Les scandales de la République : à qui profitent-ils ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Jérôme Cahuzac.
Jérôme Cahuzac.
©Reuters

Bonnes feuilles

Cet ouvrage démontre, sans esprit polémique mais sans complaisance, que tous obéissent à une même mécanique. Car le scandale est rarement un épiphénomène ou un événement autonome, il est bien au contraire un élément moteur de notre histoire politique, une arme dont tous les partis, à un moment ou à un autre, se sont servis. Extrait de "Les scandales de la République", de Jean Garrigues, publié chez Nouveau Monde Éditions (1/2).

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Maurice Rouvier est l’incarnation d’un système appuyé sur la collusion des élites politiques et financières, sur le délit d’initiés, le bon tuyau, le passe-droit et le favoritisme. Pourtant, cet affairiste forcené, maintes fois soupçonné par la rumeur publique et même par la justice, a presque toujours échappé au scandale, si ce n’est à celui de Panama. Alors pourquoi cette étrange mansuétude du système politique et judiciaire à l’égard d’un homme que tous savent corrompu ? Tout simplement parce que Rouvier est un fin politique, qui sait préserver ses arrières et se ménager des amitiés puissantes. Il a compris cette maxime fondamentale du parlementaire expérimenté : c’est l’exploitation politique qui fait le scandale.

Le scandale,une arme politique

On ne peut pas expliquer les scandales de la fin du XIXe siècle si l’on ne mentionne pas l’émergence à cette époque d’une famille politique nouvelle : la droite nationaliste. Ce courant populiste et antiparlementaire, né de la crise sociale et morale que traverse alors la France, n’existait pas encore dans les années 1870, lorsque ont éclaté les premières affaires. Le débat politique de l’époque opposait les républicains et les monarchistes. Aucun républicain digne de ce nom n’aurait souhaité déstabiliser le régime naissant, alors qu’il était si vulnérable. Les monarchistes, en perte de vitesse, et eux-mêmes liés aux milieux affairistes, ne s’y sont pas risqués.

À la fin des années 1880, la situation a considérablement évolué. La conquête républicaine est achevée, la France est entrée dans la crise depuis le krach boursier de 1882, et les républicains se divisent entre radicaux et modérés. Le terrain est favorable pour qu’apparaisse une droite nouvelle, qui prend le relais de la vieille droite monarchiste. Elle se trouve un chef en la personne du général Boulanger, nommé ministre de la Guerre en janvier 1886, et qui est devenu en quelques mois la personnalité la plus populaire de France. Autour de lui se coalisent tous les déçus de la République, qui voient en lui le sauveur providentiel, l’homme de la Revanche sur l’Allemagne, et surtout celui qui va nettoyer les écuries nauséabondes d’un Parlement corrompu.

L’affaire Wilson, qui éclate en octobre 1887, tombe à pic pour Boulanger et pour ses partisans. C’est l’occasion rêvée pour le général Revanche d’endosser la tunique blanche du justicier aux mains propres. La presse boulangiste s’en donne alors à coeur joie, dénonçant la pourriture d’un régime dans lequel le propre gendre du président de la République trafique des décorations au palais de l’Élysée. Henri Rochefort, le plus brillant polémiste de l’époque, ne se lasse pas de pourfendre Wilson, Grévy, Ferry et les autres dans son journal L’Intransigeant. Le 2 décembre 1887, jour de la démission de Grévy, les manifestants boulangistes et les ligueurs nationalistes de Déroulède se mêlent aux socialistes pour encercler le Palais-Bourbon. Grâce aux manoeuvres de Clemenceau, c’est finalement Sadi Carnot qui succède à Grévy, et c’est Jules Ferry qui paie la note du scandale. Le général Boulanger, qui espérait retrouver le ministère de la Guerre, devra se contenter du lit de sa maîtresse Marguerite de Bonnemains. Mais cinq ans plus tard, ses anciens compagnons feront éclater le scandale de Panama.

Pourtant, les sommes prélevées par les journaux ne sont rien par rapport aux commissions prélevées par les grandes banques françaises, le Crédit Lyonnais, la Société générale, la Banque de Paris et des Pays- Bas, pour accepter de placer et de garantir les emprunts de la Compagnie de Panama. Alors que le gain habituel des commissions bancaires était de 1,5 à 2 % en moyenne, elles ont réclamé plus de 5,6 % à Lesseps. Devant la commission d’enquête parlementaire, ce dernier n’a pas de mots assez durs pour qualifier ces banquiers étrangleurs, dont « les exigences sont devenues de plus en plus fortes à mesure que la situation devenait difficile ». De ce véritable racket financier auquel se sont livrées les banques, on s’est bien gardé de trop parler dans les rapports parlementaires et dans les audiences des procès. Il n’y a pas eu de scandale des banques, comme il n’y a pas eu de scandale de la presse. Ce sont les parlementaires, et eux seuls, qui ont subi l’opprobre du grand public.

Extrait de "Les scandales de la République", de Jean Garrigues, publié chez Nouveau Monde Éditions. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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