Tueur en série : le procès de l'effrayant docteur Petiot <!-- --> | Atlantico.fr
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Le docteur Petiot.
Le docteur Petiot.
©Wikipédia commons

Bonnes feuilles

Le 11 mars 1944, en pleine Occupation, un charnier est découvert dans un hôtel particulier de la rue Lesueur, à Paris. Le docteur Marcel Petiot, propriétaire de l'immeuble, est bientôt arrêté et accusé d'avoir assassiné puis incinéré vingt-sept personnes, notamment des juifs cherchant à fuir la Gestapo. Son procès, qui débute le 18 mars 1946, sera aussi médiatisé que celui de Landru au lendemain de la Grande Guerre. Extrait de l'effrayant docteur Petiot, de Claude Quetel, publié chez Perrin (2/2).

Claude  Quétel

Claude Quétel

Claude Quétel est historien, spécialiste entre autres de l'étude des structures et des processus mentaux conduisant à la décision ou à l’événement.

Il a notamment écrit "
Histoire de la folie - de l'Antiquité à nos jours", publié chez Tallandier.

Voir la bio »

Quelque peu assoupie pendant l’instruction, la presse repart en campagne pour annoncer l’ouverture du procès. Fixée au 18 mars, la date a été officiellement annoncée le 5. L’Ordre, sous la plume d’Émile Vigouroux, titre à cette date : Le sinistre record du docteur Petiot : l’abattoir humain de la rue Lesueur [...]. Le docteur Petiot : Landru 1946. Toujours au 5 mars, Le Pays titre à la une : L’hôtel particulier du docteur Petiot : un enfer que Dante n’aurait pu concevoir. Le journaliste Armand Macé s’en donne à coeur joie en rappelant la sinistre découverte de la rue Lesueur : « Il semblait aux pompiers que les crânes décharnés, portés au rouge incandescent, avec leurs rictus phosphorescents, ricanaient du fond d’un enfer que l’imagination n’aurait pu concevoir… » « On me reproche de trop aimer le peuple », fait dire à Petiot Paris-Match. Le Pays reprend la main le 7 : Salon d’attente pour le grand voyage… Ce même journal s’adjuge la palme des manchettes en titrant deux jours avant le procès : Le docteur Petiot : un Hitler clandestin ou un Néron secret… En dépit de ce titre prometteur, Armand Macé en reste aux grands tueurs en série de l’histoire du crime : Landru, bien sûr, mais aussi Weidmann, Jack l’Éventreur, Vacher le tueur de bergères, Kürten, dit « le Vampire de Düsseldorf », et même Gilles de Rais. Le journaliste établit une distinction intéressante entre tous ces criminels célèbres et Petiot : « Leurs assassinats portaient tous une marque commune, étaient accomplis dans un milieu social et dans un style, si l’on ose employer ce mot, leur conférant un caractère d’unité. Dans l’affaire Petiot au contraire, nous sommes en présence de massacres hétérogènes et la façon dont les victimes ont succombé, l’arme qui les a tuées sont encore inconnues. »

Parmi les chroniqueurs judiciaires qui assistent au procès de Marcel Petiot, Frédéric Pottecher fait ses débuts à la Radiodiffusion française. Né en 1905, ce juriste de formation, tenté un moment par la carrière de comédien et à l’incontestable talent oratoire, sera bientôt célèbre à la télévision, couvrant chaque grand procès criminel dans des évocations colorées, dialoguant les interventions des protagonistes et ne craignant pas de donner son avis (par ailleurs, il ne faisait pas bon l’interrompre dans ses reportages – comme Léon Zitrone en fera l’expérience). En attendant la télé, Pottecher est déjà connu. Sa première grande affaire a été le procès Pétain, du 23 juillet au 15 août 1945. Le procès Petiot est la seconde et il va la suivre de bout en bout : « Allons, n’ayons pas peur des mots : le procès Petiot qui s’ouvre cet après-midi 18 mars 1946, au palais de justice de Paris, est le plus grand spectacle depuis le procès du maréchal Pétain. Songez que les billets d’entrée se vendent même au marché noir !... On se bat, on se bouscule, la salle est pleine, frémissante. Enfin il entre : le monstre, le docteur Satan, comme on l’appelle déjà. Une entrée de grand comédien : au seuil du box des accusés, il lève ses mains, ses mains prisonnières de celles des deux gardes qui l’encadrent. Le docteur Petiot veut être libéré. Et il va l’être. On lui retire les menottes ! Alors, arborant un sourire triomphal, il consent à descendre vers son banc, ôte son manteau à gros carreaux, le plie soigneusement et fait face aux photographes ; le spectacle peut commencer… Et quel spectacle ! »

Costume croisé, large noeud papillon gris foncé, le regard noir et le cheveu défait, Petiot semble en effet tout à fait à l’aise et même heureux d’être là. À sa gauche, une falaise de valises s’élève jusqu’au plafond. Ce sont les fameuses pièces à conviction. On ne voit qu’elles. Dans le box, au-dessous de celui de l’accusé, on voit maître Floriot, grand avocat du barreau depuis déjà vingt-deux ans. Plein d’autorité et d’assurance, il est assisté de quatre autres avocats, les « Floriot’s boys », comme les surnomme la presse. Un peu plus loin, se tiennent les avocats de la partie civile représentant les familles des victimes ainsi que d’autres de renom qui, bien qu’étrangers au procès, n’auraient voulu pour rien au monde rater le lever de rideau. Ils débordent des bancs de la défense en une masse sombre tachetée de blanc.

Le banc des journalistes déborde lui aussi. Outre les chroniqueurs judiciaires, il y a les photographes de presse et même les actualités cinématographiques. C’est pratiquement la dernière fois que leur présence est autorisée dans l’enceinte d’un tribunal. Cela n’empêche pas la présence, dans la tribune de presse, du célèbre dessinateur caricaturiste sportif, René Pellos. Il n’y a pas de Tour de France sans lui, ni de grand match de football. Et le nouveau dessinateur des Pieds nickelés depuis la Libération, c’est encore lui.

On peut apercevoir dans la salle quelques figures du Tout-Paris, de jolies femmes en toilette et chapeau fleuri. On se bouscule pour voir quelque chose dans une atmosphère plus proche de la kermesse que du procès d’assises. Soudain l’annonce sacramentelle de « Messieurs, la cour ! » redonne au procès sa gravité. Ceux qui sont assis se lèvent et l’on voit entrer le président, Marcel Leser, revêtu de la robe rouge de la cour d’assises et accompagné de trois assesseurs (au lieu des deux habituels). Il ne préside les assises de la Seine que depuis l’année précédente. Suivant un nouvel usage, les sept jurés s’installent à leurs côtés et non sur un banc à part. Dupin, l’avocat général, lui aussi en rouge, prend possession de son siège. Le greffier s’installe à sa petite table, au pied du tribunal. La pièce peut commencer…

Le greffier lit d’une voix à peine audible l’interminable acte d’accusation : Petiot est accusé d’avoir, à vingt-sept reprises, « donné volontairement la mort ». Déjà, Petiot pratique l’interruption de séance, mettant les rieurs de son côté : « Je ne veux pas passer pour un coupable ! » De même, après l’interrogatoire préliminaire d’identité, l’accusé rétorque-t-il au président Leser qui énumère ses condamnations antérieures : « J’ai été condamné, c’est exact. Est-ce une preuve de ma culpabilité ? » Au portrait peu flatteur du maire de Villeneuve, l’accusé oppose des histoires de Clochemerle sur fond de luttes électorales. Quand le président parle du « médecin marron » de la rue Caumartin, Petiot lui demande de garder ses opinions pour lui et maître Floriot saisit la balle au bond en réclamant et obtenant du président que cette épithète désobligeante soit retirée.

De toute façon, le président Leser ne veut pas trop s’attarder sur le passé de l’accusé où il y a pourtant beaucoup à dire. Le présent lui suffit, et le présent, ce sont les cadavres de la rue Lesueur. « Les cadavres ? Je n’y suis pour rien. Je sors de Fresnes où la Gestapo m’avait enfermé et je trouve des cadavres chez moi. Avouez que c’est trop fort, non ? »

L’accusé veut bien s’expliquer sur l’usage de la fameuse pièce triangulaire : « J’avais l’intention d’y installer des appareils de radiothérapie et c’est pourquoi j’avais fait doubler l’épaisseur des murs, en l’absence de revêtement de plomb – un métal introuvable à l’époque. La “fausse” sonnette électrique ? Elle n’était pas fausse, mais l’installation n’était pas achevée, en l’absence de fils électriques tout aussi introuvables. La double porte ? C’était pour préserver le local de l’humidité du mur. Le viseur ? C’était pour surveiller les séances de radiothérapie et d’ailleurs, en attendant, il avait été recouvert de papier peint [ce détail est exact]. »

Tout est dit ou presque dès cette première audience. L’accusé s’en tient strictement à son absurde système de défense établi pendant l’instruction : la Résistance, Fly-Tox… Sans la moindre explication, la moindre précision, le moindre nom surtout. Ainsi, lorsque Petiot évoque ses camarades de Fly-Tox, le président lui demande-t-il aussitôt : « Quels camarades ? » « Pas de noms, répond Petiot, car si la guerre est finie, l’épuration ne l’est pas et celle-ci est menée par des magistrats tout droit venus de Vichy. Nommer mes camarades les ferait arrêter alors qu’ils méritent la croix de la Libération. » Excédé, le procureur Dupin intervient pour la première fois (et la seule de cette première audience) : « Qu’ils se présentent et je leur donnerai moi-même la croix ! » Le président lève les bras au ciel. « Mais, Monsieur le président, ne levez pas les bras ainsi ! intervient Petiot. — Je les lèverai si je veux ! » crie le président qui perd son sang-froid.

L’un des avocats de la partie civile, maître Véron, réussit toutefois à désarçonner l’accusé. Celui-ci, à propos de son groupe Fly-Tox, a évoqué l’emploi de cet explosif bien connu de la Résistance qui est le plastic. Or il se trouve que l’avocat est lui-même un résistant. « Combien de temps le plastic met-il à exploser ? » demande-t-il à Petiot. Maître Floriot, qui a senti le danger, tente d’interrompre son confrère en lui disant qu’il ne s’agit pas de faire passer à son client un examen d’entrée à Polytechnique. Maître Véron tient bon. Tous ceux qui ont été dans la Résistance savent cela. « Trente minutes, répond Petiot. — Vous êtes un imposteur. Il ne faut que sept secondes. — Vous êtes l’avocat des juifs et des traîtres ! » hurle Petiot.

La question de la folie est abordée une première fois, mais indirectement, à propos du vol dans la librairie Gibert. Petiot se fâche à cette évocation et se défend : inventeur méconnu, perdu dans ses pensées à propos de cet appareil à combattre la constipation, il a emporté ce livre par mégarde. Le président lui fait remarquer qu’il prétend être dément dès qu’il a des démêlés avec la justice. Et Petiot de répondre : « On ne sait jamais si on est fou ou si on ne l’est pas. On ne peut être fou que par comparaison. »

On se demande par instants qui mène les débats, comme le note la presse à l’issue de cette première audience. Insolent, haineux, esquivant les questions précises, Petiot prétend diriger les débats, titre à la une L’Aurore du 19 mars. Sous la plume de Francine Bonitzer, qui a précédemment couvert le procès Pétain, on peut lire : « Depuis qu’on connaît exactement l’étendue terrifiante des crimes nazis, on a bien souvent employé le mot “monstre” pour désigner leurs auteurs, si souvent même qu’il en a perdu sa force [...]. Il faut avoir vu Petiot pour se rendre compte que ceux que jusqu’ici, souvent, on appelait ainsi n’étaient pas, à quelques exceptions près, tout à fait des monstres. Ils avaient toujours un côté sensible, un recoin de tendresse, une parcelle de remords, parfois de la sincérité. Mais Petiot, lui, est un monstre à l’état pur. Tout en cet homme respire la haine et la méchanceté. » Plus loin, la journaliste fait le portrait de Petiot lorsqu’il paraît au box des accusés : « Dans sa figure olivâtre, aux traits ravagés, les yeux noirs flamboient au fond des orbites, sous d’épais sourcils, décelant une rare cruauté qu’on retrouve dans le pli amer de la bouche aux lèvres minces et serrées. »

C ynique, ironique ou violent, Petiot tient tête au tribunal, titre L’Aube, le journal démocrate chrétien que dirige Maurice Schumann (la « voix de Londres » pendant la guerre). « Petiot peut être content : cette première audience le classe d’ores et déjà parmi les grandes vedettes de la cour d’assises. L’accusé est véritablement à la taille de son crime ; son procès sera sans doute à la mesure aussi du personnage. »

Épuisé, le président a levé l’audience à 18 h 30. « Oh, vous pouvez continuer, déclare Petiot. Vous savez, moi, je ne suis pas fatigué. »

Extrait de "L'effrayant docteur Petiot", de Claude Quetel, publié chez Perrin, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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