Derrière la vogue des belfies, comment certaines femmes sont prêtes à dépenser des fortunes pour des soins des fesses<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
People
Certaines femmes n'hésitent pas à payer entre 45 et 200 € pour sublimer leur postérieur.
Certaines femmes n'hésitent pas à payer entre 45 et 200 € pour sublimer leur postérieur.
©

Autoportrait de mon c**

Dans les nombreuses sous-catégories des "selfies", une nouvelle tendance fait son apparition : le belfie ou selfie des fesses. A tel point que de nombreuses femmes n'hésitent pas à payer entre 45 et 200 € pour sublimer leur postérieur.

Corps à  mains nues

Corps à mains nues

Corps à mains nues est un institut de beauté situé à Caen et proposant parmi ses prestations le soin des fesses.

 

Voir la bio »
Christophe Colera

Christophe Colera

Christophe Colera est sociologue et anthropologue.

Il a écrit La nudité pratiques et significations, éditions du Cygnes 2008 et Les tubes des années 1980 (Cygnes, 2013)

Voir la bio »

Afin de parfaire leur postérieur et coller à la mode ambiante qui consiste à avoir un fessier digne d'une Vénus des temps modernes, certaines femmes – principalement des jeunes qui ont entre 30 et 35 ans – n'hésitent pas à recourir à un soin des fesses en Institut afin de le raffermir, de le rebondir et de sublimer sa peau.

L'institut caennais Corps à Mains Nues prodigue ce fameux soin et nous a expliqué les différentes étapes qui permettent de parfaire un derrière. Un soin d'une durée d'une heure et demie et d'un coût d'environ 45 €. Voire 200 € si l'on choisit un traitement de cinq séances.

La première étape consiste à gommer la peau afin de retirer toutes les cellules mortes et d’activer la circulation sanguine au niveau des fibres de collagène et d’élastine. L'objectif ici est d’adoucir, d’enlever les imperfections et de raffermir la peau, tout en permettant aux produits suivant de bien la pénétrer et d’accentuer leur efficacité.

Un sérum amincissant ou raffermissant va ensuite être appliqué sur l'ensemble du postérieur, tandis que des ventouses en verre vont être déplacées tout le long en faisant un palper-rouler. A l’aide d’un briquet, un appel d’air va ainsi être créé et provoquer un effet de succion. Cela permettra de décoller les adipocytes, cellules de stockage de la graisse, tandis que la graisse contenue dans ces cellules va être retirée et évacuée par la lymphe, liquide biologique responsable de l’évacuation des déchets et des toxines.

Vient ensuite l'étape du modelage, très tonique à base de claques et de percussions. Directement après, des bandes de tissus préalablement trempées dans une lotion froide à base de camphre, de menthol et d’eucalyptus vont être appliquées pendant une quinzaine de minutes. Ces bandes vont permettre de contracter les tissus et de raffermir la peau.

Atlantico : De plus en plus de britanniques se rendraient en institut afin de se faire un soin des fesses. Bon nombre d'entre-elles seraient démoralisées par les belfies, des photographies de fesses, postés sur les réseaux sociaux par les stars. Connait-on le même phénomène en France ? Y a-t-il un diktat des fesses parfaites provoqué par les réseaux sociaux ?

Christophe Colera : La tendance remonte déjà à l'an dernier dans le monde anglosaxon. On ne dispose pas d'éléments précis sur la pratique en France. Les réseaux sociaux permettent à toutes celles qui veulent rivaliser de conformité avec les canons de beauté de le faire sans effort. En ce sens elles "amplifient" le diktat, mais celui-ci pré-existe à sa diffusion sur les réseaux sociaux, et il est vieux de plusieurs décennies. Déjà dans le film "ché ?" de Roman Polanski en 1972 il y avait un débat sur le fait que les Américains vénéraient les seins idéaux tandis que les Italiens vénéraient les fesses idéales.

A quoi ressemblent les fesses parfaites que ces femmes cherchent à atteindre ? Cette idéal a-t-il évolué avec le temps ? 

Aujourd'hui il y a un idéal des formes sphériques, à la fois généreuses et fermes, ce qui traduit une maîtrise de son apparence, notamment par une musculation adéquate, ou des implants. Il suffit de regarder l'Aphrodite de Praxitèle ou les Grâces de Rubens pour voir que l'idéal a fluctué en la matière. On peine à trouver des constantes entre les cultures. Certains prétendent que le rapport taille-hanche idéal est la seule donnée qui ne varie pas dans le temps, mais même cela est assez controversé. La valorisation de la courbe féminine au niveau des seins et des fesses, par contraste avec une taille fine est plutôt liée à une société d'abondance qui n'a pas besoin de rechercher l'embonpoint chez les femmes. Elle permet de jouer sur la différence sexuelle (stimulus du désir) d'une façon délicate - la nature ayant spontanément tendance à doter les femmes de réserves de graisse au niveau des fesses, un don naturel (pas totalement arbitraire donc...) qu'il s'agit en quelque sorte de "ciseler" conformément au goût du cerveau humain pour les cercles (Aristote déjà disait que Dieu était circulaire, parce que c'est la forme géométrique parfaite, celle de l'infini).

Comment expliquer l'apparition du belfie ? 

Le belfie succède à diverses formes de selfies : selfie des pieds ou des jambes, NoMakeUp selfie, le drelfie (photo de soi ivre) etc. Autant de façons de fétichiser son apparence et la fixer dans une image sans l'aide de personne et sous l'angle qu'on veut, en la livrant à un public anonyme dans une sorte de narcissisme gratuit qui tient aussi de la bouteille à la mer. Evidemment centrer le selfie sur les fesses c'est épouser les valeurs d'une époque très axée sur la sexualité, les vertus positives pour l'individu et la collectivité du désir (un désir vécu dans l'ordre du jeu des images plus que dans les pratiques tactiles).

Pour une femme c'est une façon de dire "je suis l'objet sexuel tellement parfait que j'en deviens un sujet tout puissant", avec un jeu sur les paradoxes, "je ne suis que mes fesses, mais je suis toutes mes fesses, je suis la toute-puissance de mes fesses sur les imaginaires masculins et je l'assume pleinement en en faisant un oeuvre d'art". Les anciens calendriers des pin ups, les publicités pour la lingerie, l'apparition du string, puis le porno version "gonzo" (la série déjà relativement ancienne "Big Tits Round Asses", la mise en scène particulière des dénudations des fessiers) ont successivement beaucoup contribué la valorisation des fesses rondes cambrées en présentation frontale. Sa transposition dans la danse de popstars comme Jennifer Lopez (qu'on n'appelait plus que "the butt") au début des années 2000 a pris le relais, et ce sont encore des people ou des stars comme Kim Kardashian, Lady Gaga qui jouent un rôle très actif dans le culte du belfie. Sauf que sur les réseaux sociaux, plus encore que le Topless de dos, le Belfie souvent élide la tête, et donc gomme l'identité pour focaliser sur ce que Lacan aurait appelé l'objet partiel, l'objet a. Cette métonymie (substitution de la partie au tout) a quelque chose de très second degré aussi. Par le seul effet de l'appropriation des fesses à des fins purement esthétiques ("je suis mes fesses") on exorcise la violence potentielle du désir masculin, on s'en rend maître sur un mode complice, un peu d'ailleurs comme quand Kim Kardashian dit "I just want to be a MILF". En plus cela requiert un petit effort artistique : recherche de la bonne pose, du bon effet de lumière, qui accroît l'effet d'appropriation et presque d'auto-construction de soi à travers le belfie.

Les réseaux sociaux sont-ils l'unique moyen d'imposer ce nouvel idéal ? 

Il ne pourrait pas y avoir de belfie sans cette sorte de "vitrine" planétaire que constituent les réseaux sociaux qui permettent à chacune de s'exposer en gardant le contrôle de cette exposition. Mais l'idéal des fesses rondes dures, lui, peut continuer à trouver divers supports de représentation. Même des couvertures de romans de la série SAS dans les librairies des gares peuvent continuer à réactiver l'idéal dans le regard et l'inconscient des gens. Les occasions de croiser cette norme, ce canon de beauté, sont nombreuses chaque jour.

Est-ce la société entière ou uniquement cette poignée de personnes qui impose une image de fesses parfaites ?

Les fesses très rebondies et fermes, comme on l'a indiqué ne sont pas un idéal "imposé" par les réseaux sociaux, mais relayé par ceux-ci. De même les personnes qui postent leur "belfie" se conforment à un idéal dont les origines est ailleurs. Les canons de perfection naissent plus d'une imprégnation par multiplication des images, que d'une "imposition" artificielle par un groupe restreint de personnes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !