L'extrême droite en Europe : comment expliquer la naissance d'Aube dorée en Grèce<!-- --> | Atlantico.fr
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Nikos Michaloliakos, le fondateur du parti Aube Dorée.
Nikos Michaloliakos, le fondateur du parti Aube Dorée.
©REUTERS/Yannis Behrakis

Bonnes feuilles

La montée électorale, dès le début des années 1980, du Front national avait fait de la France une exception en Europe. Depuis, des États comme l'Autriche et la Belgique ont aussi connu la percée de partis politiques d'extrême droite, revendiquant la préférence nationale, dénonçant le cosmopolitisme, le multiculturalisme et, plus directement encore, la présence des étrangers. Les démocraties de l'Europe du Nord, qui semblaient échapper à cette poussée politique nationaliste, sont à leur tour touchées. Et si les scores de l'extrême droite sont encore faibles en Grande-Bretagne et en Espagne, les conditions de leur essor sont malheureusement bien présentes. Extrait de "L'extrême droite en Europe", de Béatrice Giblin, publié chez La découverte (2/2).

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin est géographe et membre fondatrice, avec Yves Lacoste, de la revue de géographie et de géopolitique Hérodote, dont elle est actuellement codirectrice. Elle a fondé, en 2002, l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.

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Les élections municipales de 2010 marquent le premier succès électoral de l’AD. En obtenant 5,29 % des suffrages à Athènes, son leader est élu au conseil municipal. Le parti obtient même 8,5 % des suffrages dans le sixième arrondissement de la ville où réside une forte population étrangère. Rappelons qu’à Athènes, les immigrés ne se trouvent pas concentrés dans des quartiers périphériques ségrégués : ils habitent dans la ville qui, au fil du temps, fut désertée par les couches les plus aisées parties vers la banlieue. Selon les politologues, l’AD a su capitaliser l’angoisse des couches populaires habitant les quartiers d’Athènes les plus touchés par l’immigration illégale, ce qui, conjugué à l’appauvrissement d’un L'extreme-bon nombre de foyers à cause de la crise économique, lui a valu des résultats électoraux inédits. Ainsi, l’AD a formé de pseudo-comités de quartier, censés sensibiliser et mobiliser les habitants des quartiers défavorisés de la capitale, et a ainsi pénétré des milieux inquiets, en mal de perspectives. En même temps, des groupes formés de militants du parti bien reconnaissables entreprenaient de « nettoyer » les quartiers en intimidant et en s’attaquant fréquemment aux immigrés.

De fait, l’AD s’est construit l’image d’un protecteur des citoyens faibles en formant des réseaux d’entraide. L’histoire d’une personne âgée accompagnée par des militants du parti à la banque pour y effectuer un retrait d’argent fit la une de plusieurs quotidiens, bien qu’en réalité il s’agisse de la mère d’un membre du parti que son fils amenait à la banque. Des distributions de vivres « exclusivement à des Grecs » furent également opérées, ainsi qu’une collecte de sang à utiliser seulement pour des personnes hospitalisées de nationalité grecque, ce que les associations de médecins athéniens ont refusé avec véhémence. Un service d’aide à la recherche d’emploi fut aussi projeté, mais il n’a pas encore vu le jour. Il semble que cette politique de l’AD soit fidèlement calquée sur l’activité entreprise par le parti néonazi allemand NDP (Parti national-démocrate) à la fin des années 1990, qui mit en oeuvre des actions d’aide sociale au profit des populations défavorisées dans le but de présenter un visage de bienfaiteur. Un « activisme » favorablement reçu par certains médias.

Il convient ici de rappeler que, à rebours du discours des formations de l’extrême droite en Europe, ce groupe extrémiste grec met l’accent sur l’insécurité physique qu’engendre l’« invasion », selon eux, de la Grèce par des immigrés plus que sur la menace qu’ils constitueraient pour les emplois des Grecs. Fidèles à leur credo irréductiblement xénophobe, ils voient dans l’immigration une atteinte grave à l’intégrité de la nation. En deux mots, pour faire le bilan du premier succès de l’AD, tout comme en France lors des élections municipales de 1983 où le FN obtint des scores inquiétants dans quelques villes, les élections municipales d’Athènes s’avèrent un excellent point de départ pour l’AD et marquent sa présence définitive, tantôt seulement bruyante, tantôt violente, dans la vie politique du pays.

Lors des élections législatives anticipées de mai 2012, l’AD a recueilli presque 7 % des voix, franchissant aisément la barre des 3 % indispensables pour entrer au Parlement. Un mois plus tard, elle a confirmé sa présence en obtenant le même score lors du scrutin de juin (remporté par la droite) et en devançant même des partis traditionnels, tels que le PC grec. Il semble que la campagne de sensibilisation menée par divers groupes politiques et médias et qui mettait l’accent sur le véritable danger que constituait l’AD pour la vie politique démocratique n’ait eu qu’un très faible impact sur les électeurs.

En ce qui concerne son ancrage régional, l’Aube dorée a obtenu ses meilleurs résultats dans les circonscriptions de la région de l’Attique (la capitale et ses environs), y compris le Pirée et sa banlieue. Son score se situe aux alentours de 8 % ou 9 %. Viennent ensuite certains départements du Péloponnèse qui votaient traditionnellement à droite et quelques départements qui abritent des centres de détention provisoire d’immigrés illégaux (Corinthe) ou des villes qui constituent des points de passage pour ces derniers vers des pays de l’Europe de l’Ouest. En règle générale, le parti semble solidement installé dans de grandes agglomérations urbaines et, fait notable et alarmant, chez les jeunes générations : dans la tranche d’âge 18-24 ans, il passe largement la barre des 10 % et, dans certaines circonscriptions, il est même le double de sa moyenne nationale. À l’inverse, parmi les électeurs d’âge mûr ses résultats sont plutôt faibles. Enfin, il a opéré une percée spectaculaire parmi les électeurs qui votaient pour la première fois (22 %, pas loin des 30 % de Syriza) et il a aussi bénéficié d’un transfert de voix massif d’électeurs du LAOS, 18 % de ceux qui avaient voté pour les candidats de ce parti lors des élections de 2009.

Cette percée électorale de l’AD s’explique aisément par la crise économique et la récession dont les effets sont ressentis par des couches de plus en plus larges de la population. La Grèce a perdu en cinq ans 25 % de son PIB, suite à six années consécutives de récession ; le chômage a atteint des taux exorbitants (27 % de la population active janvier 2014) qui selon les prévisions ne baisseront qu’à long terme ; enfin le retour à la croissance est très incertain.

Le sentiment que le fardeau de l’austérité est injustement réparti alimente la rhétorique de l’AD qui dénonce les « politiciens traîtres et corrompus ». En cela, l’AD ne fait que reprendre des slogans avancés dans le passé par d’autres formations populistes ou extrémistes, tel le LAOS. L’aggravation de la crise économique et sa gestion inefficace par les partis dits « traditionnels » ont assurément amplifié cette perception des responsables politiques.

Mais la progression de l’AD ne s’explique pas uniquement par les difficultés économiques. On l’a vu : il y a des années que l’extrême droite a resurgi et s’est installée dans le paysage politique. Les autres partis n’en ont pas perçu la menace et ont même souvent adopté des politiques et des discours sur l’immigration qui, sans s’apparenter directement au discours de l’extrême droite, contribuaient à le banaliser. Si, après la dictature, le nationalisme était totalement discrédité, on assiste depuis la fin des années 1980, et notamment au cours des années 1990 à la propagation d’un nouveau discours nationaliste venu de l’extrême droite qui semble avoir pris racine dans certains milieux. Ce discours dénonce, parfois même violemment, les partenaires européens accusés d’avoir abandonné la Grèce, en lui imposant une politique d’extrême rigueur. Notons aussi que les leaders d’autres partis populistes ont eu presque tribune ouverte dans certains médias, ce qui a donné lieu à une propagation rapide de ce discours. Un terrain fertile dans lequel l’AD, naguère marginale, a bien su semer le discours de la haine raciale et du nationalisme le plus agressif. Il est nécessaire aussi de rappeler que l’AD a resurgi en tant que formation politique au début des années 1990. En effet, à cette époque, ses militants participaient à des manifestations nationalistes massives contre l’ex-République yougoslave de Macédoine car de nombreux Grecs, plus ou moins instrumentalisés par le gouvernement, manifestaient leur refus qu’un État ait le même nom qu’une de leur région historique, celle du grand Alexandre. Les militants de l’AD profitaient de ces manifestations pour agresser violemment des membres d’associations de gauche.

C’est un lieu commun de dire que l’AD a su parfaitement exploiter la méfiance des citoyens envers les partis traditionnels et l’inquiétude provoquée par la forte immigration clandestine qui frappe le pays depuis une décennie, contre laquelle elle a à plusieurs reprises utilisé la manière forte. Le leader de l’AD propose même de miner la frontière gréco-turque, au nord du pays, pour empêcher les immigrants de la franchir. Dans la capitale, des membres du parti ont été à maintes reprises traduits en justice pour agressions sur des étrangers. Quant à la police grecque, elle a été souvent pointée du doigt, notamment pour sa passivité lors des attaques contre des étrangers. Notons qu’à Athènes, dans les bureaux de vote proches des casernes de police, le parti obtient d’excellents scores, à savoir 20 % ou même 30 %, bien au-dessus de sa moyenne nationale, et quand les autorités lancèrent une enquête judiciaire à l’encontre de l’AD, certains policiers soupçonnés de liens avec celle-ci ont été limogés.

Depuis les dernières élections de juin 2012, l’AD a toujours le vent en poupe dans les sondages, arrivant en troisième position, derrière la ND et le Syriza. Sa politique n’a pas radicalement changé même si, désormais, le parti s’efforce de montrer un visage plus présentable, en récusant les étiquettes de néofasciste ou de néonazi, mais son discours demeure extrémiste : « On nous a traités de nazis, mais on ne nous a jamais traités de voleurs. Ces mains parfois saluent comme ça [il fait le salut nazi], mais elles sont propres », s’écria le chef du parti lors d’une réunion en octobre 2012. La Shoah fut également mise en cause par le chef du parti, qui affirma à plusieurs reprises, et notamment dans l’intervalle des deux élections consécutives de 2012, que les chambres à gaz n’ont jamais existé. Il en va de même de son épouse, Eléni Zaroulia, elle aussi élue députée, qui, lors d’un discours parlementaire, a traité les immigrants de « soushommes » qui « ont envahi notre territoire, en le contaminant de toutes ces maladies qu’ils trimballent ».

Face à la montée constante de l’AD dans les sondages, diverses réponses furent envisagées. Interdire le parti fut l’une d’elles, également proposée par le Conseil de l’Europe qui s’est montré particulièrement soucieux de la montée du racisme en Grèce. Néanmoins, la Constitution hellénique ne prévoit aucune procédure d’interdiction judiciaire d’un parti politique même si son programme s’oppose aux principes de base du régime démocratique. De plus, comme ce fut signalé par de nombreux commentateurs, une telle démarche risquerait de renforcer son audience en lui donnant l’auréole d’un véritable parti antisystème, et cette interdiction ne l’empêcherait pas de renaître sous un autre nom. Vient ensuite l’adoption d’un nouveau cadre législatif concernant les crimes à motifs racistes et l’appel à la haine raciale, ce qui mettrait la législation nationale en conformité avec les standards européens. Le désaccord entre les trois partenaires gouvernementaux au printemps 2013 provoqua le gel du projet de la nouvelle loi ; un report qui peut apparaître stratégique pour la ND, qui peut craindre que l’entrée en vigueur d’une telle loi ne lui permette pas de reconquérir, dans l’avenir, une partie de l’électorat perdu au profit de l’extrême droite.

Formé à l’issue des élections de juin 2012, le nouveau gouvernement dominé par les conservateurs de la Nouvelle démocratie, adopta une politique plus rigoureuse envers les clandestins, en mettant en oeuvre un mois plus tard des opérations d’arrestation et d’expulsion d’illégaux. Cette opération semble avoir eu les résultats inverses. En faisant de la question de l’immigration clandestine la clef de voûte de sa politique, le gouvernement fournit une preuve irréfutable que non seulement les questions qu’aborde l’AD mais aussi son discours qui prône une politique musclée contre les illégaux, ont profondément imprégné le débat public. Les militants du parti ont poursuivi, avec la bénédiction de ses dirigeants, cette politique d’hostilité violente à l’égard des immigrants : par exemple, ils ont manifesté contre la transformation d’un camp militaire désaffecté en centre de détention provisoire de clandestins, en prônant leur renvoi immédiat dans leurs pays d’origine. Ils sont allés même jusqu’à suppléer aux responsabilités étatiques, souvent mises à mal quand il s’agit de régler les problèmes quotidiens, en opérant des contrôles sur des marchés, en demandant leurs papiers à certains commerçants étrangers et en saccageant la marchandise de ceux qui ne pouvaient montrer un permis de séjour. Des gestes de ce type semblent trouver un écho favorable au sein de la petite classe moyenne qui s’est vue largement touchée et appauvrie avec la crise. Ainsi nombre de petits commerçants se sont montrés satisfaits de l’intervention de l’AD, qui à leurs yeux a tenté de mettre fin au marché noir, alors que l’État n’avait pas pu le faire.

Extrait de "L'extrême droite en Europe", de  Béatrice Giblin, publié chez La découverte, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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