Traumatismes intergénérationnels : la transmission se ferait par les odeurs <!-- --> | Atlantico.fr
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La peur serait transmise par les odeurs
La peur serait transmise par les odeurs
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Etonnant, non ?

Dans une étude publiée fin juillet dans une revue scientifique américaine, des chercheurs se sont penchés sur les peurs transmises aux bébés souris par leurs parents. Et cherchent à comprendre si ce mécanisme est transposable à l’homme.

François Lebigot

François Lebigot

François Lebigot est psychiatre des armées et professeur agrégé à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce.

Membre de l'association Otages du monde, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le traumatisme psychique (Fabert, 2011).

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Votre peur maladive du dentiste pourrait vous avoir été transmise par vos parents. C’est en tout cas une hypothèse à laquelle la communauté scientifique s’intéresse depuis la découverte récente, dans une étude publiée fin juillet dans une revue scientifique américaine, de la capacité des souris adultes de transmettre leurs peurs à leurs enfants grâce à une odeur, rapporte theverge.com. Un mécanime d’enseignement baptisé "choc intergénérationnel" dont le fonctionnement reste toutefois encore nébuleux.

Tout est parti d’une étude publiée le 28 juillet dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America où les chercheurs ont découvert que "la maman souris qui exprime une peur en présence de ses jeunes enfants leur transmet cette peur via une odeur", explique Jacek Debiec, psychiatre à l’université du Michigan et co-auteur de l’étude.

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont exposé des souris à une odeur de menthe poivrée avant de leur administrer des chocs électriques, les conditionnant ainsi à redouter l’odeur annonciatrice d’une douleur imminente. Or, lorsque les souris eurent accouché, la peur exprimée par la mère en présence de ses enfants leur a permis d’apprendre à redouter l’odeur de menthe poivrée. Plus surprenant, les nouveaux-nés avaient peur en présence de l’odeur même quand la mère n’était pas là ; ils l’évitaient même soigneusement. Une façon pour la mère de transmettre des réflexes à sa progéniture avant d’affronter le monde extérieur.

Cependant, comme le souligne le site de The Verge, il est encore trop tôt pour appliquer les conclusions de cette étude à l’espèce humaine car la façon dont l’homme communique avec ses semblables grâce aux substances chimiques est encore nébuleux.

Les résultats de l’étude ont été jugés "très intéressants" et "plausibles" par Rachel Yehuda, une psychiatre new-yorkaise interrogée par The Verge. Celle-ci explique en effet au site que les enfants des survivants de l’Holocauste montraient également des signes de peur transmise par leurs parents. "Vos peurs ne viennent pas uniquement des défis que vous avez à relever, mais également des défis que vos parents ont eu à relever", conclut la psy.

Atlantico : Qu'est-ce que le "choc intergénérationnel", et quelles sont ses manifestations chez l'humain ?

François Lebigot : Lorsqu'il est question de traumatisme, on ne peut pas parler de "choc intergénérationnel", au sens où le traumatisme est une expérience bien singulière de rencontre avec ce qu'on appelle le "réel de la mort", et qui n'est pas communicable en elle-même. Ce qui peut se transmettre en revanche, c'est ce qui entoure le traumatisme : peurs, phobies, angoisses, etc. Mais les Américains n'ont pas la même conception que nous du traumatisme ; ils englobent dans cette notion beaucoup plus de choses.

Nous ne sommes pas des souris, mais si des enfants voient leur mère adopter un comportement typique dans une circonstance donnée, ils peuvent adopter ce même comportement et la même panique.

Par quels biais un traumatisme vécu par une personne se transmet-il aux enfants de cette dernière ?

Par son style de vie, ses craintes et ses angoisses, la personne transmet son "stress", pour parler comme les Américains. On parle d'apprentissage : l'enfant voyant l'adulte pris de crises d'angoisse, incapable de traverser une place publique ou stressé lorsqu'il doit traverser la rue, il aura tendance à reproduire ce modèle.

La transmission pourrait éventuellement se faire par les gènes. Le code génétique peut être modifié par des expériences apprises, rencontrées par le sujet. Un seul individu peut-il transmettre à un seul autre individu cette expérience au travers des gènes ? Cela, on n'en est pas sûr. Ce que l'on sait en revanche, c'est que des expériences collectives se transmettent ainsi entre générations.

J'ai pour ma part été amené à soigner une hôtesse de l'air qui avait eu un accident de vol : voyant l'un des moteurs en feu, elle avait été traumatisée, voyant sa mort arriver. Elle vivait en concubinage avec une autre femme, et un jour elle m'a indiqué qu'il me faudrait soigner cette dernière également, car elle se mettait à faire des cauchemars d'accidents. La patiente revivait en songe son accident, tandis que sa concubine rêvait de toutes sortes d'accidents fantasmés. C'était une manière inconsciente de montrer sa solidarité.

Dans un registre comparable, des enfants de déportés rêvent de camps de concentration ou des chambres à gaz. C'est une façon pour eux de se rattacher à leur généalogie de juif, de tzigane ou de toute autre communauté qui a été persécutée. Ces personnes-là, on ne les soigne pas comme leurs parents, qui eux ont été traumatisés, mais en leur demandant de parler de leur relation à leurs parents ou grands-parents, à leur communauté, etc.

Les non-dits de l'adulte autour de son traumatisme vécu peuvent-ils avoir une influence sur le développement de l'enfant ?

C'est assez fréquent. Les proches du traumatisé sentent qu'il y a "un trou", quelque chose qui n'est pas dit. A partir de ce vide, l'enfant peut construire un scénario fantasmé. Si l'adulte n'en parle pas, bien souvent, c'est parce qu'il n'y a pas de mots pour décrire un trauma. Il ne veut pas se heurter de façon patente à l'incompréhension, et ne veut pas "contaminer" les autres en leur racontant les choses horribles qui lui sont arrivées. Surtout s'il a des enfants.

Il y a une vingtaine d'années il était encore très difficile, même en tant que médecin, d'obtenir un récit des épisodes traumatiques. Aujourd'hui c'est un peu plus facile car le fait de s'ouvrir est un peu plus entré dans les mœurs.

Lu sur theverge.com

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