Incroyable, mais vrai : cet urgentiste qui opérait sans aucun diplôme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Faits divers
 Incroyable, mais vrai : cet urgentiste qui opérait sans aucun diplôme
©

Bonnes feuilles

Vous me diriez : "C’était impossible !". Et vous auriez raison. Sauf que… ces vingt-deux histoires sont toutes arrivées. Extrait de "C'était impossible ! Et pourtant..." de Pierre Bellemare, publié chez Flammarion (1/2).

Pierre Bellemare

Pierre Bellemare

Pierre Bellemare est un écrivain, homme de radio, animateur et producteur de télévision français.
Voir la bio »

Un homme fait exception à cette loi du malheur. Un médecin d’origine française : le docteur Delignac. René Delignac. Il approche la cinquantaine. C’est un grand échalas au visage fin, le poil si noir que sa barbe semble dessinée au charbon, même lorsqu’il est rasé de très près. Les sourcils, eux, sont perpétuellement en bataille, et pourraient lui donner un air un peu terrifiant, si l’intensité du regard ne venait vous rassurer, d’emblée, sur l’amour que cet homme-là porte à ses semblables, qu’ils soient pauvres, menaçants, désespérés, noirs, blancs, jaunes… Oui, dès que les yeux du docteur Delignac se fixent dans les vôtres, vous savez que toute son attention vous est acquise, même si, avec ce rythme inhumain des urgences, il n’a que quelques minutes à vous consacrer… Les enfants le sentent immédiatement : ils miaulaient depuis des heures, de frayeur, de fatigue ou de douleur, voici que cet interminable escogriffe se penche sur eux, avec sa tête de Barbe-Bleue et ses avant-bras poilus qui dépassent de sa blouse… et c’est magique ! Du poupon jusqu’au petit traîne-ruisseau de 7 ans, capable de vous trancher la gorge avec un tesson de bouteille, les voilà calmés… Prêts à se laisser examiner, alors que, la seconde d’avant, ils ressemblaient à des chats enragés ! Ne demandez pas comment fait le docteur Delignac : personne n’en sait rien. D’ailleurs, il semble bien qu’il ne fasse rien de particulier, à part ouvrir sincèrement son coeur.

Il est entré au St Paul’s Hospital il y a quatre ans et, à l’origine, il devait intégrer le service d’oncologie. Auparavant, comme tous les nouveaux médecins, il a été accueilli dans tous les autres secteurs, dans les trois bâtiments principaux, pour un stage de prise de contact, histoire de se familiariser avec le climat de l’établissement, et de connaître ses principaux confrères.

Les urgences, "l’enfer", comme les surnomment nombre de soignants, faisaient partie de ce tour d’horizon. Le docteur Delignac a demandé à y prolonger son séjour. À l’étonnement de tous, parce que c’est justement l’endroit où personne n’aurait envie de s’attarder sans y être obligé, surtout quand un beau bureau vous attend à un autre étage, avec votre nom sur la porte et un bon fauteuil de cuir. René Delignac, lui, s’est senti à sa place dans cette marmite bouillante de souffrance, et il s’est arrangé pour y rester.

La directrice des ressources humaines n’allait pas s’en plaindre : sur le poste initialement prévu, elle n’avait que l’embarras du choix. L’oncologie était à la mode, depuis dix ans : les spécialistes se battaient pour un poste fixe. En revanche, tomber sur un gros calibre comme Delignac, qui accepte de travailler dans la cage aux fauves des urgences à Détroit… C’était une chance à ne pas laisser passer ! Donc, depuis quatre ans, le Français prodigue son énergie à ce véritable sacerdoce. Son inépuisable énergie, qui laisse pantois les plus robustes brancardiers.

(...)

Quand il rentrait dormir chez lui, plutôt que dans la chambre de pause du sous-sol, il emportait son Beeper et se maintenait constamment sur la liste des praticiens disponibles en cas d’accident de masse.

Seule condition spéciale qu’il avait exigée dans son contrat : cumuler les jours de repos qu’il ne prenait pas. Les Américains n’ont jamais de longues vacances. Le Français voulait bénéficier, tous les deux ans, de trois mois de congé ininterrompu pour retourner pratiquer la médecine de terrain, et même de jungle, en Amérique du Sud.

Vous le constatez : on était bien en présence d’une de ces natures rarissimes, entièrement tournée vers le bien d’autrui, que l’on désigne parfois comme "des saints laïques". Et cette "sainteté" allait bientôt accomplir ce que certains qualifièrent de "miracle". À vous d’en juger.

L’enchaînement de circonstances relève de l’exception, où tout concourt à la catastrophe : plein hiver, froid intense, toutes les rues sont enneigées et glissantes. Une sorte de bronchite virale se répand, dont on se demande si elle n’est pas le prélude à une épidémie. Rien qu’avec cela, les urgences sont déjà prises d’assaut.

Survient alors cette collision entre les deux autobus, qui provoque un carambolage en chaîne. Dans un premier temps, les secours retirent des épaves en miettes trois morts, trente-quatre blessés, dont dix-huit dans un état grave. Pour des raisons de proximité, la majorité d’entre eux est acheminée vers St Paul, et les salles d’opération tournent non-stop. C’est dans ce cadre d’apocalypse qu’un nouveau groupe de gens, pauvrement vêtus, bouscule toutes les files d’attentes qui s’entassent aux guichets de réception. Au milieu des réactions surchauffées, on entend les arrivants implorer :

— Au secours ! Ils vont tous mourir ! Aidez-nous ! Explication : au bord du trottoir, en bas de chez eux, une voiture stationnait en ventouse depuis deux semaines. Ce break hors d’âge servait de domicile à une famille, les Boyd : le père, la mère et leurs trois enfants, 6 ans, 4 ans et 18 mois. Lewis Boyd, ouvrier soudeur, avait été licencié au printemps. Déjà endetté, incapable de payer son loyer, il avait été expulsé. Le dernier refuge, c’était ce véhicule rouillé. Boyd avait trouvé cette place libre, dans une rue encore éclairée, où les bagarres et les coups de feu étaient relativement peu fréquents. Pour entretenir une température vivable, il faisait tourner le moteur au ralenti, une heure de temps à autre. Deux nuits plus tôt, la mécanique avait rendu l’âme, et le chauffage avec elle. Trop de malheur, c’est trop : Lewis avait décidé de mettre fin à cette vie de chien, pour lui et pour les siens. Il avait préparé une mixture infecte, à base de tous les restes de détergents qu’il avait pu trouver au fond des poubelles, et il en avait fait ingurgiter un bol à chacun, lui-même finissant le fond de la casserole.

Ce n’est pas si facile, de mourir. Lorsque la souffrance était devenue intolérable, le malheureux était sorti en hurlant, pour ameuter les riverains de ce quartier miséreux.

Avec les alertes d’urgences habituelles et le carambolage monstre, le standard des pompiers était saturé, celui de la police idem. Impossible de trouver une ambulance libre à 100 kilomètres à la ronde.

Les braves gens du voisinage avaient donc sorti la famille Boyd de la voiture-mouroir, avaient réparti ses membres entre trois véhicules privés, précédés et suivis par d’autres, tous Klaxon bloqués et clignotants en action. Cette colonne avait réussi à se dégager un chemin dans la ville sinistrée, en grimpant sur les trottoirs, jusqu’au premier hôpital : St Paul, comme de bien entendu…Les Boyd, viscères perforés par les acides, étouffant du sang qu’ils vomissent, sont mis sur des chariots et poussés jusqu’aux urgences. Les trois vigiles sont débordés devant cette horreur. Une infirmière, pourtant âgée, mais de service depuis vingtsix heures, s’effondre au pied d’un mur en sanglotant. Et voici que, dominant cette scène d’épouvante, s’impose la voix du docteur Delignac. Forte. Autoritaire. Claire. Et calme :

— Amenez-moi les témoins capables de s’exprimer clairement. Les autres, dehors. Infirmière, relevez-vous, je vous prie. Vous allez être formidable, maintenant, je vous le garantis !

— Oui, docteur.

— Où en sont les salles d’op’ ?

— Pleines, pour au moins six heures encore, docteur.

— Je dois opérer immédiatement. Dégagez-moi les deux cabinets de consultation. J’ai dit : les deux ! Et trouvez tout ce que vous pouvez comme matériel de désinfection et comme draps stériles ! Je vous dresse la liste des instruments dont je vais avoir besoin. Mettez les cinq patients dans la pièce de gauche. Déshabillez, préparez, maintenez les fonctions vitales. Et vous me les amènerez l’un après l’autre dans la salle de droite. Je commence par le bébé. Deux assistantes avec moi. Maintenant.

C’est une scène d’anthologie, une de celles qui inspirent sûrement les scénaristes. Pendant des heures, René Delignac va inciser, nettoyer les organes digestifs lésés, réparer des artères devenues fragiles comme du papier à cigarette… Que sais-je encore ? Il va se livrer à des gestes si complexes que nous serions bien dans l’incapacité de les comprendre… Bref : la famille Boyd va s’en tirer.Pas tout à fait indemne, mais tous sont vivants.

Seule, la maman, qui souffrait de malnutrition et avait eu des antécédents alcooliques devra être suivie pendant plusieurs années, pour éviter les hémorragies… C’est un drame affreux, mais le pire a été évité. René Delignac, "Supertoubib", sera mis à l’honneur, comme le mérite son attitude admirable. Le service Relations publiques de l’hôpital va même légèrement forcer la note : ce sauvetage magnifique contribuera à redorer le blason de St Paul.

(...)

Le récit de son exemplaire sang-froid, qui a sauvé la famille Boyd, est déjà détaillé dans un solide dossier de presse

. — Mais si, René : vous le méritez ! Et notre établissement aussi ! Nos chargés de com’ ont écrit l’histoire. Jetez-y un oeil pour éliminer toute inexactitude. Ah, oui, aussi : le service juridique a relevé que, pour effectuer la partie de votre intervention qui touche au vasculaire, il fallait une certaine qualification certifiée… Vous l’avez, bien entendu ?

— Bien entendu, puisque j’ai opéré !

— Parfait… Il se trouve juste que vous ne nous aviez pas communiqué le certificat… Il est vrai qu’avec votre curriculum vitae, on n’était pas à un papier près ! Mais là, avec tous ces fouille-merde à l’affût du moindre grain de sable… Il nous le faudrait.

— Hmm… Je crois bien que j’ai perdu l’original dans un dispensaire africain !

— Ah, les baroudeurs ! Vous et l’administratif, ça fait deux !

— Vous savez, les poseurs de bombes, les snipers et la famine ne nous demandent pas de paperasses !

— Faites-en tirer une copie par l’Académie d’origine, de ce certificat. Ce sera suffisant.

— Pffff… Ça ne va pas être évident : je l’ai obtenu en suivant un séminaire en Allemagne de l’Est, avant la chute du Mur. Depuis, leurs archives ont plus ou moins été dispersées. Si vous croyez que j’ai le temps de…

— Je ne vais pas vous casser les pieds, René ! On s’en occupe pour vous ! Notre secrétaire, Daisy, est une championne pour reconstituer les dossiers compliqués ! No problemo !

Eh bien, si : un tout petit problème quand même… Lorsque Daisy se met sur la piste du certificat manquant, non seulement elle n’en trouve pas la moindre trace, mais il s’avère que le séminaire médical en Allemagne n’a jamais eu lieu ! En allant un peu plus loin, Daisy va découvrir que les références, TOUTES les références fournies par le docteur Delignac sont fabriquées, avec des erreurs qu’un oeil un tant soit peu averti des études médicales aurait pu déceler ! Les diplômes sont des faux. Certains ont été peaufinés avec soin, d’autres bâclés à l’emporte-pièce ! Mieux encore… ou pire : le docteur Delignac n’existe pas ! Qui est-il vraiment ? Le mieux serait de le lui demander personnellement. Cela sera difficile : dès qu’il a compris que cet insignifiant détail administratif allait dévoiler le pot aux roses, il a disparu, en quelques heures. Volatilisé.

(...)

"C'était impossible ! Et pourtant..." de Pierre Bellemare, publié chez Flammarion, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !