Séminaire gouvernemental : comment François Hollande s’interdit d’atteindre ses objectifs en ignorant le problème n°1 de l’économie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Le séminaire gouvernemental a lieu ce vendredi
Le séminaire gouvernemental a lieu ce vendredi
©Reuters

La politique des œillères

Au lieu d'un conseil des ministres lundi, le gouvernement se retrouve en séminaire ce vendredi 1er août pour préparer les deux grands dossiers de la rentrée : les assises de l'investissement et l'apprentissage. Malheureusement le travail des ministres ne donnera lieu qu'à des déclarations sans conséquences notables tant que la politique macroéconomique européenne n'aura pas été réorientée.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Ce vendredi 1er août, le gouvernement se réunit en séminaire afin de préparer les deux grands dossiers de l'automne dont l'apprentissage fait partie. Lors de sa conférence sociale qui s'est clôturée le 8 juillet 2014, le gouvernement avait en effet déjà rappelé son objectif d'atteindre les 500 000 apprentis en 2017, contre 415 000 aujourd'hui. Alors que l'apprentissage est souvent considéré comme un moyen efficace d'insertion des jeunes sur le marché du travail, faut-il se réjouir de ces annonces ? 

Nicolas Goetzmann : Le cas de l’apprentissage est traité par l’exécutif dans un plan plus général de lutte contre le chômage des jeunes. Malgré une volonté d’aller de l’avant sur ce sujet les chiffres n’ont pas été bons pour 2013 avec une baisse de 3% des effectifs par rapport à 2012, pour atteindre 415 000 personnes. Plus problématique encore, les entrées sont en baisse de 8%. Le chiffre avancé de 500 000 apprentis à horizon 2017 semble donc s’éloigner de plus en plus.

Malheureusement les secteurs qui ont le plus recours à ce type de dispositifs, comme la construction, sont fortement impactés par la crise et n’ont pas de perspectives de croissance. Ils ne sont donc pas dans une logique d’embauche, sous quelque forme que ce soit. Et ce malgré les avantages fiscaux octroyés. Le Medef a par ailleurs demandé le "0 charge" pour que l’apprentissage soit réellement attractif.

Mais cet objectif de 500 000 apprentis avait déjà été promis par Jean Louis Borloo en 2005, et à ce moment-là, leur nombre était de 350 000, contre 420 000 en 1995. Ce chiffre stagne donc depuis 20 ans. Alors on peut saluer l’objectif, mais faute de demande supplémentaire de la part des entreprises, il n’y a pas beaucoup de raisons de le voir se réaliser tout seul.

D'aucuns dressent fréquemment le parallèle avec l'Allemagne où les apprentis sont plus nombreux et le chômage des jeunes moins élevé. Les recettes allemandes pour lutter contre le chômage des jeunes peuvent-elles s'appliquer à la situation française ?

Lorsque l’Allemagne traversait sa période de vaches maigres, à la fin des années 90 et au début des années 2000, le système d’apprentissage était fortement remis en cause. Il était considéré comme trop coûteux par les entreprises. Et maintenant que la croissance est revenue, l’apprentissage allemand est revenu à la mode. Car ce n’est pas l’apprentissage qui fait la croissance, c’est la croissance qui fait l’emploi des jeunes. De la même façon, le Japon a un taux de chômage des jeunes qui atteint 5.9%, c’est-à-dire encore bien inférieur au taux allemand (7.9%). Et le Japon ne dispose d’aucun dispositif de cette sorte. Concernant le chômage des jeunes, l’apprentissage est une aide, pas une solution.

Ensuite, il y a évidemment une dimension culturelle qui est très différente entre la France et l’Allemagne. La "fierté" de l’ouvrier qualifié de l’industrie allemande ne trouve pas d’écho en France. Et l’intérêt des jeunes ne se porte pas naturellement dans cette voie. On peut le contester, le regretter, mais on peut aussi en prendre acte.

Les assisses de l’investissement qui se dérouleront à l'automne ont pour objectif "d'adapter tous les dispositifs de financement en faveur de l’économie réelle". Peut-on espérer que l'investissement permette de relancer l'économie réelle comme le laissent entendre les objectifs de ces assises ? 

Depuis l’année 2008 l’investissement a totalement stagné en France, affichant même une légère baisse de 0.7% sur un total de 6 années. La situation est donc simplement désastreuse. Même si les administrations publiques ont vu leurs investissements progresser de 8% sur cette période, du côté des ménages la contraction approche les 10%. Les entreprises non financières sont restées totalement neutres, avec une baisse de -0.44%. Il y a donc bien urgence à voir les niveaux d’investissement se redresser. Mais ce qui peut paraître étonnant c’est que l’exécutif constate cette situation tout en pensant la résoudre en investissant plus, mais sans se préoccuper réellement des causes.

Car si une entreprise investit, c’est qu’elle y a intérêt. Et quel est l’intérêt d’investir dans une économie sans croissance ? S’il n’y a pas de retour sur investissement prévisible, la question ne se pose même pas. Elle ne se pose d’ailleurs plus. Aussi longtemps que les perspectives de croissance seront aussi faibles, il n’y a pas de raison de voir les entreprises se précipiter. La question est donc bien plus de créer les conditions propices à l’investissement plutôt que de pousser les acteurs économiques dans une voie sans issue.

Du côté de l’Etat, les pouvoirs publics peuvent toujours tenter de porter des projets d’infrastructure, ce qui peut avoir du sens. Mais dans la logique actuelle de baisse de dépenses, le sujet est largement compromis.

Au regard de l'ordre du jour de ce séminaire, les priorités du gouvernement vous semblent-elles être les bonnes ? 

Encore une fois, l’apprentissage est un complément pour fluidifier l’insertion des jeunes dans l’emploi. Et la question de l’investissement est évidement importante. Mais ces deux points restent simplement subalternes par rapport à l’enjeu réel de cette rentrée. Car ces deux cas sont aujourd’hui une source de déception pour une seule et même raison; il n’y a pas de croissance. Et il n’y a pas de perspectives d’en avoir beaucoup plus dans les années à venir. La cause est le manque de croissance dont le chômage des jeunes et le manque d’investissement ne sont que des conséquences.

L’exécutif ne peut pas se contenter de traiter les sujets secondaires avant d’avoir mené une réelle réorientation de la politique macroéconomique européenne. L’Europe est plongée dans l’acceptation structurelle d’une croissance 0 qu’elle a choisie toute seule. Cette croissance 0 n’est pas une fatalité, elle est le fruit de 20 ans de décisions sur la politique européenne. Un mandat de stabilité des prix pour la BCE couplé avec des règles strictes en matière de déficits est en soi une promesse de croissance 0. Aussi longtemps que cette absurdité ne sera pas abandonnée, la croissance restera ce qu’elle est en Europe. Et le gouvernement pourra à nouveau organiser des assises de l’investissement, un Grenelle du truc, ou une commission bidule, il n’en restera pas grand-chose.

Quels sont autres chantiers qui mériteraient l'attention du gouvernement ? Sont-ils suffisamment investis ? 

Le chantier européen. Et non, l’exécutif n’est pas suffisamment investi. Parce qu’il est actuellement trop faible et que les conséquences d’un tel chantier sont trop lourdes à porter. Il ne s’agit pas de revenir sur les règles des déficits au sens de Maastricht. Les Etats-Unis viennent de prouver en 2013 qu’il était possible de baisser ses dépenses sans impacter la croissance, mais à la condition qu’une relance monétaire soit mise en place. Le pouvoir monétaire est donc capable d’absorber intégralement les efforts faits par le pouvoir budgétaire en relançant la croissance. Il s’agit donc pour François Hollande d’aller renégocier le mandat de la BCE pour qu’elle puisse agir de la même façon, ce qui est bien entendu inimaginable aujourd’hui. En moins de deux ans, le Président est devenu politiquement inaudible à l’échelon de la zone euro, il paraît donc un peu fragile pour négocier le plus gros dossier européen. Mais le mode de gestion de l’euro est une catastrophe économique et sociale qu’il faudra remettre en cause un jour ou l’autre. Et bien entendu, pour pouvoir négocier un nouveau mandat tout en étant crédible, il faut être prêt à en affronter les conséquences. Et là, nous sommes bien loin des assises de l’apprentissage.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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