Même si la pauvreté ne prend pas de vacances, concentrer les aides l’hiver reste la politique la plus rationnelle<!-- --> | Atlantico.fr
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L'été, de nombreuses associations venant en aide aux plus démunis ferment leurs portes.
L'été, de nombreuses associations venant en aide aux plus démunis ferment leurs portes.
©Reuters

Quand soleil ne rime pas avec bonheur

Les beaux jours sont synonymes de vacances et de soleil pour la majorité de la population. Pour une autre partie, les précaires et les SDF, elle est associée à la galère. Entre fermeture d'associations et réduction du nombre de logements, l'été est la période la plus difficile pour ces populations.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Atlantico : L'été de nombreuses associations venant en aide aux plus démunis ferment leurs portes. Pour pallier ce manque, Août secours alimentaire a été crée il y a vingt ans. Quelles sont les conséquences de ces fermetures sur les populations les plus démunies ? Souffrent-elles davantage en hivers qu'en été ?

Julien Damon : La pauvreté ne prend pas de vacances, hiver comme été. Le constat est connu est rabâché depuis des années, des décennies même. Les services associatifs comme les services publics d’ailleurs font relâche pendant les périodes estivales, et ces périodes de fermeture annuelle pèsent naturellement sur leurs bénéficiaires. Il en va de distributions de repas, comme d’hébergement d’urgence. Or, hiver comme été, il faut bien se nourrir et se loger. Si on se concentre sur les personnes à la rue (complètement à la rue), alors oui bien entendu la fermeture des services a un impact négatif. Mais si on prend en compte une population plus large, bien plus large, celle des bénéficiaires des Restos du Cœur (qui fonctionnent encore sous la forme de "campagnes"), elle aussi pâtie des conséquences de cette gestion saisonnière de la pauvreté. Mais ce constat est un marronnier journalistique. L’hiver est, bien entendu, plus rude pour les plus démunis.

Qu’il s’agisse, une nouvelle fois, des gens complètement à la rue (qui risquent, quoi que disent certains experts en quête de notoriété, davantage quand il fait très froid que très chaud) ou des familles mal-logées (qui ne peuvent pas se chauffer). Et, pour des raisons que l’on peut critiquer mais qui sont aisées à comprendre, il est plus facile de mobiliser l’opinion et les fonds publics en hier, notamment autour de la période de Noël. Ce constat est vrai en France et un peu partout dans les pays occidentaux. On entend souvent dire que l’été serait plus problématique pour les sans-abri. C’est vrai en termes de services (les services dits d’urgence ferment). Mais ce n’est pas vrai en termes de possibilités de vie (aussi précaire et insoutenable puissent-elles être). D’abord, comme le dit le grand sociologue de la pauvreté qu’est, de fait, Charles Aznavour, "la misère est moins pénible au soleil". Il y a – comme chez les touristes en général – de l’héliotropisme. Les personnes défavorisées, en particulier en été, se déplacent. Vers le Sud et l’Ouest en particulier. Ensuite, l’hiver reste, pour des raisons absolument évidentes (qu’aucune étude sérieuse ne vient contredire) plus dangereux. C’est simple : essayez de dormir à la belle étoile à la périphérie d’une grande ville quand il fait moins 5 degrés ou quand il fait plus 20 degrés.

Quelles sont les catégories les plus exposées ?

Les catégories les plus exposées aux problèmes de l’été (chaleur, déshydratation, prises en charge rendue plus compliquée par l’absence des bénévoles et des professionnels) sont les personnes isolées. Il peut s’agir des sans-abri, mais je répète que ce n’est pas vraiment aussi problématique que certains sensationnalistes le soutiennent. Il s’agit surtout des personnes âgées, éloignées de leur famille (si il leur en reste). Ce sont aussi les enfants des familles défavorisées et/ou mal-traitantes, qui les laissent sans précaution dans des appartements (quand ce n’est pas des véhicules) trop chauds et mal ventilés.


Fin juin-début juillet 2013, les demandes d'hébergement de SDF au 115 ont été équivalentes à celles enregistrées en hiver, et 76% d'entre elles n'ont pas trouvé de réponse, un "record", selon le dernier baromètre 115 de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars). Le centre d’hébergement  Pourquoi cette différence de places selon la saison ? Comment expliquer la baisse d'offres de logements pour les SDF ?

Depuis toujours – c’est-à-dire depuis que des paroisses et des œuvres privées ont créé des centres d’hébergement d’urgence – on a fonctionné sur cette politique maintenant dite du " thermomètre ". Il fait froid : on héberge, on protège, on nourrit. Il fait chaud : ce serait aux individus et familles de se débrouiller. Les pouvoirs publics ont suivi. Depuis les années 1980 – c’est-à-dire depuis que l’Etat s’investit explicitement et très fortement (chaque année les dépenses augmentent) – nous avons une "campagne hivernale". L’idée est simple : on ouvre des places d’hébergement en urgence. Celles-ci sont, les années suivantes, transformées en places d’hébergement toute l’année (sous un autre format juridique, et avec d’autres financements publics). Puis à l’hiver nouveau il faut de nouvelles places d’hébergement d’urgence. Qui sont ensuite transformées en places ouvertes toute l’année. Et ainsi de suite. Et puisque la France et ses grandes villes – Paris en tout premier lieu – sont (quoi qu’on en dise) très accueillantes et très généreuses, la demande est en fait infinie (à l’échelle européenne, voire mondiale) tandis que l’offre, qui grandit tous les ans, est finie. En tout cas la demande dépassera toujours l’offre quand d’autres pays ne font rien ou presque pour loger leurs ressortissants démunis.

En hiver, les médias relaient les plans d'aide, les tournées des associations, le nombre de SDF morts de froid... Et pourtant, selon l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale 21,1% des décès ont lieu en été, un chiffre très proche des 25% de l'hiver. Quelle influence le silence des médias a-t-il sur la population?

Il se trouve que j’ai présidé cet Observatoire. Je connais bien les chiffres qu’il relaie. Tout ceci n’a rien de très valide. Personne ne sait combien de personnes sont sans-abri. Ce chiffre est une quête infinie. Si l’on peut se permettre une analogie, on peut aussi se demander combien de personnes ont la grippe, combien de personnes ont une jambe cassée. Tout dépend de la date. Deuxième problème : le nombre des décès des personnes sans-abri (qui a fait l’objet d’études méthodologiques plutôt que de recensements) n’est pas connu. Et c’est d’ailleurs tant mieux. Est-ce que sans-abri est une catégorie qui vous concerne pleinement dans votre identité, toute votre vie ? Non. Au moins d’un point de vue statistique. Sur le silence des médias, une première remarque. D’abord il est tout à fait vrai que l’on parle beaucoup plus des sans-abri en hiver qu’en été, et ce – encore une fois – un peu partout en Occident. Ensuite, je ne trouve pas de silence médiatique. On en parle aussi en été. La preuve. On en parle peut-être un peu moins ces dernières années. C’est – je crois – la conséquence d’une certaine "fatigue de la compassion" (comme cela a été baptisé aux Etats-Unis). À force d’en parler, à force de dire que tout va de plus en plus mal, à force aussi (en France) de dépenser toujours davantage, on est de plus en plus critique. Non pas forcément à l’égard des personnes, mais à l’égard des dispositifs publics.

Comment expliquer le peu de prise de conscience en été ? 

On peut caricaturer. En hiver, autour de la dinde de Noël, on s’apitoie. En été, en particulier dans les villes de vacances, on ne veut pas être gênés par la mendicité. D’où une action publique à deux têtes : en hiver des hébergements en urgence pour héberger les sans-abri ; en été des arrêtés anti-mendicité pour les repousser. Mais c’est de la caricature. La plupart des places d’hébergement financées publiquement (90 % d’entre elles) sont ouvertes toute l’année. Mais elles ne bénéficient pas à ceux qui les refusent et/ou à ces autres sans-abri qui ne peuvent rester ou ne sont acceptés que dans les centres d’hébergement dits d’urgence (qui eux ferment en été). Et la lutte contre la mendicité – sous ses formes agressives et d’exploitation des êtres humains – se déploie ou devrait se déployer toute l’année.

La loi Duflot de 2012 a permis l'ouverture de 8000 places hivernales supplémentaires qui ferment malheureusement en été. La réponse des pouvoirs publics est -elle suffisante  ?

La loi Duflot n’a rien permis du tout. Le communiqué de presse qui l’accompagne, comme celui qui a accompagné de nombreux textes depuis des décennies, parle de plusieurs milliers de places supplémentaires, certes. Mais d’abord ce n’est pas vrai. Ce ne sont pas autant de places. Ce ne sont pas des places mais souvent des nuits dans des hôtels (à des coûts, supportés par les finances publiques, surréalistes).

Ensuite, c’est la logique des Ministres du logement et des Ministres des Affaires sociales, de gauche comme de droite, que de vouloir augmenter l’offre. Mais pour quel objectif ? Qu’est-ce qui serait "suffisant" ? Comme on ne connaît pas le stock de personnes à loger, et qu’il s’agit plus d’un flux, il ne sert à rien de vouloir augmenter l’offre. Le sujet compliqué est de savoir à qui sont destinés les logements HLM. Aujourd’hui ils sont – c’est légitime – ciblés sur les classes moyennes et on attend d’eux qu’ils logent aussi les plus défavorisés. Mais s’ils doivent faire encore plus en la matière, il faut revoir leur modèle économique. Un autre sujet compliqué, et plus fondamental, est celui de la dimension européenne du problème. Je répète. La France est probablement le pays le plus généreux et le plus tolérant. Dans un espace de libre circulation, ceci place la question SDF au niveau européen. Et non au niveau national. Plus la France ferra, plus elle aura à faire si les autres ne font rien. Il faut donc décentraliser cette politique – pour qu’elle soit de la responsabilité des métropoles – et en même temps l’européaniser – afin que toutes les métropoles européennes fassent des efforts pour leurs sans-abri (et, soit dit en passant, leurs réfugiés et sans-papiers, ces dossiers étant de plus en plus connectés. Pour cette question européenne, deux options : soit une forte européanisation des politiques (avec des objectifs chiffrés), soit la fermeture des frontières. Tout le reste c’est du pipeau. 

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