L’UE dans l’ornière : comment la France pourrait réaliser un énorme coup politique si François Hollande s’en donnait la peine<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande à un coup à jouer sur la scène européenne.
François Hollande à un coup à jouer sur la scène européenne.
©Reuters

Yes he can ?

Réunis ce 16 juillet à Bruxelles, les dirigeants gouvernementaux européens n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur le choix des principaux cadres exécutif de l'UE. Ils se réuniront de nouveau le 30 août pour avancer dans les discussions... et Paris aurait tout intérêt à profiter du délai.

François Beaudonnet

François Beaudonnet

Après avoir été en poste à Bruxelles, François Beaudonnet est désormais correspondant à Rome pour France 2. 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Les dirigeants européens n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la constitution des principaux cadres exécutifs européens. Par quels moyens François Hollande pourrait-il profiter des six semaines de report de la désignation des postes-clés de l'UE pour mettre en place une "autre" stratégie française alors que la voix de Paris ne cesse de décliner sur le continent ?

Christophe Bouillaud :Avec un peu de chance si j’ose dire, les statistiques économiques produites pour les premiers mois de l’année 2014 d’ici fin août au niveau européen seront encore plus mauvaises ou médiocres qu’actuellement. Cela pourrait servir grandement au gouvernement français pour argumenter sur la nécessité absolue de mettre en œuvre une politique économique de l’Union plus résolument tournée vers la croissance et l’emploi. En particulier, il pourrait s’appuyer sur la conjoncture toujours déprimée en Italie et même, semble-t-il, désormais en Allemagne. Le seul espoir est donc de changer le cadrage de la situation, en mettant en avant la détérioration de la conjoncture économique. Cela pourrait se révéler d’autant plus facile que par ailleurs les Etats-Unis ou la Chine verraient eux leur croissance continuer sur un rythme soutenu. Six ans après l’automne 2008, il est peut-être temps d’acter que la reprise européenne est plus qu’hésitante. Les répercussions économiques de la crise avec la Russie peuvent aussi aider à un tel virage. 

Nicolas Sarkozy avait axé sa stratégie de sortie de crise sur le sauvetage de l'euro et la réforme des statuts de la Banque centrale, le tout en essayant de jouer malgré tout une partition commune avec l'Allemagne. L'actuel président aurait-il aussi intérêt, à sa manière, de jouer d'avantage sur les deux tableaux avec Berlin plutôt que d'entrer dans une logique de confrontation jusqu'ici stérile ?

François Beaudonnet : Non, je n'ai pas l'impression qu'il soit dans cette optique. Je ne vois pas le couple franco-allemand. François Hollande est dans sa propre stratégie. Il veut un poste qui soit prestigieux et qui lui permette à la fois d'éviter les problèmes avec la Commission européenne en particulier sur les questions de déficit. C'est pour cela qu'il insiste pour qu'un commissaire européen devienne vice-président de la Commission européenne pour que la France ne soit pas coincée par les exigences budgétaires qui sont particulièrement élevées au regard de la situation économique du pays. Je pense que cela se fait sans collaboration avec l'Allemagne. 

Quelle solution de compromis François Hollande pourrait-il pousser pour sortir l'Europe de l'ornière ?

Christophe Bouillaud : Est-il vraiment nécessaire de faire des compromis à ce stade ? Au contraire, François Hollande, aidé par Matteo Renzi, aurait peut-être justement intérêt à ne pas faire de compromis. A l’été 2012, pour prix de son assentiment au TSCG, il a obtenu un Pacte de croissance d’un montant tel que tous les commentateurs sans aucune exception l’ont considéré comme parfaitement anecdotique. François Hollande aurait intérêt à ne pas rejouer à l’été 2014 ce mauvais scénario, et à exiger un plan de relance de l’économie européenne consistant, sur le modèle intergouvernemental de 2008-09 ou sur une base communautaire si possible. En tout cas, ne pas profiter de la mise en place de la nouvelle Commission pour infléchir fortement la politique économique européenne paraitrait presque suicidaire de la part de F. Hollande. Le Pacte de responsabilité peut  en effet seulement fonctionner en termes de croissance et d’emplois s’il existe une forte reprise en Europe.

Le président Hollande, dans la foulée des élections du 25 mai, a proposé un plan de relance de 1000 milliards d'euros en association avec Matteo Renzi, l'objectif étant d'allier une "politique budgétaire équilibré" avec un usage stratégique de l'investissement. Comment transformer ce projet, y compris en l'amendant, en une arme stratégique utile pour la France ?

Christophe Bouillaud :Si un tel projet voyait le jour, il améliorerait la conjoncture économique, et la France ne manquerait pas d’en profiter. Sur un plan strictement d’égoïsme national, dans l’hypothèse où un tel plan venait à être adopté, il est certain que la France en profiterait au moins au niveau de ses plus grandes entreprises. En effet, il existe de nombreux groupes économiques français capables de profiter d’investissements lourds en Europe, en particulier dans le BTP ou l’ingénierie. Par ailleurs, si l’Europe se mettait à penser vraiment à cette occasion à de grands investissements porteurs d’avenir pour l’Union européenne, il me semble que la France dispose déjà d’un projet clé en mains à offrir : le "Grand Paris", dont il suffirait de pousser les feux. On sait en effet ce qu’il faut faire, simplement on ne sait pas comment le financer, et on se trouve dans des délais de réalisation proprement ridicules si on les compare à ceux d’une métropole chinoise au même moment. Ce qui sera fait en 2030 à Paris le sera mutadis mutandis l’année prochaine en Chine… Dans une logique d’intérêt général européen, il serait à mon avais en effet tout à fait défendable de doter la mégapole parisienne des infrastructures dignes de son statut européen et mondial. On peut penser aussi à l’accélération des travaux de la liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin. Des grands projets à réaliser ne manquent pas sur le territoire français qui bénéficieraient au total à tous les Européens. En plus, la France est l’un des pays de l’Union où le secteur de la recherche reste le plus développé (avec l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni, etc.), il manque actuellement d’argent, un financement massif de la part de l’Europe serait le bienvenu, et des avancées scientifiques et technologiques faites en France pourraient profiter à tous les Européens. Plus généralement, vu la jeunesse relative de sa population et le bon niveau d’éducation de sa jeunesse, la France aurait tout intérêt à une reprise économique en Europe. 

La mise en avant du ministre de l'Economie Arnaud Montebourg, l'homme qui se plaignait il y a peu de "l'euro cher", envoie un signal très spécifique aux partenaires européens, en particulier l'Allemagne. Comment François Hollande pourrait-il s'emparer de ce dossier, y compris en y associant son candidat au portefeuille des affaires économiques et monétaires et sans trop froisser l'Allemagne ?

François Beaudonnet : Je suis assez étonné que la France arc-boute sur le fait d'avoir un poste économique. On peut imaginer avoir un grand poste qui ne soit pas un poste économique. Nos partenaires ont des difficultés à accepter que ce soit la France, un des pays avec les plus grosses difficultés économiques, soit le donneur de leçons dans ce domaine aux autres pays. Même François Hollande l'a intégré. La candidature de Pierre Moscovicci qu'il a choisi sans le dire officiellement lui permet d'avoir un plan B. S'il ne parvient pas à obtenir un grand porte-feuille économique avec Pierre Moscovici, il pourrait avoir autre chose avec .... 4M40 qui en plus, est une femme. La France vise un poste pompeux, un poste économique. Je ne sais pas si la France doit viser ce poste, je en suis pas sur qu nous l'ayons. J'ignore également si Francois Hollande veut ce poste ou rien. Le rien m'étonnerait. Nous n'avons pas bonne réputation dans le domaine économique. Si on l'a tant mieux, si on ne l'a pas mieux vaut avoir autre chose.

Quand à se demander si la France peut influer sur les statuts de la Banque Centrale européenne, cela semble difficile à moins d'evnsiager un nouveau Traité. Mais, comme elle a un fonctionnement semblable à celui de la commission européenne, la BCE peut utiliser des moyens qui sont à sa disposition pour ainsi se donner une marge de manœuvre plus importante sans sortir de ses statuts. Elle peut ainsi faire baisser l'euro. Mario Draghi a montré qu'il avait tout à fait compris la demande et il partage, en quelques sortes, cet état des lieux ... 6m25 Ainsi, ce n'est pas forcément pour faire plaisir aux politiques, mais il est possible que les intérêts de la France et ceux de la BCE se rejoignent, même si pour l'instant ça ne fonctionne pas très bien à cause de l'euro un peu fort. Il n'est pas du tout exclu que dans un an, cela finisse par fonctionner sans qu'il y ait besoin de changer les statuts. Pour le moment, c'est impossible, les Allemands n'accepteront jamais, ils ont trop peur de l'inflation.

François Hollande a déclaré qu'il fallait une femme de gauche à la tête de la diplomatie européenne. Aurait-il intérêt à abandonner les postures de ce type pour que la France pèse davantage ? Quel type de profil aurait-il intérêt à pousser ?

Christophe Bouillaud :Sur ce poste, on peut comprendre que le gouvernement français veuille en faire un symbole de la parité à atteindre au sommet des institutions européennes puisque le Haut Représentant est en quelque sorte le n°2 de la Commission européenne après le Président Juncker et on peut comprendre aussi qu’il veuille pousser la candidate italienne pour sceller son alliance avec Matteo Renzi, mais il faut bien faire attention que, dans le contexte actuel tendu des relations de l’Union européenne avec la Russie et avec la crise rampante au Moyen-Orient, il serait bien plus avisé de chercher surtout la personne, homme ou femme, capable de parler avec Vladimir Poutine ou de dégager des voies de solution de conflits inextricables. Il vaudrait mieux chercher notre Henri Kissinger, un grand négociateur ayant le sens des réalités géopolitiques, que de se bloquer sur des considérations d’équilibre de genre ou des calculs strictement partisans. En même temps, j’ai bien peur que, d’ici fin août, la situation se soit tellement détériorée avec la Russie qu’un tel choix d’un vrai spécialiste des relations internationales, bénéficiant d’une longue expérience, s’imposera à tout le monde dans le Conseil européen.

Jusqu'ici la logique d'alliance avec les pays du Sud, un temps souhaitée par l'Elysée, n'a pas porté ses fruits alors que l'Allemagne profite d'une grande influence au sein des institutions mêmes de l'UE. La France aurait-elle intérêt à se concentrer davantage sur les postes stratégiques ?

Il n’est pas dit au contraire que cette alliance n’ait pas porté ses fruits. Au contraire, l’incapacité du Conseil européen de décider et le renvoi des choix à fin août témoignent sans doute qu’il existe une fluidité des rapports de force dans le Conseil, et que les différents camps en présence ont besoin de plus de temps pour négocier un compromis acceptable par tous. Pour ce qui est de l’influence de la France au Parlement européen, il est vrai par contre qu’en raison du résultat des élections européennes, et aussi de l’incapacité des grands partis de gouvernement à renouveler de très bons candidats, la législature qui s’engage va voir en principe l’influence des eurodéputés français fortement amoindrie. Pour ce qui est de la Commission, les jeux restent cependant entièrement ouverts : il semble que les pays "austéritaires" (dont l’Allemagne) ne veulent pas de Moscovici aux Affaires économiques, mais la France peut aussi décider de ne pas céder sur ce point. Le gouvernement français peut céder sur la personne à nommer, mais pas sur le fait qu’il s’agisse d’un(e) Français(e) orienté(e) vers la croissance. Il serait très difficile d’imposer à la France de voir son ou sa Commissaire ne pas occuper le poste qu’il ou elle convoite. A la limite, la France pourrait refuser de nommer son Commissaire pour bloquer le processus. En tout cas, il ne faut pas rater cette fenêtre d’opportunité pour imposer ses vues. 

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