50 ans du Redoutable : pourquoi la France a toujours besoin de ses sous-marins nucléaires même si les conflits du moment pourraient en faire douter<!-- --> | Atlantico.fr
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La France célèbre cette année les 50 ans du Redoutable
La France célèbre cette année les 50 ans du Redoutable
©wikipédia

A l'abordage !

En 1964 débutait la construction du premier sous-marin nucléaire français, Le Redoutable. De savants calculs ont montré que ce type de bâtiment est l'objet le plus complexe que l'homme puisse fabriquer à ce jour.

André Thomas

André Thomas

André Thomas, rédacteur en chef depuis 2007, est entré au Marin en 2000. Il a également été journaliste spécialiste de la Marine au quotidien Ouest-France de 1993 à 2000.

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Atlantico : La construction du premier sous-marin nucléaire français, le Redoutable, a été lancée en 1964. Véritable prouesse technique, il pesait plus de 9 000 tonnes, était équipé d'un système de propulsion nucléaire et pouvait tirer des missiles à têtes nucléaires. Pouvait-on alors parler de révolution dans le monde de la défense ? 

André Thomas : C’est la marine américaine qui a mis au point le premier sous-marin nucléaire au monde, le Nautilus, en 1954. L'amiral américain Rickover, à l'origine de ce projet, avait dû batailler ferme pour obtenir cette construction, à l'époque personne n'y croyait.  

Le Redoutable a été mis au point après une première tentative, recourant à un type de chaufferie nucléaire différent qui a été abandonné en cours de programme car trop volumineux. Le Redoutable a été le premier d’une série de six sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), qui ont effectivement constitué un défi technologique considérable : il s’agissait d’installer un centre spatial pouvant lancer 16 missiles dotés d’ogives nucléaires, dans un village d’une centaine d’hommes, subvenant à tous ses besoins en toute autonomie durant plus de deux mois, le tout dans un cyindre de 128 mètres de long, 10 de diamètre, capable de plonger à plusieurs centaines de mètres grâce à une coque en alliage d’acier bien particulier, se déplacer à plus de 20 nœuds grâce à sa propre centrale nucléaire, le tout en silence et en sachant précisément où il se trouve à chaque instant, sans jamais refaire surface. De savants calculs montrent d’ailleurs que le SNLE est l'objet le plus complexe que l'homme puisse fabriquer. 

La France a su relever ce défi, par elle-même, car pour ce type de technologies touchant à la souveraineté nationale, les échanges entre États sont par définition très limités voire nuls. Il faut tout de même préciser que la France possédait, avant Le Redoutable, d’un solide savoir-faire en matière de sous-marins diesel-électriques. 

Le Redoutable quitte le port de Cherbourg en 1971, il y reviendra en octobre 1991 pour son démantèlement. Peut-on dire qu'il a eu un caractère dissuasif pendant la Guerre froide, qui correspond à cette époque ? 

Par nature, les SNLE, comme les autres armes nucléaires, sont des armes de "non-emploi". C’est le fait de les posséder, d’assurer les patrouilles aussi régulièrement qu’une montre suisse et de garantir à un agresseur qu’en dernière extrémité, on pourra faire feu de manière absolument fiable quoi qu’il soit arrivé à la France, qui constitue en soi la puissance de la dissuasion. 

Précisons que la France était déjà une puissance nucléaire depuis 1960, avant l’entrée en service de son premier SNLE. Grâce à ses différents vecteurs, dont les SNLE sont aujourd’hui les principaux, la "posture" de la France a été tenue en permanence sans que rien – à ce que l’on sache, mais un incident grave aurait été connu – ne remette en cause sa crédibilité. Disposer de "la" bombe est une chose, et de nombreux États souhaitent s’en doter, on le voit aujourd’hui avec l’Iran. Disposer d’un vecteur indétectable, tel qu’un sous-marin en plongée dans l’immensité de l’océan, en permanence, avec des missiles d’une portée telle qu’elle ne permet aucun doute sur les objectifs, en est une autre. La force océanique stratégique dote la France d’un statut rare, ce qui, pour des raisons à la fois politiques et militaires, a rendu obsolètes les missiles basés à terre. La France conserve cependant, dans l’armée de l’Air et la Marine, des missiles nucléaires "pré-stratégiques" aéroportés. Rappelons que seuls les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et, depuis peu, la Chine, disposent de SNLE. 

Dans le contexte de la Guerre froide, qui a été de fait un temps de non-engagement militaire entre les grandes puissances elles-mêmes, il est certain que la France a joué sa partition propre. Tout en étant constamment membre de l’Otan, elle s’est dégagée de la tutelle américaine.

Quel statut le Redoutable a-t-il donné à l'armée française ? 

Le Redoutable, pas plus que les 9 autres SNLE qui ont suivi, n’ont été "engagés" dans un conflit, ce n’est pas leur  vocation. Les SNLE assurent leurs patrouilles, en permanence, point final. Un commandant de sous-marin m’indiquait, lors d’une plongée à laquelle j’ai eu la chance de participer, que sous la mer, à bord d’un SNLE, il n’y a ni guerre, ni paix. 

En revanche, il faut noter que dans la foulée de la construction de ses premiers SNLE, la France a également mis au point un autre type de sous-marin à propulsion nucléaire, plus petit, n’emportant pas de missiles balistiques : ce sont les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), qui eux, sont destinés à intervenir. Pour un sous-marin, dont la principale force est sa capacité à être caché par plusieurs centaines de mètres de profondeur, la propulsion nucléaire apporte un avantage décisif sur les sous-marins "classiques" à propulsion diesel-électrique, qui doivent obligatoirement refaire surface pour recharger leurs batteries. Le programme des SNLE a donc permis à la France d’entrer dans le club restreint des marines dotées de SNA, lesquels sont aujourd’hui un avantage décisif dans les conflits conventionnels.

Les SNA sont également un excellent moyen de savoir ce qui se passe sous l’eau, en complément des frégates anti-sous-marines, que la France possède également. Un officier, ancien commandant de sous-marin, m’a un jour raconté que c’est grâce aux premiers SNA que les Français ont véritablement perçu l’intensité du trafic de sous-marins soviétiques et alliés devant les côtes françaises, en Atlantique comme en Méditerranée.

Cette année, outre l'anniversaire du début de la construction du Redoutable, on commémore la guerre 1914-1918. Dans l'esprit de la population, elle est associée aux tranchées. Ce conflit a aussi marqué l’Histoire parce que c’est là que le sous-marin a été massivement utilisé pour la première fois, en l’occurrence par les Allemands. Aujourd'hui, un nombre croissant de marines possèdent ou se dotent de sous-marins, qui, même à propulsion classique, constituent des armes redoutables. 

Aujourd'hui la menace première pour la France est le terrorisme. Faut-il pour autant mettre au placard les sous-marins nucléaires ? 

Ce sont des registres différents. La dissuasion nucléaire constitue une menace à l’égard d’un État hostile. Elle n'est pas faite pour lutter contre le terrorisme, qui est le fait d’acteurs non-étatiques. Il est naturel que la population s'interroge sur les dépenses liées à la dissuasion nucléaire par rapport aux problèmes que pose le terrorisme. On peut aussi mettre en regard les dépenses liées à la dissuasion face aux besoins des armées dans les opérations militaires conventionnelles. On sait par exemple qu’en Libye, les moyens militaires européens n’auraient pas suffi et que l’aide américaine était indispensable. Cela doit faire réfléchir : quelle vocation politique – et donc militaire – voulons-nous pour la France et l’Europe sur la scène internationale, face à des situations que l’on juge inacceptables ? Doit-on laisser les Etats-Unis être les seuls gendarmes du monde ? A chacun d’y réfléchir et d’en tirer les conséquences sur le plan de notre action et de nos moyens, les armées n’étant, in fine qu’une corde à l’arc de la diplomatie. La question de la dissuasion et des moyens qu’on y consacre est de nature différente. Le général de Gaulle avait dit, après le seul emploi de bombes nucléaires, par les Américains, au Japon, que, "désormais, on ne désinventera pas la bombe". Considère-t-on qu'un contexte semblable aux deux guerres mondiales, à la Guerre froide peut, à coup sûr, ne jamais se reproduire ? Face aux puissances nucléaires actuelles et futures, USA, Russie, Chine, Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord et peut-être un jour l'Iran, à chacun de voir s'il paraît prudent ou non de conserver ou abandonner sa puissance nucléaire. 

Une chose est certaine : la dissuasion n’a de sens que si elle est parfaitement crédible. Cela suppose un ensemble de technologies, de savoir-faire industriels et militaires qu’on ne peut stopper puis réactiver à la demande. Les expertises nécessaires demandent des années de formation et d’expérience aux marins, cela ne s’improvise pas.

Les sous-marins nucléaires ont-ils conservé tout leur potentiel dissuasif ? 

A ce jour, le SNLE reste le moyen le plus efficace d’emporter des missiles nucléaires en toute invulnérabilité. Si tel n’était pas le cas, les Etats-Unis n’en posséderaient pas 14, les Russes 11 et la Chine 4 ! IL faut savoir qu’à ce jour, les sous-marins nucléaires - dont les navires français - sont considérés comme plus silencieux que l’univers biologique marin lui-même. Un sous-marin en immersion stable fait moins de bruit qu’un banc de crevettes… Cela ne le met pas à l’abri, certes, des autres sous-marins ou des sonars actifs déployés par aéronefs  ou par certaines frégates mais disons, pour faire court, que leur détection n’est pas chose facile dans la mesure où ils peuvent fuir toute zone de recherche. On a eu récemment la preuve de la totale discrétion des sous-marins britanniques et français, puisque deux de ces navires se sont touchés – sans trop de dommage - en cours de navigation, un accident qui reste cependant exceptionnel. 

La question qui se pose pour les prochaines générations de sous-marins est de savoir si des moyens autres que la détection acoustique pourront être utilisés contre les sous-marins. Le recours au rayon laser bleu-vert est régulièrement évoqué.  

Possède t-on d'autres technologies venues détrôner le sous-marin nucléaire ? Est-il toujours craint ? 

La bombe nucléaire reste l'arme la plus destructrice que l'on ait inventé. Aujourd'hui, le meilleur moyen de la mettre en œuvre et de faire peser une menace nucléaire, c'est le sous-marin. 

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