Retraite en monastère ou centre de méditation : ce que cherchent vraiment les Français qui s’offrent des vacances spirituelles<!-- --> | Atlantico.fr
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De plus en plus de Français optent non pas pour des vacances au bord de la piscine mais pour des retraites spirituelles
De plus en plus de Français optent non pas pour des vacances au bord de la piscine mais pour des retraites spirituelles
©REUTERS/Edgard Garrido

En quête de sens

De plus en plus de Français optent non pas pour des vacances au bord de la piscine mais pour des retraites spirituelles. A la recherche de sens, de projets et d'eux-mêmes, ils n'hésitent pas à se reclure.

Jean-Didier Urbain

Jean-Didier Urbain

Jean-Didier Urbain est sociologue, spécialiste du temps libre, des vacances et des voyages.

Il est l'auteur de Le voyage était presque parfait (Payot, 2008) et L'envie du monde (Breal, 2011)

 

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Atlantico : Certaines personnes optent chaque été pour des vacances spirituelles, à savoir des retraites dans des monastères ou des temples, des pèlerinages, etc. Quelles sont les motivations qui poussent ces personnes à choisir ce type de destinations ?

Jean-Didier Urbain : Les personnes qui choisissent ce type de voyage sont très souvent à un moment de leur vie où elles ressentent le besoin de faire un point sur leur existence. Ce besoin de se recentrer peut s’expliquer de différentes manières, qui finalement se corrèlent toutes plus ou moins.

Les personnes concernées peuvent se retrouver à l’aube d’un changement décisif dans leur vie comme l’emménagement avec quelqu’un, l’arrivée d’un bébé, le changement de travail, les enfants qui partent, un divorce, etc. Il s’agit alors de faire le point avant de commencer une nouvelle vie et de prendre des décisions. Les personnes se retrouvant dans cette situation opte par ailleurs très souvent pour le pèlerinage.

Dans la même lignée, il s’agit pour certains de reformuler un projet de vie, alors que la leur manque de sens justement. Leur projet actuel n’est pas très clair, qu’il soit conjugal, professionnel ou autre. L’idée est alors de retrouver une certaine motivation, de retrouver du sens dans son existence et de combler un vide, vide parfois dû à un mal-être chronique, voire dépressif. Finalement le projet fait vivre. Comme disait Sartre, l’homme n’est rien d’autre que son projet ; sans lui, il n’est rien.

Une autre raison explique ce besoin de se ressourcer : un dégoût notable face au monde. Imaginez que vous lisiez un texte compliqué. Au bout d’un moment, il vous dégoûte. Certaines personnes ressentent la même chose face à ce monde qu’il trouve de plus en plus incompréhensible et incohérent. Elles souhaitent alors prendre de la distance, du recul afin de retrouver ce qu’il peut y avoir d’admirable dans l’humanité et le monde. Elles ont besoin de se rendre compte que les hommes ne sont au fond pas si mauvais, que parler est encore possible. De plus, étant donné que l’on est de plus en plus informé, le voyage apparaît comme une alternative pour supporter le monde.

Finalement, les vacances ne sont jamais vraiment anodines, ni aussi dépourvues d’enjeux que l’on pourrait le penser. Même les vacances familiales par exemple servent à se retrouver en famille, à retrouver chaque membre. Concernant les voyages spirituels, il s’agit d’une véritable quête de sens. On cherche à se retrouver pour savoir ce que l’on veut, ce dont on a envie et ce à travers quoi on souhaite exister.

Comment se caractérisent ces vacances ? Que recherchent précisément d'un point de vue pratique ces personnes ?

Vivre en solitaire ou collectivement, le tout est de trouver un contexte propice à ses attentes. Certains vont plutôt rechercher un maître, une sorte de gourou et de guide à travers un prêtre, un professeur de yoga, de judo, etc. Quelqu’un qui puisse nous remettre sur la voie et nous laisser le temps et les clés nécessaires à la reformulation d’un projet.

Les contextes en question sont variés. Pour ceux qui recherchent l’unanimité, le collectif, il y a des destinations comme Bénarès en Inde et ses cérémonies où se rassemblent une multitude de personnes. D’autres préféreront un collectif plus restreint, dans un monastère, dans un temple bouddhiste, dans un centre. C’est là que l’on trouve certainement les formes les plus religieuses du voyage spirituel. D’autres encore choisiront des lieux de relaxation fondés sur la solitude et le retour sur soi. Ce type de voyage peut également s’appeler "tourisme thérapie", c’est-à-dire des voyages conçus pour se soigner et se donner les moyens d’un profond retour sur soi.

Quelque part, le tourisme humanitaire peut également faire partie de cette catégorie de voyages, étant donné qu’il y a cette notion d’aller vers l’autre, de retrouver des valeurs perdues. Notamment celles d’altruisme et de compassion, celles du partage et de l’échange. Cela me fait penser à une scène du film Crocodile Dundee. Il arrive à New York et cherche à dire bonjour à tout le monde mais se retrouve face à des murs de pierre et d’individualisme.

La recherche de l’autre peut également être la recherche du divin, voire de Dieu, ou d’un idéal philosophique que l’on n’a pas le temps d’explorer et de consommer en temps normal. Le voyage spirituel est alors une quête de restauration du contact et d’un échange perdu.

Quel est le profil des personnes qui choisissent ce type de vacances ?

La catégorie socio-professionnelle la plus touchée est sans aucun doute celle des cadres dirigeants, leaders dans la pratique des congés sabbatiques, avec ou sans convention avec l’entreprise. A un moment donné de leur vie, certains s’arrêtent de travailler, ils plaquent tout et partent en voyage six mois, un an, voire plus afin de faire le point et de prendre du recul justement. Il existe d’ailleurs toute une littérature rédigée par des cadres sur leur voyage en solitaire.

Beaucoup expliqueront qu’ils en avaient besoin car ils ne pouvaient plus continuer à travailler de la sorte, à être robotisés, mécanisés comme ils l’étaient. Ils n’avaient plus le temps d’être eux-mêmes. Par conséquent, ce voyage est vécu comme une réaffirmation de son identité, de réappropriation de ses envies et de ses projets.

Ce type de vacances est-il en augmentation ?

Oui mais sous des formes diverses. Il n’y a pas que le tourisme religieux. Le tourisme spirituel englobe effectivement beaucoup plus de choses. On pourrait même parler de tourisme existentiel. Les gens vont de plus en plus rechercher des expériences qui leur permettent de se reconquérir eux-mêmes, de redonner du sens à leur existence.

A l’instar de ce que l’on a pu voir dans les années 1960 avec le mouvement de contre-culture hippie qui s’est ensuite étouffé pour laisser la place à un tourisme plus conventionnel, réapparaît aujourd’hui un tourisme d’esprit qui n’ira qu’en s’amplifiant et qui sera de plus en plus scénarisé par l’image de la quête religieuse, historique. D’autant plus que le sentiment d’insécurité et d’incompréhension du monde n’ira qu’en s’accroissant. Le tourisme est quoi qu’il en soit un symptôme de la société. Il nous renseigne sur les désirs d’une société, sur ses manques, ses phobies et il suit l'évolution des mentalités. 

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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