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Selon une étude du Spire Bristol Hospital, nous prendrions soin de notre santé à partir de 36 ans.
Selon une étude du Spire Bristol Hospital, nous prendrions soin de notre santé à partir de 36 ans.
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Les jeunes vivent sans se soucier du lendemain ni de leur santé. Les plus âgés en font une préoccupation journalière. Et c'est à 36 ans que l'on déciderait une fois pour toute qu'il faut prendre soin de nous.

Frédéric  Pierru

Frédéric Pierru

Frédéric Pierru est sociologue, chargé de recherche au CNRS,au CERAPS-Université Lille 2 . Il travaille sur la réforme des systèmes de santé français et européens. Il a publié, entre autresHippocrate malade de ses réformes (Editions du Croquant – 2007), Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, Paris, Odile Jacob, 2011 ; L'hôpital en réanimation, Editions du Croquant, 2011 et L'hôpital en sursis. Idées reçues sur le système hospitalier, Le Cavalier Bleu, 2012 (avec Bernard Granger).

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Atlantico : Selon une étude du Spire Bristol Hospital, nous prendrions soin de notre santé à partir de 36 ans.  Pourquoi cet âge ? Quels peuvent être les éléments ou moments à l'origine de cette décision ?

Frédéric Pierru : Le résultat de cette étude, menée sur un échantillon de 2000 personnes, tend à corroborer, et c’est peut-être là le piège, le sens commun : la fin de la "jeunesse" – en gros, après 35 ans – qui se traduirait par des problèmes de santé plus probables, tels que l’hypertension, le diabète ou le cholestérol. A cet état de santé objectivement moins optimal correspondrait un état de santé perçu moins bon lui aussi, ce qui aboutirait à faire de l’état de santé une priorité. L’étude avance des hypothèses intéressantes : la survenue d’un décès dans la famille (et la sortie corrélative du sentiment d’immortalité propre à l’insouciante jeunesse), des mises en garde de la part de son médecin traitant ou encore une vision désagréable de photos de soi peu flatteuses (où l’on constate de visu que l’on est en surpoids ou fatigué, etc.) iraient dans le sens d’une prise de conscience que l’on n’est pas en aussi bonne santé qu’on pouvait le penser.

D’une façon générale, on le sait, le niveau des dépenses de santé varie en raison directe de l’âge : la moitié des dépenses de santé est concentrée dans les trois dernières années de la vie et la probabilité de décès augmente, bien sûr, avec l’âge. Mais je dirais que le résultat le plus intéressant de cette étude n’est pas celui-ci mais réside plus dans le fait que cette prise de conscience ne conduit pas nécessairement et mécaniquement les individus à revoir leur mode de vie dans un sens plus sain. Ainsi, moins de 40% des individus pensent que se soucier de leur santé à long terme doit primer sur le carpe diem. Seuls 51% disent être enclins à prendre des mesures préventives… Voilà qui prend à revers la croyance fondamentale des politiques de santé publique dominantes selon lesquelles il suffirait d’informer des individus "acteurs de leur santé" pour qu’ils modifient leur style de vie et évitent les conduites à risque. Entre la santé objective (telle qu’elle est objectivée par les marqueurs biologiques par exemple), la santé perçue et les habitudes de vie, les relations sont loin d’être directes et univoques.

Dans quelle mesure l'expérience de la vie c'est-à-dire des maladies ou morts de proches influe-t-elle sur cette décision ?

En fait, là réside le problème… La santé n’est pas qu’un phénomène physiologique et individuel, contrairement à ce que l’on peut penser spontanément. Il y a déjà la difficulté à définir ce que sont la santé ou la maladie. La santé, c’est "la vie dans le silence des organes" disait Leriche, mais la médecine tend à révéler de plus en plus des malades qui s’ignorent, en définissant des seuils biologiques morbides, comme le taux "normal" de cholestérol. Et il y a une part arbitraire dans la définition de ces seuils. Et je ne parle même pas de l’inflation des maladies psychiatriques, comme la dépression… En fait, la "bonne santé" est une notion évolutive et variable. Évolutive car d’une période à l’autre, le champ du pathologique peut s’étendre, notamment à la suite d’une innovation pharmaceutique. Pensez à l’impuissance masculine : vécue comme une fatalité et un handicap, elle est devenue une maladie à la suite de la découverte du Viagra. Variable selon les groupes sociaux car selon le milieu social auquel on appartient, on sera plus ou moins attentif à son corps, à sa "ligne", aux signaux de son corps, à son régime alimentaire, etc. Même le rapport au temps varie selon le milieu social : le sentiment de maîtriser sa vie à moyen ou long terme n’est pas identique dans les classes populaires et chez les cadres. De même, la probabilité d’adopter des conduites à risque, comme fumer ou boire plus que de raison, n’est pas également répartie dans l’espace social.

Y a-t-il d'autres facteurs que l'âge qui incitent un individu à s'intéresser à sa santé ? 

Pour les raisons que j’ai évoquées, isoler la variable âge pour dire qu’en moyenne, on prend davantage conscience de la précarité de sa santé à 36 ans, est à la fois intéressant et source d’erreur potentielle. La jeunesse et la vieillesse ne sont que des mots, et ce que signifie être jeune ou vieux varie selon les époques et les milieux sociaux. A 40 ans, un ouvrier du BTP est déjà usé, physiquement et psychologiquement, alors qu’il reste de belles années devant lui à l’enseignant ou au chercheur. Le paradoxe veut que ce sont les moins usés, ceux qui sont en meilleure santé, qui font le plus attention à leur santé et sont plus disposés à intégrer les messages de prévention. Il y a une interprétation fausse de ce paradoxe : "ah, si tel ou tel est en meilleure santé, c’est bien parce qu’il a fait attention à lui et qu’il vit sainement !". En fait, le sens de la causalité est inverse : plus on vit dans un environnement délétère, plus on développe une culture de la fatalité et moins l’on fait attention à sa santé. C’est la raison pour laquelle il existe de fortes inégalités sociales de santé, entre groupes sociaux, en France. Bref, la santé est une donnée au moins autant sociale que physiologique et individuelle. Et la santé publique bien souvent ne fait que prêcher les convertis ou ceux qui sont prêts à se convertir, à savoir les classes moyennes et supérieures.

Assistons-nous à un brusque changement de mode de vie ou à l'installation progressive de mesures préventives ?

En règle générale, les individus changent très rarement leur mode de vie de façon brusque. Il faut pour cela des conditions exceptionnelles comme, par exemple, apprendre que l’on souffre d’un cancer pour arrêter de fumer… Et encore, pas toujours, loin de là ! Des études ont montré que les individus savent ruser pour ne pas à avoir à modifier telle ou telle pratique à risque. "Quitte à mourir, autant me faire plaisir encore quelques temps !". Le déni est une stratégie psychologique classique : des médecins diabétiques peuvent très bien vivre comme si de rien n’était même s’ils sont les premiers à savoir les risques d’un diabète mal équilibré. En réalité, les pratiques et habitudes de vie présentent une forte inertie et ont des raisons qui dépassent de très loin les strictes préoccupations sanitaires. On a tendance, dans notre société, à désormais coder toutes les conduites dans les termes de la "santé parfaite" pour parler comme Lucien Sfez. Comme si la façon dont nous vivons devait être conditionnée presque exclusivement par l’hygiène.

En réalité, nos pratiques et habitudes de vie sont largement informées socialement : dans certains groupes, on valorisera la nourriture très riche et calorique, qui "tient au corps" parce que, historiquement, on y fait des travaux physiques pénibles, même si désormais nombreux sont ceux qui sont au chômage. Vous avez là une des raisons de la forte prévalence de l’obésité dans les milieux populaires. La culture populaire est moins attentive aux "bonnes formes" qu’à la force physique ("il vaut mieux faire envie que pitié"). Ces effets d’inertie ou d’hystérèse sont très prégnants. Ce faisant, l’on comprend qu’il ne suffit pas de délivrer quelques messages préventifs pour que ces pratiques s’infléchissent. C’est un premier niveau d’observation. Un second niveau réside dans ce que les épidémiologistes appellent les déterminants sociaux de la santé : notre état de santé est largement modelé par nos conditions de vie, de travail, de logement, par notre "environnement", autant de dimensions sur lesquelles les individus n’ont guère de prise. Cette réalité est d’ailleurs parfois invoquée pour ne pas à avoir à changer nos pratiques : "c’est pas une cigarette qui va me faire du mal, vu la pollution qu’on nous fait respirer et les cochonneries qu’on nous fait manger !". En résumé, le risque d’une telle étude est de trop "biologiser" la variable âge : loin d’être une donnée physiologique universelle, l’âge est une variable sociologique : on a pas seulement l’âge de ses artères mais aussi l’âge de son milieu social. En ce sens, la moyenne (ici de 36 ans) est moins intéressante à analyser que les écarts sociaux en matière de rapport au corps, à la santé et à la maladie à un âge donné.

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