Les mésaventures peu banales d’un juge d’instruction de Mayotte embastillé pendant trois jours <!-- --> | Atlantico.fr
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Un juge d'instruction de Mayotte a été incarcéré pour viol.
Un juge d'instruction de Mayotte a été incarcéré pour viol.
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Machination ?

Le juge Hakim Karki, en poste à Mayotte, a été mis en examen pour une obscure affaire de viol. Placé brièvement en détention contre l'avis des juges instruisant l'affaire, plusieurs éléments sèment le doute sur les vraies raisons qui ont amené l'intéressé à se retrouver dans un tourbillon judiciaire.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Le juge Hakim Karki vient de passer trois jours en prison pour viol. S’agit-il d’un coup monté pour abattre un magistrat trop curieux ? Bon nombre d’avocats le pensent. Qui est-il vraiment ? Un cow- boy imprévisible ou un Chevalier blanc soucieux de mener une opération "Mains Propres" dans l’île ? Une certitude : cette affaire révèle le très mauvais climat qui règne dans ce tribunal.

Coups tordus. Suspicion entre collègues. Avocats qui dénoncent des drôles de pratiques à Mayotte. Affaires étouffées. Journaliste placé en garde à vue pour violation du secret de l’instruction. Ambiance détestable au Tribunal où les magistrats s’espionnent entre eux. Pour couronner le tout, un juge d’instruction qui reste trois jours en prison parce que soupçonné de viol. Décidément, il se passe de drôles de choses au Tribunal de première instance de Mamoudzou – chef-lieu de Mayotte –, à plus de 8000 kilomètres de la place Vendôme à Paris, comme si régnait dans ce lointain territoire une sorte d’infra-droit. Comme si régnait aussi un parfum de néo- colonialisme. C’est en tout cas laisse entendre à mots couverts, l’ex-bâtonnier de Mayotte, Me Mansour Kamardine que nous avons eu au téléphone. Ancien député UMP il fait partie des signataires d’une pétition qui dénonce la mise à mal des droits de la défense dans une affaire qui fait grand bruit dans l’ île. Au centre de celle-ci, l’un des deux juges d’instruction du Tribunal, Hakim Karki. Cet ancien militaire, âgé de 42 ans, ne cesse de ferrailler contre les autorités judiciaires ou administratives, n’hésitant pas à poursuivre le patron du Groupe d’intervention régional (GIR) ou à se déplacer jusqu’à Saint-Denis à la Réunion – siège de la Cour d’appel – pour y défendre un de ses collègues. A ceux qui en douteraient, ce magistrat, disons atypique, dérange. Au point de devenir un gêneur ? Au point que certains voudraient le "dézinguer", selon l’expression de l’ex-bâtonnier Kamardine ? En tout cas, l’occasion, pour bon nombre d’avocats, sera toute trouvée ce mardi 1er juillet.

Ce soir-là, Hakim Karki dîne dans un restaurant de Mamoudzou avec une jeune femme. Atmosphère détendue. Tant et si bien que les deux tourtereaux se retrouvent dans l’appartement du magistrat et y passent la nuit… Quarante huit heures plus tard, la jeune femme porte plainte pour viol au commissariat. Elle porte des traces d’ecchymoses. Quelque temps après, le juge est placé en garde à vue et interrogé par trois policiers venus spécialement de la Réunion. Hakim Karki se montre formel. S’il admet avoir eu des relations sexuelles dans la nuit du 1er au 2 juillet avec sa compagne d’un moment, il n’en démord pas : elles étaient parfaitement consenties et si lui-même porte des griffures, c’est parce que la jeune femme a exigé des rapports violents. Ce qu’elle conteste formellement…Au bout de 48 heures de garde à vue, le procureur de Mayotte se dessaisit de l’enquête pour la confier au Tribunal de Saint-Denis. Aussi, le juge Karki prend-il l’avion, accompagné de policiers, pour se rendre à ce tribunal. Trois juges l’interrogent et le mettent en examen le lundi 8 juillet vers 22h30, sans demander son placement en détention. A leurs yeux, seul un contrôle judicaire suffit. Indice, semble-t-il, que selon ces trois magistrats, le doute s’est instillé sur ce viol.

En tout cas, pas du côté du Juge des libertés et de la détention (JLD) qui décide de placer son collègue sous mandat dépôt, conformément aux réquisitions du Parquet. Aucune confrontation ne se déroulera entre le magistrat et la plaignante. Etrange… Comment aurait-elle pu avoir lieu puisqu’elle est déjà repartie pour la Métropole ! Inutile de le dire, la nouvelle de l’incarcération du juge Karki se répand à une vitesse grand V au Tribunal de Mamoudzou. Dès le 9 juillet, les avocats se mobilisent, dénonçant une enquête conduite uniquement à charge, sans respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence. Dénonçant encore "le refus de soumettre au mis en cause [ lors de sa garde à vue] les éléments réunis contre lui et de lui permettre de les discuter." Et les avocats de réclamer le dessaisissement du Tribunal de Saint-Denis de la Réunion. Au passage, ces derniers ne se privent pas de faire savoir que la jeune femme serait l’ex-petite ami de l’adjoint du directeur du Service départemental d’information générale (SDIG) , nouvelle appellation des Renseignements généraux. De là à évoquer un coup monté, il n’y a qu’un pas que certains avocats osent franchir. Alors que dans ce dossier délicat, comme il arrive dans les dossiers de viol, ne l’oublions pas, c’est parole contre parole. Il n’empêche. Dès le lendemain de cette pétition, le 10 juillet, le juge Karki sort de prison. Mais il demeure assigné à résidence à Saint-Denis. Impossible donc de réintégrer le Tribunal de Mayotte… En somme, le voici condamné à une mort professionnelle, certes provisoire. Ce qui ne déplait pas à de nombreux magistrats qui n’ont jamais porté dans leur cœur le petit juge. Car ce dernier, à leurs yeux, en faisait trop. Dès janvier 2011, il se fait remarquer dans l’affaire Roukia qui agitera beaucoup le Tribunal et la police. Alors qu’il enquête sur la mort d’une jeune lycéenne de 18 ans – Roukia – morte d’une overdose, le juge Karki acquiert la conviction, grâce à un indic, que le patron d’alors du GIR, le capitaine de gendarmerie Gérard Gautier se livrerait à des pratiques peu orthodoxes. En l’espèce, ce dernier aurait lui-même organisé un trafic de stupéfiants, en incitant ses hommes à importer à Mayotte de la drogue – cocaïne –, grâce à ses indics. C’est lors d’une livraison de la marchandise que la jeune Roukia aurait goûté le poison et en serait morte. Chargé d’instruire ce sulfureux dossier, le juge découvre toute une série d’anomalies. D’abord que le Parquet de Mayotte lui met embûche sur embûche pour éviter qu’il n’entende des fonctionnaires du GIR, notamment le capitaine Gautier. Ensuite que ce même officier, alors qu’il est en retraite en Métropole, semble continuer à diriger le GIR de Mayotte si l’on en croit des écoutes téléphoniques révélées par Le Point. Ce qui n’est pas banal…Jusqu’à ce que se produise l’incroyable : alors que l’ex-capitaine et un de ses anciens collaborateurs se trouvent, début juin 2013 en garde à vue à Nanterre, la doyenne des juges d’instruction commet une en bourde en omettant de renouveler la mesure de garde à vue ! Résultat : les deux hommes quittent le tribunal sans avoir été mis en examen.

Ce n’était que partie remise : le 26 novembre, Gérard Gautier est interpellé à Rennes. Emmené à Mayotte, le capitaine, mine défaite, abattu, est présenté au juge Karki qui le met en examen pour trafic de stupéfiants en bande organisée. Trente minutes plus tard, il peut repartir. Libre. Si le mauvais climat, tel un serpent de mer, ressurgit au gré des évènements, le juge Karki reste toujours aussi pugnace. Quitte parfois à dépasser une bienséance qui sied à tout magistrat. Comme au mois de mai dernier, où à l’occasion d’une enquête sur un trafic d’or portant sur 67 kilos – il aurait tenu "des propos déplacés" à l’encontre du client d’un avocat qui souhaitait la restitution d’un scellé composé d’or. L’incident est immédiat, l’avocat alertant illico le premier président de la Cour d’appel de Saint- Denis, Dominique Ferrière. Lequel convoque le juge le 16 juin. Incident encore lorsqu’à l’occasion d’une de ses instructions, il souhaite choisir lui-même le Juge des libertés et de la détention, censé être proche de ses idées. Evidemment, ce comportement agace sa hiérarchie. Pas un hasard si les primes lui sont refusées, et si, selon l’expression d’un de ses collègues, on «  le massacre dans ses notations.» Aujourd’hui, le juge Karki, s’il a ses partisans, peut aussi compter ses ennemis. Il y a peu, l’autre juge d’instruction, Marc Boehrer, désormais en poste en métropole, faisait partie du lot. Et pour cause: il avait consulté les fadettes de son collègue – relevés téléphoniques de son portable- à l’occasion d’une violation du secret de l’instruction dans l’épineux dossier Roukia ! Quant à la présidente du Tribunal de Mayotte, Marie-Laure Piazza, lors d’une assemblée générale des magistrats du siège qui se déroule le 27 novembre 2012, elle tancera le juge qui, selon elle, coûte 500 euros par mois au budget de la Justice en communications téléphoniques… alors que ses collègues en sont à 50 euros par mois. Que dire encore du dossier d’évaluation du magistrat, qui ressemble à un réquisitoire ! On y lit que ce dernier "ne présente aucune des qualités de rigueur, de discrétion, et d’humanité attendues d’un magistrat, en particulier instructeur. Ses relations avec ses collègues, comme avec les avocats et autres partenaires sont soit conflictuelles, soit claniques. Celles qu’il entretient avec ses supérieurs hiérarchiques sont nécessairement empreintes d’animosité et de ‘volonté d’en découdre’, sans qu’il en connaisse réellement les causes. La polémique et la calomnie sont des ‘armes’ qui lui sont familières, qu’il utilise volontiers grâce au réseau de politiques ou de journalistes acquis à sa cause, qu’il utilise." Un jugement assassin, une fois encore contesté par une grande partie du barreau de Mayotte qui voit en Karki un magistrat de qualité. A preuve, martèle-t-on, la Cour d’appel de Saint-Denis, à trois reprises, a tenté de le dessaisir de dossiers. En vain. Il est clair que règne à Mayotte une atmosphère peu propice à la sérénité.

La Cour de Cassation l’a bien compris, en décidant, le 16 juillet, de dessaisir le Tribunal de Saint-Denis pour confier l’instruction de cette affaire de viol au Tribunal de Grande Instance de Paris. L’enquête va donc redémarrer dans un climat apaisé. En attendant, un homme boit du petit lait. Comme dans une sorte de revanche : c’est l’ex-capitaine Gérard Gautier. Dès le 9 juillet, soit le lendemain de la mise en examen et du placement en détention d’Hakim Karki, il publie un communiqué dans lequel, de façon habile, il rappelle que ce dernier bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d’innocence… Puis, il en profite pour marteler que le GIR de Mayotte n’est en rien responsable de la mort de la jeune Roukia. Et Gautier de répéter que "selon les expertises, la jeune fille est morte d’une overdose d’héroïne et –TRES IMPORTANT – qu’aucune trace de cocaïne n’a été découverte lors des investigations scientifiques." Exit donc les accusations selon lesquelles les hommes du capitaine Gautier auraient pu fournir de la cocaïne à Roukia. Au successeur du juge Karki de démêler définitivement l’écheveau de cette ahurissante affaire. Et au magistrat parisien désormais chargé d’instruire celle du viol reproché à ce même juge Karki, d’en faire autant. De leurs conclusions sortira –peut-être – la vérité. En clair, un piège a-t-il vraiment été tendu au juge d’instruction dans cette funeste nuit du 1er au 2 juillet 2014 ?

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