Justin Bieber : Dieu tout puissant des enfants<!-- --> | Atlantico.fr
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Et vous, êtes-vous "belieber" ?
Et vous, êtes-vous "belieber" ?
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Il est né le divin enfant

53 millions de dollars : c'est la coquette somme qu'a empochée en 2010 le chanteur Justin Bieber, selon le magazine américain People. L'idole des jeunes est la bébé-star la plus rentable du monde. Retour sur un phénomène mi-amusant, mi-inquiétant...

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Le journal The Observer considère son influence sur les réseaux sociaux plus importante qu'Obama ou le Dalai Lama. Il enregistre un concert acoustique, « unplugged » comme un rocker cinquantenaire assagi. Contre un don à une organisation caritative, on peut se faire prendre en photo à côté d'une mèche de ses cheveux. Sa vidéo « Baby » est, en même temps, une des plus regardées et plus « disliked » (je n'aime pas). Le bébé-star Justin Bieber s'affirme d'emblée comme un paradoxe et un paroxysme. Ses fans sont « beliebers » (jeu de mot sur « believer », croyant). Un messie, vraiment ? Mais de quelle foi ?

Justin Bieber - Baby (vidéo)

Le « Never say never » (ne dis jamais « jamais ») et le « Someday » (un jour) de Bieber sonnent comme d'insouciantes promesses : la figure d'un possible, d'un avenir, à l'heure où l'on fait planer, comme des ombres chinoises, de sombres perspectives pour l'humanité.

Figures d'enfants joufflus et célestes, Bieber, son homologue féminin Miley Cyrus, et les autres ont l'attrait immortel des chérubin (le wunderkind Mozart, le jeune Michael Jackson en sont d'autres exemples). Ils sont aussi, déjà, de petits adultes sexués. Tout comme leurs fans, ce sont des tweens (préadolescent, entre 10 et 15 ans, de l'anglais between), « entre » deux âges, deux conditions, version solaire du chien et loup gothique et torturé des films Twilight (« crépuscule »).

Le succès de cette star repose sur ce tour de magie : il est, selon l'heureuse formule de Jan Hoffman du New York Times, « approachably cute », mignon sans être intimidant. Bien sûr, on est dans le factice : classe moyenne qui joue au rappeur sur les avis de son « swagger coach » (sorte de styliste personnel, de conseiller-allure), fausses vidéos maisons pour donner l'impression aux fans que cette star a été faite par eux, que c'est leur produit, et non celui du marketing – qu'ils possèdent ce golem blond et translucide...

Ce « heart throb » (battement de coeur) pour gamines suscite l'irritation des parents, l'incompréhension, et ne fait même pas l'unanimité chez les jeunes, mais il chante « My world ». Le King, l'Elvis de youtube, c'est « son monde », et ses fans sont possédées.

Les fans : gentils adorateurs ou dangereux fanatiques ?

Mais qui possède qui ? Car le mot fan (on pourrait le rapprocher de faon, innocent, et de faune, lubrique) est receleur d'une ambiguïté inquiétante. Il vient de « fanatique », du latin signifiant : celui qui se croit inspiré par l'esprit divin, pris de fureur poétique », comme le dieu Bacchus « de cerveau phanatique »1. Frénésie effrayante et spectaculaire : c'est quand les regards des femmes folles se tournent vers le jeune homme Penthée que sa mort est signée.

Au point de déclencher (scènes qui rappellent inéluctablement les concerts des Beatles avant que ceux-ci n'arrêtent de jouer en public) la jalousie féroce, untamed ("indomptée", titre d'un album de Miley Cyrus, alias Hannah Montana) de jeunes bacchantes qui si on les laissait faire, s'arracherait littéralement l'idole qui leur appartient à toutes un peu.

Et que les bébé-stars n'essaient pas de se dérober aux bébé-fans : leur frustration, comme celle du nouveau-né, est implacable. Leur amour est meurtrier : naissent les « crush » (coup de foudre subi) mais aussi les « crowd crush », ces mouvements de foule qui écrasent et tuent lors des rassemblements importants aux concerts.

Mais où sont donc les bébés fans français ?

Pourquoi la France ne produit-elle pas autant de bébé-stars (n'oublions pas tout de même Alizée et quelques autres) ? Peut-être parce que les pays anglo-saxons sont rois dans le domaine de... l'enfant-roi, perçu comme une personne complète, capable d'opinions et de choix comme un adulte ; dans le même temps que l'on y reste aussi « bébé », plus longtemps sous la coupe des parents (voyez le rôle capital joué par la mère de Justin Bieber et le père de Miley Cyrus).

Un grand magazine américain demande à Justin Biberon son avis sur l'avortement, l'homosexualité ou le sexe avant le mariage : de manière révélatrice, ces phénomènes sont uniformément perçus par l'intéressé comme une question de « choix », qu'il assure naïvement ne pas vouloir « juger ».

Faut-il vouer ces chérubins aux gémonies, comme ceux qui firent courir la rumeur que sa mère de Justin était morte, comme les jaloux de son succès auprès des femmes mûres de douze ans, comme ceux qui piratèrent le sondage en ligne sur le site destiné à recueillir le choix par les fans de la destination de sa prochaine tournée, révélant un engouement surprenant pour le jeune canadien en Corée du Nord ? Faut-il menacer de mort, attaquer ad nominem et calomnier ceux qui font profession de l'aduler ?

Ou bien faisons comme Justin : suspendons notre jugement.

1 Rabelais, Le Cinquième Livre, éd. Marty-Laveaux, XLVI, p. 175.

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