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100 jours du FN municipal : de rares mesures symboliques et beaucoup, beaucoup de prudence
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Bilan de parcours

Les maires FN fraîchement élus à la tête d'une dizaine de villes de plus de 9500 habitants ont eu plus de 100 jours pour prendre leurs premiers arrêtés et voter leur premier budget.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Le 30 mars 2014, les candidats du Front national ou soutenu par le parti frontiste remportaient 11 villes de plus de 9500 habitants. Au cours des 100 premiers jours de leur mandat, certains maires ont fait parler d'eux au travers d'arrêtés anti-mendicité pour certains, de couvre-feux pour d'autres ou encore en décrochant les drapeaux européens de leur Mairie. Néanmoins, au terme de ces 100 premiers jours le bilan révèlent une gestion relativement prudente.

  • Béziers

Robert Ménard, candidat soutenu par le Front national a remporté la ville de Béziers. L'ancien président de Reporters sans Frontières serait "très vigilent sur l'image qu'il renvoie", explique Arnaud Gauthier, journaliste pour le quotidien Midi-Libre. Néanmoins, il est entouré de personnalités radicales comme André-Yves Beck  qui a notamment été membre de Troisième voie.

La sécurité et la propreté sembleraient être ses priorités. Depuis le 1er mai, la police municipale de Bézier peut verbaliser les propriétaires de chiens à l'origine de déjections sur les trottoirs à hauteur de 35 euros. Deux autres arrêtés municipaux prévoient, pour l'un, un couvre-feu du 15 juin au 15 septembre s'appliquant au mineur de moins de 13 ans circulant seul entre 23 heures et 6 heures, pour l'autre,  une interdiction d'étendre le linge aux fenêtres et aux balcons. D'autres mesures symboliques, comme le fait d'accrocher les drapeaux de la ville et de la France aux façades des écoles, ont également été prises. "Après trois mandats successifs, le maire précédant n'avait peut-être plus la même énergie. Les Biterrois ont l'impression que les choses bougent, que la ville est plus propre qu'avant, ils voient leur maire à la télé, à la radio dans les médias", estime Arnaud Gauthier. Robert Ménard aurait néanmoins proposé de supprimer l’étude surveillée du matin pour les enfants de chômeurs, pour la remplacer par un "accueil".

  • Hénin-Beaumont

"Steeve Briois prend en fait le contre-pied de ce que fait Robert Ménard à Béziers", analyse Abel Mestre, journaliste au Monde. Hénin-Beaumont est un cas particulier, partagé entre des mesures "sociales" et des mesures sur la sécurité. D'un point de vue symbolique, ce qui désarçonne l'opposition de gauche, Steeve Briois a rebaptisé la salle de réunion de la Mairie, la salle Jacques Piète du nom de l'ancien maire, compagnon de la libération et proche de Mitterrand", raconte Abel Mestre. D'un autre côté, le FN en phase avec sa ligne plus droitière sur la sécurité a pris un arrêté municipal anti-mendicité s'appliquant au centre-ville et privé de local l'association de la Ligue des droits de l'homme.

  • Mantes-la-Ville

Mantes-la-ville a élu Cyril Nauth à sa tête. Comme à Béziers la propreté de la commune serait un des chevaux de bataille du maire fraichement élu. Maxime Fieschi, journaliste au Parisien ne voit pas dans la gestion de la commune de "manifestations spectaculaires de l'idéologie du Front national". Si l'on a pu constater une baisse des subventions aux associations, l'ensemble d'entre-elles sont concernées. L'unique pomme de discorde porte sur le refus de procéder à une cession d'un bâtiment municipal à une association musulmane. Point que Cyril Nauth avait annoncé lors de sa campagne.

  • Fréjus

Dans cette commune du Var, la plus endettée de France, le Front national a commencé par voter un budget d'urgence dans lequel les associations ont-elles aussi toutes vu leurs subventions baisser. Pour l'opposition portée par la voix de l'UMP Philippe Mougin, ces coupes seraient "sombres et irréfléchies". D'un point de vue plus symbolique, le maire a choisi de retirer le drapeau européen de la Mairie. "Les opposants à l'équipe municipale y voient évidemment la mise en place d'une idéologie frontiste", décrit le journaliste Vincent Bassouls de Nice-Matin. Puis de poursuivre : "A contrario de certains maires FN, David Rachline s'est installé sans trop faire de bruit, une partie de la population estime même que cela se passe plutôt bien". Même l'opposition estime que le Front national ne fait pas de vagues. "Ils veulent être irréprochable pour valoriser l'image de leur parti en 2017", selon l'analyse de Philippe Mougon.

  • Tour d'horizon des autres communes

Dans les autres communes, comme au Pontet, la municipalité FN a supprimé les repas gratuit à la cantine pour les plus démunis, et dans le 7e arrondissement de Marseille il a été interdit aux fonctionnaires de parler des langues étrangères. Pour finir, la commune de Cogolin a fait parler d'elle car l'équipe municipale souhaite créer un parking sur un square de la ville et de le baptiser du nom de l'écrivain Maurice Barrès, membre de l'Académie française et antidreyfusard notoire, resté célèbre pour ses écrits nationalistes et traditionalistes du début du XXe siècle.

Atlantico : Au mois d'avril, 11 maires estampillés Front national ou soutenu par le parti frontiste ont été élus à la tête de villes de plus de 9500 habitants. S'il est trop tôt pour dresser un bilan complet de leur gestion de la ville, comment peut-on qualifier ces 100 premiers jours ?

Jean Petaux : : Il est effectivement bien trop tôt pour mesurer ou évaluer l’ampleur du chemin parcouru. Déjà, à l’échelle d’un Etat, ce "seuil" des 100 jours, pour faire image n’a pas grande pertinence, vous pensez bien que pour une municipalité la vanité de l’exercice est décuplée. S’il faut néanmoins trouver un mot qui résumerait le changement ce serait, à mon sens, le terme de "symbolique". En politique, les symboles sont essentiels. Etymologiquement le mot "symbole" signifie littéralement "joint ensemble". C’est ce petit bout de bois que l’on accrochait à la ceinture de l’enfant séparé de sa famille par exemple pour être vendu au marché aux esclaves dans la Grèce antique et qui permettait, bien plus tard, parce qu’il " jointait" parfaitement avec le morceau conservé par les parents d’être reconnu par ses très proches. Les symboles participent donc directement, depuis très longtemps, à la construction de l’identité. Rien d’étonnant alors à ce qu’en matière de gouvernance politique on produise d’abord de l’identité par des gestes symboliques destinés à conférer du sens à l’action menée. C’est pour cette raison qu’il ne faut surtout pas confondre "symbolique" et "accessoire" ou "résiduel".

Que révèlent-ils de la stratégie du Front national ?

Plusieurs préoccupations ou priorités. La première est sans doute tactique. Elle consiste à se faire discrète pour se donner du temps afin de prendre la mesure de la tâche qui incombe à une équipe en charge d’une ville. Et pour cela autant le faire à l’abri des projecteurs médiatiques. La deuxième est de nature plus politique : instruits par les expériences plus spectaculaires que durables des victoires de 1995, les dirigeants nationaux du FN ont décidé, cette fois-ci, d’encadrer les vainqueurs de mars 2014. Dans cette perspective il se crée une forme de "nationalisation" des enjeux politiques locaux dans ces nouvelles mairies FN. Cela ne signifie pas que les contextes spécifiques à chaque mairie vont disparaitre mais ils sont, momentanément, gommés. Nous avons assisté à cela dans le passé quand des partis politiques structurés et organisés de manière pyramidale ont emporté de nombreuses villes : le centre mettait en quelque sorte sous tutelle ces municipalités nouvellement acquises. L’intention ici est d’éviter que ces élus récents ne s’autonomisent trop rapidement par rapport à la direction nationale. Et puis enfin, troisième élément révélé de la stratégie du FN, une volonté coordonnée de montrer une forme de respectabilité. Quand vous prétendez être un parti de gouvernement vous devez veiller à ce que vos élus se comportent publiquement avec prudence, sérieux et mesure. Au risque d’apparaître finalement "comme les autres". Ce qui est le premier danger pour un parti qui, justement, prétend "renverser les tables " et faire autrement.

Peut-on distinguer un FN du Nord et un FN du Sud ? Cette différence se retrouve-t-elle dans la gestion des municipalités ? 

Je crois qu’il est vraiment trop tôt pour faire ce constat même si c’est une question de recherche tout à fait intéressante. Avec ironie je dirai que le FN du Nord, celui de Villers-Cotterêts (Aisne) a déjà réussi là où on ne l’attendait pas… Il a "produit" la meilleure bachelière de France, Myriam Bourhail qui a obtenu par le jeu des options 21,03 de moyenne générale à son bac S. Bien entendu la nouvelle municipalité FN de la ville n’est absolument pour rien dans ce joli succès d’une lycéenne dont la famille est originaire de l’immigration marocaine. Et cela d’autant plus qu’une des "grandes décisions" de Franck Briffaut, nouveau maire FN élu en mars dernier, a été de boycotter les cérémonies organisées nationalement le 10 mai pour commémorer l’abolition de l’esclavage, au motif qu’il en avait marre de "l’autoculpabilisation". On imagine sa tête et celles d’un certain nombre de ses électeurs quand ils ont appris qu’une jeune concitoyenne, française d’origine immigrée, était "major" du cru 2014 du baccalauréat national… Pas sûr que cette idée de promotion de la ville figurait au catalogue des propositions de la nouvelle équipe. A part ce qui demeure une anecdote, on ne peut pas caractériser aujourd’hui de différences entre les gestions municipales d’Hénin-Beaumont, de Villers-Cotterêts, de Mantes-la-Ville d’un côté, toutes villes du "nord" avec les cités conquises par le FN au "sud", comme Fréjus ou Cogolin par exemple. De ce point de vue-là le parti de Marine Le Pen se comporte bien comme un parti centralisé à forte concentration du pouvoir au niveau de l’état-major national. La vraie question est celle-ci : combien de temps les nouveaux maires FN vont-ils être disciplinés et obéissants ? combien de temps vont-ils attendre avant de se comporter comme leurs prédécesseurs, le couple Bompard à Orange (Vaucluse) qui a fini, après une première élection sous étiquette FN en 1995 par créer en 2010 sa propre micro-formation, la "Ligue du Sud", en passant, brièvement, par le MPF (Mouvement pour la France) entre 2005 et 2010.

Hormis quelques mesures symboliques, il semblerait que les maires FN aient choisi de jouer profil bas et de gérer les villes dans une certaine continuité.  Dans quelle mesure risquent-ils  de décevoir leur électorat qui pouvait espérer des changements plus radicaux ? Comment trouver l'équilibre entre les attentes de leur électorat sans pour autant s'aliéner le reste des administrés ?

Encore une fois le temps est bien court pour évaluer l’ampleur du changement. Mais vous avez certainement raison d’utiliser l’expression "profil bas ". Le seul qui a défrayé la chronique, et ce n’est certainement pas un hasard, est Robert Ménard, maire de Béziers. Il faut rappeler qu’il n’est pas officiellement FN mais soutenu par le parti lepeniste pendant la campagne municipale. Ce n’est pas qu’une question de forme ou d’apparence. Déjà, de par sa profession antérieure, journaliste ; de par ses réseaux personnels et son attachement à attraper la lumière, il bénéficie sans doute d’une plus forte capacité dans la production d’UBM (Unités de Bruit Médiatique) mais il a aussi les coudées plus franches pour agir d’autant qu’il s’est déjà plus ou moins fâché avec Marine Le Pen. Ménard a fait du Ménard. C’est-à-dire du "buzz". On voit vite les limites de l’exercice. Une fois que vous avez interdit le linge aux fenêtres des immeubles du vieux Béziers, sauf à reprendre un arrêté municipal pour autoriser le retour du linge sur les balcons et pouvoir ainsi, la semaine suivante l’interdire de nouveau, votre stratégie du changement municipal fait, à tout le moins, "long feu". On peut néanmoins lui faire confiance pour trouver d’autres coups à jouer. L’accent mis sur la propreté de la ville est sans doute plus sérieux et surtout plus efficace en termes de matérialité du changement. Les sondages à l’échelon local montrent qu’il s’agit souvent d’une priorité dans les attentes des électeurs. S’attaquer à cette thématique politique locale c’est s’assurer une image rapidement positive. Pas certain que cela puisse permettre de donner le change pour tout un mandat. Au-delà du cas Ménard qui a cherché par ailleurs à se rallier quelques personnalités connues au plan national et médiatique (comme Michel Cardoze et sa célèbre moustache météorologique pour créer quelque événement culturel sur place, avant que ce dernier ne renonce sous l’aimable pression de certains de ses amis, compte tenu du tollé que cette forme de ralliement provoquait), les autres maires FN de stricte obédience encourent, dans la banalisation potentielle de leur gestion locale, un risque politique majeur. Je dirais même que cette usure du pouvoir éventuelle (et prématurée si elle devait être avérée) serait problématique y compris pour Marine Le Pen elle-même. Si par, souci de montrer que le FN est un parti de gouvernement, les mots et les actes sont très encadrés par l’état-major mariniste, et que le changement n’est pas profond au niveau municipal alors c’est toute l’imagerie d’un FN anti "UMPS" qui risque d’être entachée. Avec cette difficulté supplémentaire qui tient à la faible marge de manœuvre des collectivités locales, toutes, en France, confrontées à des difficultés financières lourdes, sans atteindre le niveau de Fréjus nécessairement.

Etant donné leur mandat mais aussi les impératifs de la gestion quotidienne d'une commune, les élus Front national peuvent-ils réellement espérer apporter le changement qu'ils ont promis à leurs électeurs ?

J’aurais tendance à répondre de "moins en moins". Le poids des enjeux nationaux (voire internationaux) dans la construction des problèmes (et donc dans leur éventuelle résolution) est tel aujourd’hui qu’il est totalement absurde de penser que le "changement c’est localement". Au plan municipal par ailleurs, le fait communal tend à se fondre dans l’intercommunalité. L’avenir est bien aux EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale) et il faut bien comprendre ici que les nouvelles équipes FN sont isolées au sein-même de leurs communautés de communes ou d’agglomération. Tout cela participe à constituer une sorte de piège local pour le FN dont il va falloir qu’il fasse l’analyse assez rapidement. Pour autant, encore une fois, il est nettement trop tôt pour appréhender les intentions politiques. Le vote du premier budget de la mandature permettra de réellement évaluer les orientations engagées. On pourra, sans en tirer des conclusions trop hâtives (le vrai bilan pourra se faire à la fin de ce premier mandat, en 2020), chercher à identifier les particularités d’une gestion FN, après 365 jours… Cela reste peu mais me semble plus raisonnable que 100 jours. Dans tous les cas votre question sera la question centrale posée à ces maires FN par des électeurs à la fois adhérents aux propositions formulées par le parti frontiste mais aussi mécontents et résolument hostiles aux programmes des autres formations politiques présentes locales. A trop attendre d’un FN qui rasera gratis, ce qui est le propre d’un parti démagogue, les électeurs peuvent vite s’en détourner confrontés à l’inanité des actes politiques posés, ou, à tout le moins, à leur petitesse au regard des grands changements espérés : "plus d’immigrés", "un emploi pour ma fille", "plus de crottes de chiens", etc.

Propos recueillis par Carole Dieterich

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