(Pas de) révolution en vue ? Le sondage qui montre que les Français ont perdu le goût de la révolte… mais pas de la résistance<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration // Symbole de la France libre, première organisation de résistance française à l’occupant nazi.
Photo d'illustration // Symbole de la France libre, première organisation de résistance française à l’occupant nazi.
©wikipédia

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Selon un sondage exclusif Ifop pour Atlantico, 59% des Français ne veulent plus faire d'efforts pour le redressement des comptes publics alors qu'ils étaient 67% à vouloir y contribuer en 2012.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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  • Face à la situation économique, la résignation/l’indifférence progressent au détriment de la révolte. Une part croissante des Français se replie sur la sphère personelle et n’attend plus rien du gouvernement
  • Dans le même temps, la propension à faire des efforts pour redresser les comptes du pays cède encore un peu de terrain
  • Cela s’explique notamment par le fait que 85% des Français pensent que le gouvernement ne fait pas d’efforts de son côté pour réduire les dépenses et que donc, il n’y a pas de raison que le citoyen de base en fasse ! Ce chiffre est stable par rapport à il y a un an, alors même que François Hollande et Manuel Valls ne cessent de parler d’économies…

Atlantico : Selon un sondage exclusif Ifop pour Atlantico, 42% des Français se disent révoltés, 36 % résignés et 11% indifférents face à la situation économique et sociale. Comparé à l'année 2013, la résignation et l'indifférence gagnent du terrain. Peut-on dire que les Français baissent les bras ?

Jérôme Fourquet : Le sentiment de révolte est toujours très présent, pour autant il a tendance à perdre du terrain, ce qui peut expliquer la relative apathie actuelle. Alors que le gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures impopulaires – les hausses d'impôts par exemple – les syndicats ont la plus grande peine du monde à mobiliser, hormis des mouvements sectoriels comme le mouvement des intermittents ou la grève à la SNCF. On se souvient de l'échec du mouvement contre la réforme des retraites, à la rentrée dernière. On peut comprendre cette apathie sur la scène sociale au regard de ce sentiment de résignation qui gagne du terrain, comme si les Français désespéraient qu'on puisse obtenir de bons résultats en matière de lutte contre le chômage ou les déficits.

Dans cette grisaille persistante, ce n'est pas tant la colère qui monte que l'indifférence.  Le sentiment de confiance et d'enthousiasme a lui quasiment disparu.

Christophe Bouillaud : Si on regarde les données du sondage, qui remontent à 2011, on voit que la montée de la résignation est modérée.

Dans les détails, on voit que les groupes les plus résignés sont ceux qui sont les plus proches du gouvernement actuel. Les gens révoltés sont plutôt à droite et à l'extrême droite (58%). Inversement, seuls 25% des proches du PS sont révoltés. A mon avis, une des raisons de la résignation est que les électeurs de François Hollande sont résignés : on constate en fait la déception des électeurs de gauche modérée. Les électeurs plus à gauche et à droite sont plutôt révoltés, quand le centre-gauche est déçu et résigné.

Une autre caractéristique est que les plus de 35 ans sont révoltés, les moins de 35 ans résignés. Là encore, c'est un effet de socialisation politique. Les personnes de plus de 35 ans ont en général des idées politiques plus affirmées. L'électeur plus jeune, sans affiliation politique claire, est plus résigné ou indifférent. D'ailleurs, 18% des moins de 35 ans se disent indifférent. Ca correspond au fait que les jeunes sont moins politisés que les vieux.

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Comment expliquer ce sentiment de résignation ? Est-ce lié au climat politique ?

Jérôme Fourquet : Il y a un élément d'explication dans les ventilations : plus on est à droite, plus on est révolté.  On l'a vu avec ce qui s'est passé depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir : les forces syndicales n'ont pas réussi à mettre les gens dans la rue, mais il y a eu toute une série de manifestations de colère très virulentes. Le fameux Jour de colère, le mouvement des Bonnets rouges, mais aussi la Manif pour tous.

Il y a donc une révolte vis-à-vis de la politique du gouvernement, et pour des éléments plus modérés, ça peut virer à la résignation, en mode "il n'y a rien à attendre de cette équipe là".

Mais c'est aussi plus large qu'un simple jugement sur l'incapacité du politique actuel à gérer la situation. Je pense que ça renvoie aussi à une prise de conscience que le pays a décliné depuis un certain nombre d'années, qu'il n'est plus moteur, ce qui entretient le pessimisme collectif des Français.

Christophe Bouillaud : On peut supposer que c'est dû au fait qu'une partie de l'électorat de centre droit est moins énervé qu'avant. Les gens qui étaient très exaspérés l'année dernière le sont moins aujourd'hui. L'année dernière, il y a eu la mobilisation de la Manif pour tous et des hausses d'impôts. Depuis, il n'y a pas eu de réforme sociétale, et il y a eu un tournant plus libéral. Les gens de droite modérée ont moins de raison d'être révoltés.

Dans quelles autres périodes a-t-on déjà pu assister à ce sentiment de résignation ?

Jérôme Fourquet : Il ne faut pas tendre le bâton : le sentiment de résignation est très fort, mais le sentiment de révolte n'est pas négligeable. Les deux cohabitent dans la société, il n'y a pas d'apathie généralisée.

Nous n'avons pas de données sur les mêmes questions, mais je pense que ce sentiment est relativement récent et doit correspondre à la fin des années 2000, avec une prise de conscience majoritaire que le modèle français est à bout de souffle, qu'il n'est plus adapté à la mondialisation et qu'il va falloir procéder à des réformes fondamentales et profondes, et prendre à bras le corps des chantiers qu'on a différé depuis des années. La réforme des retraites est un bon exemple : à la fin des années 1980, Rocard disait que ce sujet pouvait "faire sauter plusieurs gouvernements". Depuis, l'idée qu'il faut bien en passer par une réforme, même si c'est douloureux, a fait son chemin.

Il y a une résignation car on se dit qu'on ne peut pas faire autrement, mais aussi un pessimisme car on ne voit pas le bout du tunnel. On se désespère car les efforts qui sont demandés sont douloureux et d'autant moins bien consentis qu'on n'est pas sûr qu'ils permettent de pérenniser le système. On se demande si tout cela n'est pas vain.

Christophe Bouillaud : Je n'ai pas de données à long terme sur cette question. Mais cette révolte et cette résignation correspondent sans doute aux gens politisés/dépolitisés. Dans les décennies précédentes, on trouvait sûrement aussi des personnes révoltées. Mais cela voulait plutôt dire "politisées". "Résignées", cela veut dire "je ne m'intéresse pas à la politique".

Après, il ne faut pas donner trop d'importance à ces mots de "révoltés" ou "résignés". On sait qu'il n'y a pas eu de révolution en France depuis 1789… Les gens disent qu'ils sont révoltés, mais ne bougent pas beaucoup. C'est une révolte civilisée !

59% des sondés disent ne plus vouloir faire d'efforts pour le redressement des comptes publics, contre 41%. Alors qu'en 2012, ils étaient 67% à vouloir y contribuer. Comment concrètement cette volonté pourrait-elle se traduire ? Faut-il y voir le signe d'une résistance ?

Jérôme Fourquet : Ce retournement date de fin 2012, où la réponse "non" devient majoritaire. C'est au moment où les annonces fiscales sont arrivées. Comment cela peut se manifester ? Les Bonnets rouges sont un bon exemple, avec une région qui peut s'enflammer, des gens qui descendent dans la rue, alors que c'est une taxe qu'ils ne vont pas payer en direct. C'était inédit jusqu'à présent.

Ce sentiment de ras-le-bol fiscal peut prendre la forme des Bonnets rouges en Bretagne, mais aussi des pigeons en entreprises, des transporteurs routiers qui bloquent un certain nombre d'axes pour protester contre l'ecotaxe…

Ca se manifeste aussi par une très forte sensibilité à la question de la fiscalité. On a vu dans un certain nombre de villes, lors des municipales, que les maires qui voulaient proposer de nouveaux chantiers (tramways, etc.) devaient être particulièrement solide dans leur argumentation sur le financement. Le niveau des impôts locaux était en tête des priorités pour les Français lors des municipales : c'était totalement inédit.

Et, de manière bien plus silencieuse et plus quotidienne, on peut imaginer des comportements d'évitement de l'impôt : augmentation du travail au noir, non-déclaration d'une partie du travail à domicile, etc. A chaque fois que les parlementaires ou Bercy font le compte des rentrées fiscales, les moins-values sont toujours plus importantes. Cela illustre bien l'adage "Trop d'impôt tue l'impôt".

Christophe Bouillaud : Pour se révolter contre les impôts, il faut un minimum d'organisation sociale préalable. Le citoyen ordinaire, en France, ne se révoltera jamais contre les impôts. Par contre, il peut y avoir des groupes organisés qui s'énervent avant la hausse des impôts. En cas de hausse de la TVA, cela peut-être les commerçants, par exemple. Ou, dans le cas de l'ecotaxe, ça a été une région avec de forts liens sociaux, avec derrière les agriculteurs et l'agroalimentaire qui structuraient tout cela et ont permis de mettre en place une révolte.

En dehors de ça, il ne se passera rien, à part que les sondages continueront à baisser pour l'exécutif. Il ne peut pas y avoir de révolte contre la CSG ou l'impôt sur le revenu sans groupe organisé derrière.

Le cas du travail au noir n'est pas vraiment une révolte, c'est plutôt une échappatoire.

Et il ne faut pas oublier que des secteurs peuvent de moins en moins échapper à l'impôt. Par exemple, il y a moins de paiement en espèces dans les commerces ou les bars, avec le développement de la carte bancaire. Il est donc de plus en plus difficile de dissimuler des paiements.

Historiquement, les seuls qui ont brûlé des choses lors de révoltes fiscales sont les commerçants et les paysans. Si vous augmentez le prix du gazole des agriculteurs (le gazole non routier, NDLR), vous êtes sûrs qu'il y aura des manifs partout ! Si vous augmentez celui des routiers, vous êtes sûrs que toutes les villes de France seront bloquées. Mais si vous augmentez de 4 points la CSG, tout le monde dira "Ah, quel malheur", et il ne se passera rien.

> -85% des Français estiment que le gouvernement ne fait pas assez d'efforts de son côté pour réduire les dépenses, ils ne sont donc pas prêts à en faire de leur côté. Le contrat social peut-il y survivre ? Jusqu'où cette situation pourrait-elle dégénérer ?

Jérôme Fourquet : Le graphique est parlant : il y a un lien direct entre le jugement sur le niveau d'efforts fournit par l'Etat et ceux que les Français sont près à faire. Il y a un pacte. Et aujourd'hui, ce pacte est rompu.

Ce qui est spectaculaire, c'est qu'on est au point près avec les mêmes résultats que lors de la précédente enquête, fin 2013. Or, depuis, il y a eu le discours des vœux de François Hollande, toute une série d'annonces, la nomination de Manuel Valls qui dit qu'il faut aller plus vite en matière de réformes et d'économies, etc. Hollande et Valls ont pris de vrais risques vis-à-vis de leur électorat. Mais quand on demande aux Français "l'Etat fait-il des efforts ?", exactement la même proportion qu'en novembre 2013 répond "non".

Hollande et Valls ont beau s'agiter, les Français ne sont pas du tout convaincus de la réalité des efforts. Pour eux, il ne s'est rien passé depuis un an.

Christophe Bouillaud : N'exagérons pas. Il y a une surestimation très forte de la part du français ordinaire du train de vie de l'Etat. Une grande partie des citoyens pensent que l'Etat est super dépensier. Ils ne se rendent pas compte, pour la plupart, que l'argent des impôts est en grande partie redistribué sous forme de salaire de complément ou de services publics. Je pense que ces gens-là ne seraient satisfait des efforts de l'Etat que si François Hollande mangeait des nouilles tout l'hiver, vêtu d'une robe de bure et sans chauffage à l'Elysée.

On ne pourra jamais en faire assez sur le train de vie des politiciens pour les satisfaire. En pratique, les gens qui disent "je ne veux pas faire d'effort" seront fâchées si vous supprimez le service public près de chez eux.

Cette illusion fiscale de la population est particulièrement grande en période de crise.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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