dès lors, cliver en termes droite / gauche l’action publique n’a pas grand sens... et ajouter sans cesse le chiffon rouge ne permet pas mieux de produire des résultats. C’est même un aveu d’échec. On aimerait plutôt que Cécile Duflot nous explique quelle était (quelle est) la boussole du gouvernement et, pour reprendre une expression chère aux communistes lorsqu’il en existait encore, quel est son "plan de travail". N’appartient-elle pas toujours à la majorité qui lui a permis d’être élue député ?

Le PS, et plus généralement la gauche, ont été sanctionnés lors des deux dernières élections municipales et européennes, principalement dans les zones rurales. Pour le géographe Christophe Guilluy, "la France périphérique représente 60 % de la population, mais elle est invisible aux yeux des élites". En quoi la gauche a-t-elle oublié les zones rurales et périurbaines, où les électeurs se tournent d'ailleurs de plus en plus vers le FN ? Que sait-elle de ses préoccupations, comment y répond-elle ?

Deux remarques préliminaires. Le fait que la coalition au pouvoir soit sanctionnée lors des élections locales ou intermédiaires ne doit pas surprendre. C’est presque devenu une règle dans les démocraties pluralistes, autrement dit une règle dans les démocraties contemporaines. Deuxième remarque : le PS n’a pas été sanctionné que dans les zones rurales. Il a perdu nombre de villes aux élections municipales... même si le fait qu’il conserve Paris notamment a pu masquer de très nombreux échecs locaux. La droite – UMP et UDI notamment – a regagné 60 villes de plus de 30 000 habitants. C’est presqu’autant que l’union de la gauche en 1977 qui en avait pris alors 64 à la droite. Cela dit, je n’expliquerais pas ces échecs de la gauche par le fait que ses élites se soient désintéressées de leur base électorale. Sans doute n’y a-t-elle pas suffisamment prêté attention. Mais cela vaut aussi pour la droite et renvoie, d’une part, à la professionnalisation de la vie politique et, d’autre part, à la faiblesse sinon à la disparition de tous les réseaux syndicaux ou associatifs qui ont longtemps prospéré au contact des formations de gauche. Avec la professionnalisation de la vie politique, les élus ne sont plus issus de ces réseaux ou de certains secteurs de la société mais ils ont fait toute leur carrière dans le giron de telle figure politique avant de lui succéder. Ils n’ont donc plus la légitimité sociale dont ils pouvaient se prévaloir autrefois. Et ils sont moins au contact direct de certaines réalités sociales. Cela dit, il faut prendre en compte également les effets de certaines mesures fiscales notamment prises par le gouvernement Ayrault qui ont frappé de nombreuses catégories, même modestes, qui ne s’y attendaient pas. Beaucoup, même dans les catégories polulaires, regrettent donc amèrement leur vote en faveur de François Hollande et n’ont donc pas voté en faveur de la gauche lors des municipales puis des européennes.

Juste avant la présidentielle, le think-tank Terra Nova suggérait au PS de s’appuyer sur des personnes diplômées et des minorités plutôt que sur les classes populaires. A force de ne pas savoir à qui s’adresser, le gouvernement socialiste parle-t-il encore à qui que soit ?

On peut supposer que pour Terra Nova, proche du PS, il s’agissait de sortir des sentiers battus, de sortir de visions trop "ouvriéristes" qui, à défaut de caractériser les classes populaires, marquent encore bien des élites politiques de la gauche. On peut supposer aussi que François Chérèque, ex-leader de la CFDT, étant devenu président de Terra Nova depuis 2013, les analyses du think tank sont moins manichéennes aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que la communication du gouvernement est pour le moins problématique depuis 2012 et qu’il y a une difficultés à s’adresser – et déjà d’ailleurs à définir – les classes populaires. La professionnalisation politique mais aussi syndicale n’a pas facilité les choses. Et cela explique aussi qu’une bonne partie des ouvriers se soient tournés vers le FN. Et, au passage, c’est d’ailleurs un ouvrier frontiste qui a pris la ville d’Hayange en mars dernier... Hayange étant la commune de Lorraine sur le territoire de laquelle est implantée la plus grande partie des usines Mittal de Florange, lieu d’une lutte sociale emblématique au début du quinquennat de François Hollande. Cela ne s’invente pas !

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