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Oubliés les fans occidentaux, Hollywood veut maintenant l’argent des spectateurs chinois
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La Chine a Transformers Hollywood

Les fans de Transformers vont être bien surpris quand ils verront le prochain numéro dans les salles. Une des scènes se passe en plein Texas et on y voit le héros boire... des boissons énergisantes chinoises. Vous avez dit bizarre ?

Nolwenn Mingant

Nolwenn Mingant

Nolwenn Mingant est Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Sorbonne nouvelle-Paris 3.

Elle a publié en 2010 Hollywood à la conquête du monde : Marchés, stratégies, influences (CNRS Editions).

Elle est co-fondatrice de l’association CinEcoSa (Cinéma, Economie et Sociétés anglophones) qui œuvre au développement de l’étude de l’économie du cinéma d’un point de vue civilisationniste.

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Atlantico : Le dernier Transformers sorti sur les écrans américains fourmille de produits chinois. Le marché chinois tend à s'imposer de plus en plus dans les superproductions hollywoodiennes. En quoi cette tendance peut-elle changer la production cinématographique hollywoodienne ?

Nolwenn Mingant : La production cinématographique hollywoodienne est de toute façon en train de changer depuis plusieurs années car son fonctionnement tend à s’intéresser de plus en plus au marché étranger et à inclure dans les films des éléments qui vont plaire aux publics étrangers. Le marché chinois en l’occurrence est celui sur lequel Hollywood cherche à se développer au maximum actuellement, étant donné qu’en 2012, il est devenu le premier marché extérieur devant le Japon. Par conséquent, tous les éléments susceptibles de plaire au public asiatique sont très présents dans les films hollywoodiens actuels.

Qui est à l'origine de ces placements de produits ? Est-ce Hollywood ou les marques chinoises ? Pourquoi ? Quels avantages en retirent-ils chacun ?

Avant même de se poser la question du placement de produit, il faut se tourner vers les choix de production. Je pense notamment au film Red Dawn sorti en 2010 qui est le remake d’un film des années 80. Dans celui des années 80 avec Patrick Swayze, les méchants étaient russes. Dans celui de 2010, les méchants étaient supposés être chinois. Mais à la place, ils ont préféré prendre des méchants nord-coréens parce que la Corée du Nord n’est pas un marché, et surtout parce que le marché intéressant est le marché chinois. On voit donc qu’il y a des décisions en termes de production qui sont prises afin de plaire aux marchés ciblés, notamment aux plus importants comme la Chine.

Il y a eu plusieurs étapes avant le placement de produit afin de séduire un marché étranger, en l’occurrence celui de la Chine. La première étape a été d’inclure un acteur chinois populaire, comme Jackie Chan qui est très présent à Hollywood depuis une dizaine d’années. La deuxième étape a été de tourner le film en Asie, je pense notamment à Pacific Rim. Concernant la troisième étape, à cause de la censure, il faut savoir que les films hollywoodiens ne passent pas nécessairement dans la même version qu’aux Etats-Unis. Dans Men In Black 3 par exemple, certaines scènes ont dû être retirées, contrairement à Iron Man 3 où certaines scènes ont été rajoutées. Dans ce dernier film, c’était assez étonnant car ils ont ajouté des scènes avec des acteurs chinois qui expliquaient que les superpouvoirs d’Iron Man venaient de la médecine traditionnelle chinoise.

Finalement, le placement de produits chinois dans Transformers 4 se situe dans la lignée de toute cette chaîne de production. Quelque part, il s’agit peut-être du dernier avatar dans la façon de plaire au marché chinois.

De plus, le marché chinois est potentiellement énorme mais est limité par le quota imposé sur le nombre de films étrangers diffusés dans les salles chinoises. Seuls 20 films étrangers par an peuvent être projetés. Depuis quelques années, 14 films supplémentaires peuvent être projetés à condition qu’ils soient en Imax ou en 3D. C’est d’ailleurs pour cela que de plus en plus de studios hollywoodiens réalisent des films dans ces deux formats. Une autre solution existe pour passer au travers des quotas : faire une co-production avec la Chine, comme ce fut le cas du Royaume Interdit avec Jackie Chan. C’est une solution que l’on retrouve de plus en plus.

En tout, cela fait environ une dizaine d'années qu’Hollywood cherche à s’introduire sur le marché chinois. A l’inverse cependant, cela constitue une très bonne opportunité pour les industriels chinois de s’exporter à l’étranger, principalement aux Etats-Unis, mais également dans les autres pays où le film est diffusé.

Jusqu'ici Hollywood a été le principal vecteur de "l'american way of life" à l'étranger. Que penser donc de cette évolution dans les produits mis en avant ?

Hollywood est constitué d’entreprises qui cherchent à vendre des films. Pour cela, elles font des études de marché et modifient leurs produits en fonction des résultats de ces études. Si le client est asiatique, alors on modifiera le produit en fonction de ses goûts et de ses attentes. Il n’y a pas de programme culturel à Hollywood dont le but est d’américaniser le monde.

En 2011, Warner Bros annonçait une joint-venture avec plusieurs sites chinois de vidéos à la demande. Quel avenir peut-on attendre du rapprochement entre le secteur cinématographique américain et le marché chinois ? Quelles conséquences culturelles peut-il y avoir ?

Il s’agit là encore d’une manière pour Hollywood de s’introduire sur le marché chinois. Pour avoir le droit d’y travailler, il y a effectivement obligation d’avoir un partenaire local. De plus, le gros problème du marché chinois pour les studios américains, c’est le piratage. Par conséquent, développer la VOD peut être une façon de donner un accès aux films légal aux gens et donc de les détourner des pratiques illégales de piratage.

Concernant les conséquences culturelles, on peut dire que grâce aux films américains, le public international va se trouver de plus en plus sensibiliser à la Chine. D’autant plus que pour l’instant, le marché s’ouvre à peine et est la priorité pour les prochaines années. Hollywood avait déjà essayé de s’exporter en Inde, mais du fait entre autres de la très forte présence de l’industrie bollywoodienne, cela n’a pas vraiment fonctionné. D’où, l’insistance sur la Chine.

Qu'est-ce que le placement de produits chinois dans les films américains change au niveau de la narration, du choix des thèmes et de la conception ?

Le placement de produit en soi ne change pas grand-chose, hormis à faire sortir le spectateur du récit. Si l’on voit le héros du film Transformers se mettre à boire une boisson énergisante chinoise en plein Texas alors que cette boisson n’y existe même pas, on peut être sûr que le spectateur tiltera et se posera quelques questions. Si ce placement est fait de manière artificielle, à l’instar de Transformers 4, les spectateurs peuvent se sentir un peu parasités, autant aux Etats-Unis qu’en Chine !

Comment fait-on un film qui parle à ces deux publics culturellement radicalement différents ?

Les studios d’Hollywood sont champions dans ce domaine, étant donné qu’ils le font tout le temps. Ils cherchent à chacune de leur production à parler non pas à un ou à deux publics mais à quasiment tous les publics du monde ! Cela passe par beaucoup de choses, notamment des figures universels comme les héros, mais également – ce qui se fait de plus en plus – par le fait de tourner des films à l’étranger. Par exemple, une des scènes du film avec Tom Cruise, Edge of Tomorrow, se passe à Paris, et plus précisément au Louvre. Le Louvre va donc parler naturellement aux Français, mais aussi à tous les touristes dans le monde qui y sont déjà allés, ainsi que ceux qui rêveraient d’y aller.

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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