20 juillet 1969, 45 ans après : ce que le premier voyage sur la Lune a changé pour l'humanité<!-- --> | Atlantico.fr
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Le premier voyage sur la Lune il y a 45 ans jour pour jour
Le premier voyage sur la Lune il y a 45 ans jour pour jour
©Reuters

Un point bleu pâle

Il y a 45 ans jour pour jour, l’alunissage du module lunaire Eagle dans la Mer de la Tranquillité a été un "bond pour l'Humanité". Au niveau technique, bien sûr, mais aussi au niveau de la compréhension qu'à l'Homme de sa place dans l'Univers.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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Atlantico : Le dimanche 20 juillet 1969, à 20:17:40 UTC, le module lunaire Eagle se posait dans la mer de la Tranquillité, sur la Lune. Quelques heures plus tard, à 3h56 du matin (heure française), Neil Amstrong était le premier homme à poser le pas sur la Lune. En quoi ce "petit pas pour l'homme" a-t-il été "un grand bond pour l'Humanité", au-delà des avancées technologies permises par la conquête spatiale ?

Olivier Sanguy : Un élément important pour l'humanité a été la constatation, par des hommes, de ce qu'on appelle en anglais "l'overview effect".: 

Cela a commencé dès le premier vol spatial habité, avec Youri Gagarine. On se le rappelle assez peu, mais le vol de Gagarine dans sa capsule était clairement un test. Il avait comme consigne de décrire ce qu'il ressentait. Le but était de savoir si un homme pouvait survivre à un vol spatial, ce qui était une vraie question à l'époque. Or, quand on lit les retranscriptions, on voit que la première chose qu'il décrit est la beauté de la Terre. Il faut se remettre dans le contexte de la guerre froide : Gagarine savait très bien que son vol avait une dimension politique voire idéalogique très importante. Et pourtant, l'une des premières choses qu'il dit est : "la Terre est belle".

Il y a ensuite eu d'autres vols habités, mais ils étaient des missions où les hommes tournaient autour de la Terre, entre 200 et 400 kilomètres d'altitude. Celle-ci remplissait l'essentiel de leur champ de vision.

Quand on a commencé à avoir des missions lunaires - et pas forcément celles où on s'est posé sur la Lune, puisque Apollo 8 fut la première mission humaine à faire le tour de la Lune, en 1968 - des hommes ont pu pour la première fois voir la planète en globalité, de loin. A cette distance, on peut la cacher avec son pouce en tendant le bras. On se rend compte que la Terre est une oasis dans un espace hostile à la vie.

William Anders a d'aileurs eu une déclaration exceptionnelle à l'intérieur d'Apollo 8 : "Nous avons fait tout ce chemin pour explorer la Lune, et le plus important est que nous avons découvert la Terre".

Cette phrase résume bien l'overview effect, le fait de prendre du recul et de réaliser notre place dans l'univers : à la fois insignifiante en terme de quantité, et en même temps extrêmement importante pour nous, puisque ce petit bout de roche est le seul qu'on peut habiter pour le moment. Il faut donc en prendre soin. D'ailleurs, tous les astronautes qui sont allé là-haut reviennent en disant que, de l'espace, les notions de nations et frontières n'ont aucun sens, que les guerres ou les batailles pour des idées semblent dépassées.

Un jour, j'ai demandé à l'astronaute Hans Schlegel – qui m'expliquait que les oppositons entre humains semblent ridicules vus d'en haut - si ce n'était pas un discours préformaté des agences spatiales, tant il parait politiquement correct. Il m'a répondu qu'il comprenait ma remarque, mais que quand on est là-haut et qu'on regarde la Terre, cette impression ne vient pas du cerveau, mais prend aux tripes. 

C'est quelque chose que les machines, les sondes, n'auraient pas pu apporter. Le fait qu'un humain aille dans l'espace, ça a apporté un ressenti émotionnel.

Il y a eu un overview effect plus discret en 1990, quand la Nasa a fait une photo du système solaire avec la sonde Voyager 1. La Terre était à ce moment là distante de 6,4 milliards de kilomètres. La Terre apparaissait comme un petit point bleu pâle. Le célèbre astronome américain Carl Sagan en un tiré un livre très célèbre, qui rappelle que "ce petit point, c'est ici. C'est notre foyer". "Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu", écrit-il.

Jusque là, la Terre était vue par les humains comme infiniment vaste. Là, on passe dans un monde où on devient infiminent petit. En quoi est-ce un vrai chamboulement ?

Ca change les choses dans la mesure où, sur Terre, quand on avance vers l'horizon, celui-ci recule indéfinimment. Dans l'espace, on se rend compte de la finitude de la Terre. A partir de là, l'illusion que ses ressources sont inaltérables s'effondre d'un coup. 

Les astronautes qui sont en orbite autour de la Terre notent particulièrement à quel point l'atmosphère semble fine. Cette atmosphèe, c'est ce qui nous protège des rigueurs spatiales, ce qui nous sépare de la vie et de la mort.

En juillet 1960, John Fitzgerald Kennedy déclare que "nous sommes devant une Nouvelle Frontière, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière, s'étendent les domaines inexplorés de la science et de l'espace". En quoi l'arrivée de cette notion de "nouvelle frontière" était positive ?

L'overview effect a peut être contrebalancé quelques effets négatifs de la "nouvelle frontière". Cette nouvelle frontière, c'était à long terme l'idée que l'espèce humaine  pourrait devenir multiplanétaire. A très long terme, on pouvait le voir comme un impératif de survie, car un jour, il y aura une fin de la civilisation humaine, c'est inévitable. Cette notion peut engendrer l'idée que finalement, la Terre, ce n'est pas très grave : on pourra en trouver une autre. 

Cette sensation qu'on eu les astronautes montre que la Terre, il faut en prendre soin. Ne serait-ce que parce que c'est le seul vaisseau spatial dont on dispose. Et même si on arrive à le quitter, il faudra faire bouger les 7 milliards d'êtres humains qu'il y a dessus. La Terre deviendra inhabitable un jour, mais faudra donc essayer de faire qu'elle ne soit pas inhabitable à cause de nous.

Les astronautes sont sensibles à l'écologie, car ils savent que s'ils ne prennent pas soin de leur vaisseau, il devient très vite inhabitable. Ils font une transposition de cela à la Terre.

L'overview effect est aussi une nouvelle étape dans la progression intellectuelle du monde occidental. Il y a d'abord eu la révolution copernicienne, qui disait que la Terre n'était pas le centre de l'univers. Et déjà à l'époque, des personnes comme le prêtre Giordano Bruno pensaient que les autres étoiles étaient peut être des Soleil comme le notre. Tout cela nous a provincialisé, a descendu l'espèce humaine de son piédestal.

Mais en contrepartie, on s'est rendu compte que notre planète est la seule qu'on peut habiter.

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