Le Tour de France est dans les Alpes : pourquoi il est grand temps de renoncer au dogme de l’interdiction absolue du dopage dans le sport<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Tour de France est dans les Alpes
Le Tour de France est dans les Alpes
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Evolution

L'Agence mondiale antidopage interdit les produits qui améliorent les performances, dès lors qu'ils violent l'éthique sportive et présentent des risques pour la santé des athlètes. Mais certains produits se situent à la limite de ces critères.

Maxime Bilodeau

Maxime Bilodeau

Maxime Bilodeau est kinésiologue (l'équivalent au Québec du métier de kinésithérapeute), et anime le site "D'Une Foulée A l'Autre", site de réflexion sur le métier de sportif de haut niveau.

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Gérard Dine

Gérard Dine

Gérard Dine est professeur de biotechnologies à l’École Centrale de Paris, président de l'Institut Biotechnologique de Troyes et chef du service d'Hématologie et d'Immunologie de l'Hôpital des Hauts-Clos de Troyes.

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Atlantico : Les cyclistes du Tour de France commencent l’ascension des Alpes, avec tout l’effort que cela implique. C’est dans ce genre de conditions que la question du dopage revient dans les esprits. Toutes les interdictions de produits dits dopants sont-elles légitimes ?

Maxime Bilodeau : Le potentiel d’améliorer les performances, la présence de risques réels ou potentiels pour la santé de l’athlète ainsi que la violation de l’esprit sportif sont les trois critères sur lesquels l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) se base pour déterminer si une substance ou une méthode devrait figurer sur sa Liste des interdictions. Dès que deux de ces trois critères sont respectés, c’est officiel : on parle de produits dopants. Notons que la consommation d’un produit qui a la faculté de camoufler l’usage d’autres substances et méthodes interdites (diurétiques par exemple) est également considérée comme du dopage.

En regard de ces critères, il m’apparaît clair que l’interdiction de certains produits dopants est déraisonnable. Prenons l’exemple du Xénon, ce gaz qui aurait été utilisé par les sportifs russes pour améliorer leurs performances lors des derniers Jeux olympiques et qui a été depuis banni par l’AMA. Si son inhalation par des athlètes constitue hors de tous doutes une violation de l’esprit sportif – après tout, dans quelle autre optique pourraient-ils l’utiliser ? —, je ne pense pas que le Xénon réponde aux deux autres critères de l’AMA. Qui plus est, ce gaz est réputé comme étant impossible à détecter. 

Gérard Dine : Par rapport à des produits chimiques comme les amphétamines, ou des stimulants comme les produits hormonaux (corticoïdes ou stéroïdes), l’EPO a changé la donne car ce n’est pas un médicament chimique, mais une fabrication biologique. Ce dernier est plus efficace, parce que plus ciblé du point de vue de la performance, et pose en même temps des problèmes aux contrôles antidopage. C’est pourquoi entre 1990 et 2000 beaucoup de retard a été pris dans les contrôles. L’EPO est d’ailleurs toujours difficile à repérer. Et si l’EPO est interdit, c’est parce qu’en cas de forte consommation, le risque pour la santé est réel et absolu.

On a fait des progrès conséquents pour contrôler l’EPO, qui malheureusement existe sur le marché parallèle au travers de la contrefaçon. Le problème aujourd’hui étant que toute une catégorie de produits biologiques va remplacer l’EPO dans les dix années à venir. Ils sont probablement déjà employés, ne sont pour l’instant pas détectables, et on n’en sait pas grand-chose. En même temps que l’EPO, on a connu l’hormone de croissance, qui elle, renforce les stéroïde anabolisants. C’est donc une substance utilisée dans les sports exigeant une grande puissance musculaire. Et il est infiniment plus difficile de contrôler l’hormone de croissance que l’EPO. L’utilisation de l’hormone de croissance est probablement plus problématique du point de vue de la santé que l’EPO.

De nombreux contrôles antidopage amènent à sanctionner des sportifs simplement parce qu’on a détecté chez eux des traces de médicaments pris pour un usage autre que l’amélioration non naturelle de la performance. Le système n’est-il pas excessif par certains côtés ?

Gérard Dine : Aujourd’hui, un contrôle anti dopage sur deux effectué dans les urines révèle une présence de cannabis. Cela signifie qu’à partir du moment où l’on a atteint un certain niveau de précision, les produits facilement contrôlables ne sont pas nécessairement les produits les plus dopants. Le cannabis est considéré comme un produit dopant chez les sportifs, il est très aisément retrouvable, mais il est évident que les sportifs de très haut niveau n’ont aucun intérêt à en utiliser, car ce n’est ni efficace, ni facile à cacher. C’est ce qui donne lieu à un certain nombre de situations absurdes.

Beaucoup de substances médicamenteuses sont facilement contrôlables, et pour celles-ci la réglementation d’utilisation temporaire est claire. Elles nécessitent une déclaration par le sportif ou son entourage, ce qui permet d’éviter certaines situations absurdes, mais ne règle pas tout. Ce système binaire de contrôle, face à l’arsenal dopant, qui est extrêmement large, ne peut pas entièrement répondre au problème. Plus on est dans le haut niveau, plus les sportifs bénéficient d’un environnement scientifique leur permettant de choisir des dopages à la fois efficaces et indétectables. Certains produits se situent même à la frontière du dopage

Le terme « dopant » est-il négatif par nature ? Lorsqu’un sportif ingère du sucre, par exemple, ne se dope-t-il pas ?

Maxime Bilodeau : Le dopage fait indéniablement partie de ces termes connotés négativement. On ne peut le mentionner sans quelque peu titiller la morale de ses interlocuteurs. Bref, c’est un mot chargé émotivement qui fait obstacle à un débat sain autour de la question de l’amélioration des performances sportives. Personnellement, je lui préfère le  terme plus technique et neutre « d’aide ergogénique ».

Le sucre (glucides) serait une forme de dopage si l’intention derrière son ingestion était malhonnête et détournée. Or, un peu comme pour le café (caféine) ou pour le jus de betterave (nitrates), le sucre est un produit de consommation courant dont l’usage est banal. Même si ses effets sur les performances sportives sont solides, rien ne nous permet généralement d’affirmer que sa consommation est mal intentionnée. Tout est une question de contexte. 

Gérard Dine : En soi le terme n’est pas négatif. Quand on manque de fer dans la vie de tous les jours ou lorsque l’on court, les performances diminuent. Si on remet du fer, donc, ce qui est physiologiquement acceptable, cela ne veut pas dire que l’on va se transformer en surhomme. Seuls les sportifs sont soumis à des contrôles antidopage, et encourent donc des sanctions en cas de contrôle positif. Un artiste ou un trader ne seront jamais contrôlés, même s’ils utilisent des substances pour améliorer leurs performances. Le dopage dans le sport est ainsi défini : il consiste à utiliser quelque chose qui augmente artificiellement la performance sportive et athlétique, qui est dangereux pour la santé car cela court-circuite les mécanismes physiologiques normaux, et met en cause l’équité sportive. Les contrôles antidopage se fondent sur ces trois axes. Ces contrôles ont par certains côtés un caractère péjoratif, car en définitive, l’élément principal de la lutte antidopage devrait être la préservation de la santé du sportif. En effet, concernant les deux autres axes, nous n’avons plus de certitudes quant à l’endroit où placer la frontière entre le dopage et le non dopage. 

Quelles catégories de ces produits pourraient être autorisées ?

Maxime Bilodeau : Cela dépend essentiellement du type de sport que nous désirons regarder. Si nous exigeons de la part de nos athlètes qu’ils abattent sans cesse les records du monde afin de nous offrir un spectacle « digne de ce nom », alors je dis : pourquoi de ne pas toutes les autoriser ? Le divertissement n’en sera que meilleur, point à la ligne. 

Au contraire, si nous revendiquons le droit d’acclamer des hommes et des femmes qui flirtent quotidiennement avec l’extrême limite de leur talent, et non de leur pharmacie, alors il va sans dire qu’aucune catégorie de ces produits ne devrait être permise. Trop souvent, nous oublions que c’est le talent – et son exploitation – que nous célébrons lorsque nous acclamons un athlète victorieux.

Comment faire le distinguo entre ce qui relève du dopage néfaste, et ce qui, au fond, revient à pratiquer une préparation physique ?

Maxime Bilodeau : Le simple fait qu’une substance ou une méthode améliore les performances ne suffit évidemment pas à déterminer si elle est « bonne » ou « mauvaise ». Il faut se pencher sur le contexte dans lequel se fait son utilisation. Une substance ou une méthode dont l’utilisation ne transforme pas dramatiquement l’identité même du sport, ne bouleverse pas la logique naturelle du talent et de son exploitation et n’entraine pas une coûteuse course à l’armement entre les compétiteurs est, je pense, « bonne ». Je sais que nous nageons ici en pleine zone grise, mais c’est bien là le charme de la question : rien n’est définitif, tout est sujet à discussion, analyse, étude, interprétation. 

Gérard Dine : A la suite de Sotchi, un dossier est apparu, connu de tous les spécialistes du dopage qui connaissent le savoir-faire russe en matière de médecine aérospatiale. Il s’agit des tentes hypoxiques, dans lesquelles on ne va pas seulement bouger l’oxygène, mais ajouter du xénon, qui a un pouvoir de stimulation et de production de votre propre EPO. Le fait de mettre des personnes dans des tentes appauvries en oxygène afin qu’elles stimulent de manière physiologique leur propre EPO est autorisé dans le code mondial antidopage car on considère que ce n’est pas du dopage, mais si on y ajoute du xénon, on n’a aucun moyen de le contrôler. Sachant que le xénon est asphyxiant. A la suite des JO de Sotchi un débat a eu lieu à ce sujet, mais cela n’a pas abouti à une prose de décision de l’agence mondiale antidopage, car on ne sait pas vraiment s’il s’agit de dopage, et on ne sait pas non plus comment effectuer des contrôles.

Lors de la dernière Coupe du monde, a été utilisée la thérapie cellulaire à visée musculaire. A ce sujet le code mondial antidopage indique que l’utilisation de cellules, de manipulations géniques ou de particules qui visent à augmenter la performance sportive est un dopage. Sauf que la façon de contrôler n’a pas été définie. Lors de cette Coupe du monde, on a voulu utiliser en prévision de la finale pour un joueur argentin blessé une thérapie musculaire cellulaire afin de lui permettre de réintégrer son équipe. D’aucuns diront qu’il s’agit de réparation, mais à ce stade de blessure musculaire, il s’agit soit de chirurgie, soit de traitements de physiologie et de kinésithérapie, soit de repos. Par conséquent  le joueur aurait été dans l’impossibilité de jouer la finale. En revanche si on introduit la thérapie cellulaire musculaire, la finalité est de pouvoir jouer : on est coincé entre l’objectif de réparation et celui de préparation amélioratrice. On est donc parvenu à la frontière et au flou que posent les biotechnologies. 

Stimulants médicamenteux, travailleurs shootés à la caféine ou à la taurine, artistes sous influence… Dans la vie de tous les jours, ne sommes-nous pas des « dopés » ? Pourquoi les sportifs feraient-ils exception ? La législation ne tombe-t-elle pas dans un extrême inverse ?

Maxime Bilodeau : La vérité, c’est que nous exigeons de nos sportifs une perfection que nous sommes, en tant que société, bien loin d’atteindre. Cela me stupéfie toujours lorsqu’on fustige sur la place publique un athlète qui a échoué à un contrôle antidopage alors que nous nous empressons de serrer la main d’un étudiant en médecine qui a gradué en ayant recours à un cocktail de stimulants, d’anxiolytiques et de somnifères. De quel droit condamnons-nous les « méchants dopés » alors que nous sommes nous-mêmes si enclins à avaler une, deux, trois pilules au moindre malaise, à la moindre difficulté ? Ça pue le double standard. 

Gérard Dine : Actuellement nous nous trouvons dans une situation très floue, car cette escalade des contrôles est très intrusive, et ne garantit pas forcément l’équité sportive. Le débat à ce sujet, qui est récurrent, devient toujours plus fin et moins binaire qu’auparavant entre les tenants du contrôle antidopage et les pro-légalisation. Au-delà de la forme, donc, c’est le fond qui évolue. Et pour être clair, et aller dans votre sens, je dirai qu’à partir du moment où l’on sait qu’un Français sur trois consomme des psychotropes, c’est-à-dire des produits qui masquent la réalité et aident à supporter la vie, on peut considérer que nous sommes dans une société qui est assistés sur le plan pharmaceutique. 

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