La honte : chrétiens d’Irak et vestiges bibliques abandonnés à leur sort tragique par la communauté internationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la première fois depuis seize siècles à Mossoul, le 6 juillet 2014, la messe du dimanche n'a pas été dite.
Pour la première fois depuis seize siècles à Mossoul, le 6 juillet 2014, la messe du dimanche n'a pas été dite.
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La messe est dite

Pour la première fois depuis seize siècles à Mossoul, le 6 juillet 2014, la messe du dimanche n'a pas été dite. Presque tous les chrétiens de la ville ont fui. Afin de se mobiliser contre la disparition des chrétiens d'Irak, une journée est organisée à Paris et à Sarcelles, ville regroupant la plus grande communauté assyro-chaldéenne d'Europe.

Sébastien  de Courtois

Sébastien de Courtois

Sébastien de Courtois est journaliste spécialisé dans les minorités chrétiennes d'Orient. Il est également producteur et animateur de l'émission dominicale Chrétiens d'Orient chez France Culture. Il est l'auteur de "Le nouveau défi des chrétiens d'Orient : d'Istanbul à Bagdad" aux Editions JC Lattes. Son prochain livre s'intitule Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions. Le crépuscule des chrétiens d'Orient, Stock (7 avril 2015).

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Atlantico : Aujourd'hui, mardi 8 juillet, une journée de mobilisation et d'action contre la disparition des chrétiens d'Irak est organisée à Paris et à Sarcelles, ville où se trouve l'une des plus grandes communautés assyro-chaldéennes d'Europe. A Mossoul, deuxième ville d'Irak, c'est la première fois depuis 1600 ans qu'aucune messe n'est plus célébrée le dimanche. Et pour cause, il n'y resterait plus aucun chrétien. Quel sort leur est actuellement réservé par l'Etat islamique ? 

Sébastien de Courtois : Je ne sais pas s’il s’agit vraiment de la première fois qu'aucun messe n'est dite un dimanche depuis seize siècles – qui le sait vraiment ? – mais il est certain que les temps qui s’annoncent pour les chrétiens de Mossoul, pour ce qu’il en reste du moins, vont être terriblement difficiles… Très peu d’informations filtrent et le peu qui ont été recueillies sont contradictoires, mais tous les chrétiens dont j’ai eu des nouvelles sont déjà partis. Il n’y a pas le choix. Qui accepterait de vivre sous un tel obscurantisme ? Depuis que le pseudo calife s’est auto-proclamé, on n’a aucune idée de ce qu’il se passe sur place. Quoi qu’il en soit, le nouveau calife n’a aucune légitimité et la situation des chrétiens est très périlleuse. Ce pseudo Etat – je ne sais même pas si on peut l’appeler ainsi – est composé d’environ 15 000 personnes et règne par la terreur. C’est-à-dire que tous ceux qui ne correspondent pas à leur point de vue, y compris dans l’Islam, soit des musulmans qui selon eux ne respectent pas la loi, leur loi, en font les frais.

Les chrétiens, eux, sont là par hasard et en même temps non. Ils sont la plus ancienne communauté installée en Irak. Ils sont là depuis la fondation de la Mésopotamie. Concernant les exactions dont ils pourraient être victimes aujourd’hui et demain, il y a beaucoup de rumeurs, mais nous devons nous garder de tout catastrophisme prématuré. On ne peut pas encore parler de massacre, ni d'exécutions de masse comme ce fut peut-être le cas avec les chiites, mais hélas, nous pouvons nous attendre à des dérapages, qui n'en seraient pas bien entendu. Il faut savoir que la situation des chrétiens en Irak et en Syrie n’a jamais été facile. Les massacres réguliers, notamment de 1860 à Damas et de 1933 à Simele près de Mossoul, ont marqué profondément l’histoire des chrétiens d’Irak et de Mésopotamie. Le problème qui se pose maintenant est celui de leur devenir, et surtout de leur protection. Personne ne les protège, hormis les Kurdes. Actuellement tout le monde est dans l’expectative. On ne sait pas ce qui va se passer mais on est en droit d’être très inquiet.

Pour ce qui est du gouvernement français, il n’a eu aucune réaction digne de ce nom. Nous abritons des chrétiens d’Orient depuis longtemps et nous avons même le droit de prendre leur défense, comme nous pouvons le faire avec d’autres. Mais nous sommes englués dans notre vision passéiste de la laïcité, qui nous paralyse dans notre prise de décision, dans la parole même, ce qui revient à une atteinte même à la liberté d'expression et à un déni de réalité...

A qui revient la charge de veiller sur les chrétiens d'Irak ? Comment expliquer le silence voire l'indifférence de la communauté internationale ?

La protection des chrétiens d’Irak revient en premier lieu au gouvernement central de Bagdad, qui n’existe plus vraiment. Malheureusement nous sommes dans une situation du chacun pour soi. Seuls les Kurdes osent s’opposer aux troupes les plus audacieuses de l’État islamique. Chacun grappille le territoire qu’il peut. Les chrétiens ne comptent pas pour beaucoup dans l’équation. La réaction du gouvernement français – même verbale – est particulièrement discrète… La question est : pourquoi ?

L'Etat islamique menace de détruire ou de revendre des œuvres bibliques vieilles de plusieurs siècles. Quelles sont ses motivations ? Comment l'empêcher ?

Le patrimoine historique et architectural, à savoir les manuscrits, les bâtiments et toute autre trace montrant l’ancienneté de la culture chrétienne en Mésopotamie, est autant en danger que les vies humaines, sinon plus. Il s’agit d’effacer la mémoire pour marquer l’époque et le territoire. C’est la victoire de l’ignorance la plus crasse… Les djihadistes aspirent en effet à une éradication de tout ce qui ne leur convient pas, dans l’Islam comme dans le monde chrétien.

Avant la première guerre du Golfe en 1991, on comptait plus d'un million et demi de chrétiens en Irak. A ce jour, il n'en resterait plus que quelques centaines de milliers. Que sont-ils devenus ?

Les chrétiens d’Irak ont massivement émigré vers le nord du pays, en zone kurde dans un premier temps, et hors du pays quand ils le pouvaient, en Jordanie, en Syrie, au Liban et en Turquie. Beaucoup vivent à l’étranger maintenant. La crainte réside dans l’absence d’État, l’absence de sécurité. Nous n’avons aucune idée en Europe de l’Ouest de la souffrance qu’endurent ces communautés chrétiennes depuis des années ! Et ce n’est pas fini… l’équilibre du Proche-Orient se joue dans les mois à venir. Concernant le chiffre précis de la population assyro-chaldéenne présente à ce jour en Irak, nous n’avons aucune statistique précise.

Quelles peuvent être les conséquences de l'affaiblissement des chrétiens en Irak ? Et plus globalement au sein du Moyen-Orient ?

La fin des chrétiens d’Orient marquerait la fin de l’Orient, tout simplement. Il n’y aurait plus d’altérité, ni de contreparties à l’absolutisme religieux. Il y aurait une véritable perte de référents culturels, une perte de mémoire commune et partagée et on assisterait finalement à l’impossibilité de construire une société plurielle. L’Irak, dans toutes ses composantes religieuses et ethniques permettant de penser qu’une société plurielle puisse exister, n’existera plus. Le départ des juifs a déjà été une catastrophe. Il faut absolument éviter la fin des chrétiens en Orient, et pour cela le dire clairement, et peut-être penser à protéger certaines zones militaires. La puissance qui osera l’affirmer prendra les devants. Les Russes ne vont pas hésiter à s’emparer de la question.

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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