Comment les espions ont sauvé Gorbatchev...<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Il y a 20 ans, un putsch tentait de renverser Mikhaïl Gorbatchev.
Il y a 20 ans, un putsch tentait de renverser Mikhaïl Gorbatchev.
©Reuters

Putsch de Moscou d'août 1991

Il y a 20 ans, un putsch tentait de renverser Mikhaïl Gorbatchev. Vladimir Fédorovski fut l'un des acteurs du mouvement qui fit échouer ce coup d'État. Il raconte pour Atlantico cet événement aux conséquences historiques majeures.

Vladimir Fédorovski

Vladimir Fédorovski

Vladimir Fédorovski est un ancien diplomate russe, porte-parole du mouvement des réformes démocratiques pendant la résistance au putsch de Moscou, d'août 1991. Il est aujourd'hui écrivain. Ses derniers ouvrages s'intitulent : Le Roman des espionnes ; Poutine, l’itinéraire secret et La Magie de Moscou, publiés aux Éditions du Rocher.

Voir la bio »

La rédaction d'Atlantico republie cet article  à l'occasion de la mort de Mikhaïl Gorbatchev

Atlantico : Comment s'est déroulé le putsch des généraux du 18 août 1991 où certains tenants d'une ligne "dure" communiste ont cherché à renverser Mikhaïl Gorbatchev ?

Vladimir Fédorovski : J’étais à l’époque porte-parole d’un des premiers partis anti-communistes qui s’appelait le Mouvement des réformes démocratiques. C'était l'un des piliers de la résistance au putsch. Le putsch a réellement commencé le jour de la chute du mur, car une fraction dure du KGB a pensé éliminer Gorbatchev. Il y eut plusieurs tentatives au cours des années 1990 pour imposer un putsch. Ils voulurent mettre Gorbatchev devant le fait accompli. L'une d'entre elles arriva au début de l’année 1991 avec l’écrasement des pays baltes. Puis ils ont commencés à préparer le putsch au début de l’été. J’ai été mis au courant de cela de manière étrange. Quelqu’un du KGB nous a prévenu qu’ils étaient en train de préparer le putsch. J’ai amené cette personne chez Yakovlev, qui à l’époque était à la tête de ce mouvement, et on a fait circuler l’information. On a prévenu Eltsine, Yakovlev a téléphoné à Gorbatchev et a même prévenu les américains.

Les gens savaient que quelque chose se préparait. Chacun jouait son propre jeu, pensant qu’il pouvait sortir vainqueur. Notre mouvement a fait plusieurs déclarations publiques au mois d’août pour avertir de l’arrivée du putsch. Puis nous avons essayé de résister. Nous sommes allés à la Maison Blanche (de Moscou, qui abritait le parlement. Eltsine y était présent) et à la mairie de Moscou (qui était aussi du côté démocratique). Nous n’étions pas nombreux à l’époque, environ un millier. J’étais chargé des relation avec les médias occidentaux : appel sur RTL, journal de 20h de PPDA, dialogue avec l’ami Mitterrand (qui a quasi-reconnu le putsch, en les désignant comme nouveaux dirigeants soviétiques, ce qui fût sa plus grande gaffe historique). Toutes ces journées, nous les avons passées entre la Maison Blanche et la mairie de Moscou, en essayant de résister tant bien que mal.

Dans cette affaire, Eltsine a joué un rôle exceptionnel. Il avait plusieurs ouvertures du côté des putschistes. Ceux-ci lui téléphonaient plusieurs fois. Ils lui proposèrent des arrangements, afin que Gorbatchev soit éliminé et qu'Eltsine reste président de la Fédération de Russie. Mais Eltsine n’a jamais voulu accepter ce compromis. Il a choisi une stratégie exceptionnelle. Il a défendu le président légal de l’Union Soviétique qui était isolé dans sa résidence à Foros. Eltsine et Gorbatchev avaient entretenu des rapports exécrables et malgré cela Eltsine a choisi de le soutenir. Médiatiquement, il a effectué ce célèbre geste de monter sur un char et de lire l’appel à la résistance sur ce char. Cela a été retransmit par les médias, notamment par CNN et les envoyés spéciaux (soit disant) américains, et ça eût une influence majeure sur le plan international.  

Ce que l’on oublie, c’est la décision du ministre de la défense de ne pas tirer sur la foule. Ce dernier était putschiste, il a fait entrer les chars dans les rues de Moscou mais il a donné l’ordre de ne pas prendre de munition. Nous avons eu vent de cette décision le 20, et à partir de ce moment-là j’ai compris que le putsch n’allait pas réussir, car un putsch où l’on ne tire pas, ça ne réussit jamais.  Sur le plan médiatique intérieur, les putschistes ont réalisé une conférence de presse. A la différence de CNN qui était retransmit dans le monde entier, celle-ci était retransmise sur la télévision locale, en direct. Le caméraman a eu ce geste exceptionnel de fixer pendant 30 secondes les mains tremblantes du chef des putschistes Ianaïev, lisant sa première déclaration. Quand le pays a vu çà, la population a afflué vers nous, et la décision du ministre s’est imposée d’elle-même, du fait que la foule était là. C’est comme ça que l’empire qui a duré 70 ans s’est écroulé en quelques secondes.

Quel fut le rôle de l'espionnage durant ce putsch ?

Il y avait cette taupe du KGB qui a joué un rôle exceptionnel, puisqu’elle nous a prévenus que quelque chose se préparait. Ensuite, cette opération a été menée du côté du KGB comme une opération spéciale préparée par les espions. Ils étaient prêts à aller jusqu’au bout. Et s’il n’y avait pas eu la décision de la part du ministre de la Défense de ne pas tirer sur la foule, cela aurait pu se terminer autrement. Je suis persuadé que cela aurait pu s'achever dans un bain de sang, une apocalypse mondiale et la guerre civile s’il n’y avait pas eu ces informations.

Il y avait deux types d’espions. D’une part, cet espion qui nous a prévenu des préparatifs de putsch. D’autre part, il y a une sorte de revanche des espions à posteriori, puisque le triomphe du concept des espions d’Andropov (on fait l’ouverture et on tue, comme les Chinois aujourd’hui), est revenu avec Poutine. Le KGB a repris le pouvoir au Kremlin. Les espions sont éternels.

Les espions sont éternels, mais les temps changent. A quoi ressemblent les espions d’aujourd’hui ?

Il y a eu une période post-guerre froide dans laquelle il y avait une sorte d’illusion. Ils ont privilégié les espions fonctionnels, par rapport à la période flamboyante que je décris dans mon livre. Des gens d’exception qui travaillaient rarement pour l’argent. Désormais, les espions travaillent plus souvent pour l’argent. Il y a un côté technique de l’espionnage, surtout supporté par les Américains. Mais aujourd’hui il y a un facteur humain qui revient au cœur de l’espionnage. Pour connaître les islamistes, il faut utiliser des méthodes d’infiltration, que je décris.

Quelles sont les qualités pour être un bon espion ?

Je pense qu’il faut aimer être derrière la scène, être un homme de l’ombre. J’ai un certain intérêt pour ces gens-là car ils utilisent le facteur humain comme instrument de réalisation de leurs ambitions. Ce n’est pas seulement des espions, c’est aussi les égéries, les muses qui sont dans ces esprits-là.

Il existe aussi un trait de caractère bien décrit par Dostoïevski. Il y avait dans Les Possédés une description de personnes qui aiment marcher sur le fil du rasoir, au bord de l’abîme. Ça c’est le profil des grands espions que je décris dans le livre. Mais il y a aussi les gens qui sont achetés, surtout dans l’époque post-guerre froide, où l’argent a joué un rôle.

Les grands espions n’ont toutefois jamais travaillé pour l’argent.  Par exemple, le plus grand espion français du vingtième siècle, Farewell, n’a jamais touché quoi que ce soit. Philby, le chef du contre-espionnage anglais qui a vendu la mèche à un officier de Staline, lorsqu’on lui a proposé de l’argent, il a été offensé. Les grands espions se battent pour l’idée. Ce sont à leur façon des gens illuminés.

[ De larges extraits du livre de Vladimir Fédorovski, Le roman de l'espionnage,
(sortie ce 18 août) seront publiées ce week-end dans Atlantico... ]

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !