Mais où pourra donc aller le pédalo de l’économie française maintenant qu’Arnaud Montebourg s’en est bombardé co-pilote ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pédalo de l'économie français vogue à vide
Le pédalo de l'économie français vogue à vide
©REUTERS/Toby Melville

Dans le mur

Le ministre de l’Economie, du redressement productif et du numérique a décidé de s’offrir un discours de politique économique générale dont rien ne garantit qu’il reflète les options du Président ni celles du Premier ministre.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : Le ministre de l'Economie va faire aujourd'hui un discours décrivant sa vision des grandes orientations à prendre, quasiment en toute indépendance de la position gouvernementale. Qu'est-ce que cette initiative nous apprend sur les dysfonctionnements internes du gouvernement ? Est-il plus désuni que jamais ?

Jean-Charles Simon : Depuis son entrée au gouvernement en 2012, Arnaud Montebourg a l’habitude de prendre des positions personnelles, avec une certaine liberté, d’affirmer un ton et des orientations qui peuvent se différencier sensiblement des choix finalement effectués par l’exécutif. Comme lorsqu'il demande la nationalisation de Florange, ou encore quand il s’oppose vigoureusement au rachat de SFR par Numéricable. C’est un électron libre sur le champ économique. Et qui, paradoxalement, a été conforté par le remaniement d’avril dernier puisqu’il est désormais seul en charge de l’économie, Michel Sapin étant pour sa part responsable des finances. Il y a eu en fait une forme d’alliance contre-nature entre Manuel Valls et lui pour cette nouvelle phase du quinquennat. Probablement car le nouveau premier ministre, arrivé loin derrière Arnaud Montebourg lors de la primaire du PS pour la présidentielle, était obligé d’élargir sa base de soutiens.

Liré également : 10 mythes sur l’économie de marché (zut, Arnaud Montebourg avait déjà écrit son discours de politique économique générale...)

Jean Garrigues : Je ne suis pas certain que la tenue de ce discours soit forcément l'indice d'un dysfonctionnement. Il y avait au sein du gouvernement Ayrault des exemples de cacophonies, de contradictions, comme lors de l'affaire Léonarda par exemple. Le positionnement d'Arnaud Montebourg dans le cadre du gouvernement de Manuel Valls s'inscrit dans le cadre d'une équipe resserrée de "poids lourds". Il est presque normal que chacun de ces "éléphants" fasse entendre sa ligne autonome, sa petite musique personnelle. D'ailleurs il n'y a pas vraiment eu d'antagonisme majeur entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg, même si le gouvernement n'est en place que depuis quelques mois. Par contre, c'est, une fois de plus, le symptôme d'un parti traversé par plusieurs courants, qui ont d’ailleurs de plus en plus tendance à se confondre avec des écuries présidentielles. Arnaud Montebourg avait d'ailleurs déclaré en août 2013 que lorsqu’il quitterait ses fonctions ministérielles, il ne serait candidat à rien si ce n'est à une fonction présidentielle. Dans cette perspective, il a besoin d’exister au sein du gouvernement.

Arnaud Montebourg va de plus défendre dans son discours sa vision personnelle d'une bonne gouvernance économique. En quoi celle-ci diffère-t-elle radicalement de la position officielle du gouvernement ?

Jean-Charles Simon : Difficile de dire à l’avance si elle en diffèrera radicalement. Mais jusqu’à présent, Arnaud Montebourg a tenu des positions plutôt protectionnistes, industrialistes et assez dépensières. Positions qui, de fait, ne correspondent pas vraiment aux orientations récentes du président et du gouvernement, par exemple avec le pacte de responsabilité ou les choix effectués sur les grands dossiers européens et internationaux, qui restent assez convenus.

Arnaud Montebourg a toujours affirmé sa différence avec François Hollande, Manuel Valls ou Michel Sapin le ministre des Finances. Quels sont les principaux points de discordes idéologiques entre le ministre de l'Economie et ces derniers ?

Jean-Charles Simon : Je vois au moins trois grandes différences entre le "candidat" Montebourg de l’avant présidentielle, dont les propos d’alors ressurgissent par épisodes, et l’action effective de la majorité. Montebourg plaide régulièrement pour se libérer des "approches comptables" ou des "exigences" de l’Union européenne sur les questions budgétaires. Alors que l’exécutif cherche au contraire à rester autant que possible dans les clous, et rappelle son attachement à tenir les engagements de la France. Le ministre de l’économie est par ailleurs le tenant d’un interventionnisme très poussé, notamment sur les grands dossiers industriels et les entreprises en difficulté, tandis que les choix effectués se révèlent souvent beaucoup plus mesurés et pragmatiques qu’il ne l’aurait souhaité. Et enfin, il est fondamentalement protectionniste et "anti-mondialisation". Or, l’action et les discours de l’exécutif restent au contraire libre-échangistes, et plaident pour plus de compétitivité dans une économie plus ouverte !

Jean Garrigues : Il ne s'agit pas de remettre en cause le Pacte de stabilité ni l’inflexion "social-libérale" fondée sur la prise en compte des règles du marché et sur le primat de la reprise économique par l'offre. Mais dans cette configuration, et au moins depuis 2012, Arnaud Montebourg fait entendre sa petite musique (parfois c’est de la grosse caisse !), insistant sur la distance qu'il prend avec les politiques d'austérité,  sur le thème de démondialisation,  sur le "fabriqué en France" et le protectionnisme européen.  C’est ainsi qu’il se maintient à la fois en "dedans" et un peu aussi "en dehors" de la politique gouvernementale.

Le ministre n'en n'est pas à son premier "coup d'éclat" vis-à-vis de ses collègues gouvernementaux. A quels autres noeuds de tension le discours d'aujourd'hui va-t-il s'ajouter ?   

Jean-Charles Simon : On peut imaginer qu’au moment où la mise en œuvre du pacte de responsabilité crispe une partie de la majorité, il fasse entendre sa différence à ce sujet. En utilisant d’ailleurs le mauvais état de notre économie, et en particulier la progression non jugulée du chômage, pour plaider contre la rigueur et les "cadeaux" aux entreprises. Il est donc vraisemblable qu’il fustige la réduction des déficits érigée en objectif ultime et demande une inflexion à gauche de la politique économique. De manière plus pointue, il semble qu’il prépare un projet de loi plutôt consumériste et en faveur de la concurrence. Ce qui serait un vrai renversement de son discours si longtemps hostile à tous ceux qui défendent le droit de la concurrence et auquel il a toujours opposé l’interventionnisme et les politiques industrielles.

Jean Garrigues : Je rappellerai tout d'abord que la tradition politique de la famille socialiste est celle des courants. L'expression de sensibilités différentes fait partie de leur culture, à la différence de la droite. Le problème est que cette culture des courants vient se télescoper avec la tradition institutionnelle de la Ve République qui impose la soumission au président de la République et par délégation au Premier ministre. On ne peut pas juger le positionnement du ministre de l'Economie à travers la grille classique d'analyse des rapports institutionnels. Chez les socialistes, il n'est pas anormal qu'il exprime un positionnement différent tant qu'il ne rentre pas en contradiction flagrante avec la politique gouvernementale. Si tel n'était pas le cas, s'appliquerait alors la "jurisprudence Chevènement", le fameux "un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne". Tout l'équilibre que recherche Arnaud Montebourg est de pouvoir s'exprimer – ne pas "fermer sa gueule" – sans rentrer en contradiction avec la politique de François Hollande. C'est un jeu difficile et il n'a d'ailleurs pas obtenu de pouvoir prendre en charge le volet budgétaire, celui-ci ayant été confié à Michel Sapin, jugé plus conforme à la ligne de François Hollande. Mais le décalage politique d'Arnaud Montebourg a été acté dans la composition de ce gouvernement. On lui laisse donc ainsi exprimer ses positions : une vision protectionniste, une volonté de contrôler les investissements étrangers dans les entreprises françaises, une prise de distance avec les idées voilées d'austérité et de rigueur…

On remarquera cependant que tout ce qui concernait, il y a une dizaine d'années, le volet institutionnel de la pensée d'Arnaud Montebourg sur la "VIe République", prônant un retour au régime parlementaire, a été complètement abandonné. C'est l’une des concessions qu'il a dû faire pour se rallier au courant majeur du Parti socialiste.

Arnaud Montebourg n'hésitant pas à prendre de lui même des initiatives engageant le gouvernement, quelles erreurs ou reculades cette cacophonie des egos a-t-elle déjà entraîné sur les gros dossiers ? 

Jean-Charles Simon : Sur Florange, le couac avait été important, et d’ailleurs Montebourg n’avait pas hésité à faire savoir que le désaveu de ses positions l’avait amené proche de la démission. Dans le cas de SFR, l’Elysée avait également douché ses ardeurs, et il a été contraint de voir se réaliser l’acquisition par Numéricable. En revanche, il peut se targuer de demi-succès dans les dossiers Peugeot et Alstom. Même s’il n’a probablement pas été suivi sur ses options les plus radicales, il a néanmoins obtenu dans les deux cas une intervention de l’Etat, certes comme minoritaire. Y compris lorsqu’il n’a pas gain de cause, il est certainement important pour lui d’incarner ce volontarisme un peu flamboyant, justement pour contraster avec une politique plus conventionnelle…

Jean Garrigues : Faut-il interpréter l'affaire Alstom comme un rapport de force qui lui a été préjudiciable (car il a dû finalement reculer) ou une occasion pour Arnaud Montebourg de se positionner auprès de l'opinion publique ? Il a dû se plier à la solidarité gouvernementale, mais en revanche il s'est autorisé (ou on lui a autorisé !) une marge de manœuvre pour apparaître comme l'homme de la "protection des intérêts français".

Cette différence qu'il exprime peut effectivement être un élément d'affaiblissement de la position de l'Etat car elle rompt une certaine cohérence que pourrait avoir le gouvernement. Ce qui est assez clair dans le cas Alstom, c'est que l'on a finalement beaucoup plus entendu Arnaud Montebourg que Manuel Valls. C'est, de fait, un affaiblissement de l’autorité primoministérielle…un de plus !

N'oublions pas en outre que lors de l'élection primaire de 2011, Arnaud Montebourg est arrivé troisième avec 17% des suffrages des sympathisants socialistes, loin devant Manuel Valls. Dans la famille socialiste, sa voix pèse plus que celle de l'actuel Premier ministre dans la famille de la gauche. Il est donc à la fois contraint par sa position de subordination institutionnelle vis-à-vis du Premier ministre, mais en même temps, il est fondé politiquement à exprimer sa voix décalée et autonome.

Les désaccords avec François Hollande, Manuel Valls et Michel Sapin semblent irréconciliables. Pourquoi Arnaud Montebourg reste-t-il alors au gouvernement ? Est-ce une manière pour lui de se positionner et, pour ses opposants, de le neutraliser ? 

Jean-Charles Simon : Pour les premiers, l’intérêt est sûrement de l’avoir dans le paysage pour disposer d’une carte plus à gauche, plus interventionniste qu’ils ne le sont. Le côté Don Quichotte des causes perdues, du combat contre les grands plans sociaux qu’incarne Montebourg fait contrepoids à la logique plus comptable ou passive, comme on voudra, du reste de l’exécutif. Pour le président et le premier ministre, ça me paraît donc être un choix politique assumé, d’autant plus que ça maintient Montebourg à l’intérieur du collectif gouvernemental plutôt que de risquer d’en faire un leader d’une opposition interne au sein du PS. Pour Montebourg, l’intérêt est d’essayer de se forger un bilan d’homme différent, qui aura lutté contre la logique du marché, quitte à rappeler régulièrement qu’il n’est pas comptable de tous les arbitrages rendus… Pas facile de voir s’il sera crédité de ce rôle à gauche ou s’il sera au contraire considéré comme l’un des responsables d’une situation économique toujours plus dégradée, dans le même lot que les autres dirigeants de la majorité.

Jean Garrigues : Pour lui, il est nécessaire de ne pas faire dissidence car il ne représente encore qu'une minorité du PS. Il a donc besoin d'alliances pour devenir majoritaire au sein du parti, seul moyen pour être le candidat de la gauche. Il doit en outre passer par cette étape incontournable de la vie politique française – bien que François Hollande y ait échappé – qu'est l'expérience ministérielle. Il exprime donc sa différence via ce tremplin.

Les autres, eux, n'ont pas intérêt à le marginaliser. François Hollande doit s'appuyer sur tous les courants du PS dans la perspective d'une réélection. Y compris pour s'allier éventuellement à lui contre Manuel Valls. Ce dernier est obligé d'accepter Arnaud Montebourg car il lui est imposé par François Hollande. CQFD.

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