Economies sur la Défense : cet inventaire des lourdes coupes budgétaires que le gouvernement aimerait masquer<!-- --> | Atlantico.fr
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Des propositions méconnues font encore plus affaiblir le budget de la Défense
Des propositions méconnues font encore plus affaiblir le budget de la Défense
©Reuters

Cache misère

Le gouvernement fait peser une lourde partie des restrictions budgétaires sur la Défense. Même si elle a été mis à contribution sur le plan budgétaire et qu'elle va se préparer à une baisse de ses effectifs, d'autres dispositions plus méconnues du grand public accroissent un peu plus sa contribution, et renforcent son affaiblissement.

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023). Michel Goya a publié avec Jean Lopez « L’ours et le renard Histoire immédiate de la guerre en Ukraine aux éditions Perrin (2023).

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Xavier Bertrand

Xavier Bertrand

Xavier Bertrand est Président de la Région Hauts-de-France et Président de Nous France.

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La réduction des effectifs des armées de 54 000 militaires, auxquels se rajoutées 24 000 nouvelles suppressions

Xavier Bertrand : La réduction du format des armées était une nécessité, car nous étions restés sur un format proche de la guerre froide même si les gouvernements successifs ont tous plus ou moins amputé les crédits militaires.

Le ministère de la Défense doit bien sûr participer comme les autres ministères aux efforts de réductions budgétaires de l’Etat. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille réduire drastiquement les effectifs, d’autant qu’il est de loin le ministère qui a le plus fait ces dernières années dans la réduction de sa masse salariale. Il est impératif que la France dispose des forces adaptées à ses ambitions internationales, cohérentes avec son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU et capables de garantir sa souveraineté et notamment sur l’ensemble de son territoire.

Il n’est pas possible de demander toujours plus aux armées, notamment en Opérations Extérieures (OPEX), et dans le même temps les priver des ressources humaines qualifiées nécessaires.

Michel Goya : La réduction des effectifs des armées de 54 000 militaires, auxquels se rajoutées 24 000 nouvelles suppressions me fait penser à une citation de Victor Hugo : "De bien maigres économies pour de bien grands dégâts". Cette réduction a engendré des mesures de rationalisation du soutien, comme les bases de défense, ou la gestion centralisée des parcs de véhicules, et qui ont rigidifié l'organisation et l'ont rendu vulnérable à toute surprise. Le désastre du logiciel informatique Louvois aurait pu être évité, ou tout du moins ses conséquences réduites sans cela. De plus, la logistique de l'opération au Mali Serval a également subi des désordre à cause du manque d'effectifs.

Un gel du budget auquel succédera probablement une baisse dès 2015

Xavier Bertrand :Les 31,4 milliards d'euros étaient un plancher en-deçà duquel il est impossible de s'aventurer. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner. Pour le moment, il semble que les objectifs de la LPM sont tenus, mais on voit bien que le recours aux ressources exceptionnelles, les fameuses "REX", revient à jouer aux équilibristes. En effet, sans ces REX, la LPM n'est pas tenable... Il faut avoir conscience du trou béant de ces REX : désormais 7,6 milliards d’euros à trouver !

Or, ces REX sont, par nature, incertaines. Nous savons déjà qu’en 2015, le produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz ne sera pas disponible, alors même qu’il s’agit de la ressource espérée la plus importante !

Comme toujours, la tentation est forte de se servir du budget de la défense comme d'une variable d'ajustement des dépenses publiques. Surtout de la part de ce gouvernement qui a du mal à dégager des économies ailleurs, quand il ne cède pas aux sirènes de la dépense. Le budget de la Défense a donc des risques d'être à nouveau sacrifié, ce qui serait périlleux à court, moyen et long terme pour la sécurité de la France.

Je le répète : voter une baisse du budget de la défense aurait des conséquences incalculables pour notre pays : rang et indépendance technologiques, autonomie de décision, capacité d'intervention, moral de nos soldats - déjà particulièrement éprouvé -, poids diplomatique international, influence de la France dans le monde. Quel crédit aurions-nous au regard du monde ? Quelle image aurions-nous de nous-mêmes ? Tout cela reviendrait à faire preuve d'une profonde inconséquence. On ne transige pas avec notre sécurité. Je reste donc particulièrement vigilant sur la préparation du budget 2015 ainsi que de la programmation triennale.

Michel Goya : Pour le moment il ne s'agit que d'un gel, mais il faudrait probablement s'attendre à une biasse de ce budget dès 2015. Encore une fois, le budget actuel n'est pas suffisant pour maintenir les choses simplement en état, alors s'agissant de la modernisation, ou tout simplement de rester dans la course aux technologies militaires… Toute baisse entraînera une chute plus que proportionnelle des capacités, et in fine des potentiels de succès lors d'opérations militaires.

La centralisation du stockage du matériel, regroupé pour rationaliser sa gestion

Xavier Bertrand : Il s’agit des bases de défense. La France a longtemps eu des armées beaucoup plus importantes qu’aujourd’hui, avec une organisation géographique éclatée, qui faisait alors sens. Les formats ont changé et les technologies ont évoluées. Il est donc nécessaire, afin de réduire les coûts et de gagner en efficacité, de réorganiser le soutien aux forces. La difficulté est de mettre en place une nouvelle organisation répondant aux enjeux tout en gérant efficacement la transition d'un système à l'autre. J’attends de voir le bilan de la mise en œuvre des bases de défense.

Michel Goya : La centralisation du stockage du matériel, regroupé pour rationaliser sa gestion entraîne d'ores et déjà des coûts humains invisibles comme la démotivation, la difficulté à s'entraîner aux exercices de simulation (puisque les véhicules majeurs ne sont pas en nombre suffisant dans les régiments). Il n'y a plus l'attachement entre les hommes et "leur" véhicule. La plupart des engins sont prêtés le temps de l'opération. La moindre connaissance, le moindre attachement induisent des coûts de maintenance (problème d'entretien, pannes, accidents). Cela a un effet considérable sur le moral des troupes.

Programmes d'achats étalés dans le temps ou fortement retardé

Xavier Bertrand : L'étalement des programmes est la solution régulièrement utilisée en France face à la contrainte budgétaire. Si cette solution permet d'éviter de remettre en cause les programmes qui sont nécessaires pour répondre aux besoins capacitaires des armées, il y a des limites à l'exercice. Nous savons déjà que du fait du contexte budgétaire actuel, la Direction Générale de l’Armement (DGA) a déjà dû prendre des mesures sur des programmes essentiels pour notre défense nationale : gel des engagements sur les programmes M51.3 (que l’industriel alimente de sa propre trésorerie) et Barracuda, report ou allégement des programmes MRTT et Scorpion.

De plus, au-delà de l’aspect capacitaire, à force d'étalement, les volumes produits n'ont plus de sens du point de vue industriel mais également budgétaire. Cela coûte in fine plus cher tout en fragilisant notre base industrielle de défense. En effet, le report de programmes implique un allégement des charges de travail au sein des entreprises, avec des conséquences néfastes sur l’emploi, tant chez les donneurs d’ordre que leurs sous-traitants.

Il est nécessaire de savoir quelles sont les priorités capacitaires et donc industrielles pour faire les choix qui s'imposent. Soit pour arrêter ce qui doit l'être, soit pour préserver les capacités pour lesquelles l'autonomie stratégique est nécessaire en réalisant les efforts requis.

Michel Goya : Le gouvernement a choisi d'étaler les programmes d'achats de nos armées voire de les retarder fortement. Si la réduction des dépenses est visible à court terme, elle ne l'est pas pour plus tard. Effectivement, le coût unitaire augmente souvent et à long terme les gains sont toujours inférieurs à ce qui était prévu. Certains programmes (VBCI, FREMM) coûteront finalement plus cher que prévu initialement pour cette raison.

De plus, les retards imposent d'utiliser plus longtemps que prévu des matériels anciens et leur coût de maintenance explose (ainsi que celui des nouveaux équipements d'ailleurs car de haute technologie). Il s'agit pour le coup d'une très mauvaise opération financière.

Egalement, on voit la fin des investissements de recherche sur des matériels de pointe, notamment les drones et les hélicoptères lourds, et cela contribue à la vulnérabilité générale en opérations extérieures. Le pire, c'est que nous sommes ensuite obligés d'acheter en urgence des matériels américains ou de faire appel aux Alliés.

Accroissement de la pression de Bercy sur les 10% du budget de la Défense qui ne sont disponibles qu'en fin d'exercice

Xavier Bertrand :Les gels de crédits sont problématiques. Non seulement cela revient à remettre en question les choix faits par le Parlement lors du vote du budget, mais cela rend difficile la gestion des engagements par le ministère de la Défense. Le respect des décisions du Parlement, tant pour le vote de la LPM que des budgets qui en découlent doivent être respectés.

Centralisation (avec l'influence grandissante de Bercy) de la gestion des personnels et de l'avancement, pour réduire les coûts des montées en grade

Xavier Bertrand : Cette question traduit un choix politique qui consiste à centraliser sur une autorité unique du ministère le pilotage de la masse salariale du ministère. De fait, cela prive le chef d'état-major des armées de sa responsabilité en la matière. Ce choix traduit une certaine défiance de l’exécutif vis-à-vis des armées, considérant au minimum qu'elles ne sont pas capables de maîtriser leur masse salariale vis-à-vis de Bercy. Est-ce cohérent ? Je ne le pense pas.

C’est aux experts du domaine, donc du ministère de la Défense, de s’assurer que la gestion des forces sera appropriée aux attentes des responsables publics comme des intérêts de la Nation. Je note enfin que le statut militaire diffère de celui des fonctionnaires. Ce n'est pas sans raison : ils sont ceux qui risquent leur vie pour la défense de la Nation.

Michel Goya : La centralisation de la gestion des personnels et de l'avancement qui a pour but de réduire les coûts est principalement l'œuvre de la pression exercée par Bercy. Tout cela est vécu comme une attitude humiliante supplémentaire pour les militaires qui ont le sentiment d'être pris pour des "cons".

Réduction des remboursements par le budget national des coûts réels des opérations extérieures

Xavier Bertrand : C'est la Nation qui, sur décision du Président de la République, s'engage pour mener une opération extérieure, avec l'aval et pour le compte de la Nation et de la communauté internationale. Dans ces conditions, il est inacceptable que le budget de la défense nationale assume seul les surcoûts en cause.

La décision de réduction des remboursements est intenable, sauf à réduire immédiatement le format de nos engagements opérationnels extérieurs (retrait de la République Centrafricaine, du Mali...). La situation en RCA n'évoluant pas positivement, il est à craindre que nos troupes devront y demeurer plus longtemps qu'initialement prévu. Quant au Mali, la situation reste très fragile. Nous pourrions aussi évoquer les autres opérations militaires que la France conduit avec discrétion et professionnalisme, en dans la Corne de l’Afrique ou encore dans le sud-libyen. Si nous voulons assumer nos responsabilités internationales, cela ne sera alors pas sans conséquence en termes budgétaires.

La solution alternative que je propose est de faire supporter les coûts des OPEX par le budget de Bercy, comme le font nos partenaires britanniques, qui ne sont pas connus pour être des aventureux en matière budgétaire. Après tout, le budget de la Défense peut être considéré comme un socle pour la sécurité nationale et les OPEX devraient être financées par des ressources extra budgétaires puisqu’il s’agit d’opérations extraordinaires.

Fin des investissements de recherche sur des matériels de pointe, notamment les drones et les hélicoptères lourds

Xavier Bertrand : La préparation de l'avenir est importante. C'est aujourd'hui que nous devons préparer les capacités dont les armées auront besoin dans quinze ou vingt ans. La R&D y contribue grandement ; nous ne devons pas décrocher, surtout quand les autres continuent à investir.

Si nous ne sommes pas en mesure de dégager les moyens appropriés, nous risquons de remettre en question un outil technologique et industriel de très grande qualité et extrêmement compétitif sur lequel la France a investi depuis plus de cinquante ans. Les choix sont difficiles car nos ressources ne sont pas illimitées, mais la France a soutenu depuis de nombreuses années des dynamiques de coopération en Europe et au-delà. Il est important que la préparation de l’avenir se fasse avec les partenaires qui ont la même approche que nous.

La mutualisation des efforts est une solution pour accroître l’efficacité de la dépense publique. La France a été un des principaux promoteurs de la coopération européenne de défense. Elle a porté les coopérations bilatérales avec le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore l’Italie. Il est temps de tirer parti de ces leviers internationaux pour accroître l’efficacité de la dépense tout en garantissant que les forces armées disposeront dans l’avenir des moyens dont elles ont besoin, en toute autonomie.

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