Pourquoi tant de personnes ont du mal à retenir combien font 7 x 8<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Certains calculs élémentaires sont plus difficiles à retenir que d'autres.
Certains calculs élémentaires sont plus difficiles à retenir que d'autres.
©play.google.com

Où est ma calculette ?

Certains calculs élémentaires sont plus difficiles à retenir et à réciter sans hésitation que les autres. C'est le cas de 7 fois 8. L'interférence provoquée à cause des chiffres proches et de grande taille en serait la cause principale.

Nicolas Gauvrit

Nicolas Gauvrit

Nicolas Gauvrit est chercheur en Mathématiques appliquées à la psychologie, à l'éducation, en probabilités statistiques et probabilités subjectives.

 
 
Voir la bio »

Atlantico : On a beau les apprendre et essayer de s'en souvenir, certaines multiplications sont plus problématiques à retenir que d'autres. Comment expliquer, par exemple, qu'il nous soit plus difficile de répondre à 7×8, ou 6×7 (niveau CE2, 8 ans) sans hésiter ?

Nicolas Gauvrit : C'est une question qui intrigue les psychologues depuis longtemps. 7x8 est en effet particulièrement difficile à retenir, alors que 2x3 ne semble poser aucun problème, par exemple. Il y a au moins trois explications possibles et complémentaires :
  • Les interférences
Une première idée est qu'il peut y avoir des interférences entre les chiffres de l'opération, ou avec les chiffres apparaissant dans des cellules voisines dans la table. Dans le cas de 5x5=25 par exemple ou 6x6=36, on trouve une "rime" qui a un effet facilitateur. Au contraire, dans 7x8=56, le 7 et le 8 ne se retrouvent pas dans le résultat, mais 5 et 6 sont proches de 7, et auraient ainsi un effet délétère. Autre possibilité d'interférence : les résultats qui se trouvent "proches" dans la table de multiplication (voir table plus bas). Si l'on reprend le cas de 7x8, cela correspond à une case entourée de 6x8=48, 9x8=72, 7x7=49 et 7x9=63. Aucun des résultats de ces opérations ne commence par 5 ni ne finit par 6 (mais 2,3,4,7,8 et 9 apparaissent !), ce qui peut du coup interférer avec le rappel correct de 7x8=56.
  • L'effet de taille des nombres
Le tableau ci-dessous le montre bien : les opérations les moins bien retenues (en rouge ou orange) sont plutôt en haut à droite, c'est-à-dire correspondent plutôt à des nombres "grands". C'est un effet bien connu des psychologues : nos performances baissent avec la taille des nombres. Certains ont supposé que cela était dû au fait qu'on s'entraîne plus (parce qu'on les rencontre plus souvent dans la vie de tous les jours) sur les petits nombres que sur les grands. Une autre explication est liée à notre perception des nombres, qui est d'autant plus floue que les nombres sont grands. Ainsi, nous faisons facilement la différence entre 3 et 4, et bien moins en 56 et 58...
  • Les méthodes de calcul
Un autre effet apparaît très nettement sur le tableau : la ligne et la colonne correspondant à "10" est bleue, parce que les multiplications par 10 sont particulièrement faciles. A cela, il y a une explication simple : pour multiplier par 10, les élèves connaissent une méthode toute simple, ajouter un zéro. L'existence d'une telle méthode (il existe aussi une méthode pour 9, mais moins simple) ou plus généralement de règles (par exemple quand on multiplie par 5, le résultat finit forcément par 0 ou 5) sont autant d'aides au rappel. Comme il n'y a pas de règle simple et connue des élèves, ou de méthode rapide pour les tables de multiplication par 6, 7 ou 8, celles-ci sont plus difficiles à retenir.


Comment faire en sorte de ne plus être confronté à cette hésitation ? Quels moyens mémo-techniques conseilleriez-vous ?

En plaisantant, on pourrait dire que si une technique simple et efficace pour tous existait, elle serait certainement désormais inscrite dans le programme.

Plus sérieusement, il existe des méthodes permettant d'augmenter sa capacité de mémorisation. L'une d'entre elle consiste à se raconter une histoire. On peut par exemple imaginer chaque chiffre comme un personnage dans une histoire. Cette méthode est souvent utilisée par les champions de mémorisation, comme Akira Haraguchi qui aurait récité sans erreur 100 000 décimales de pi (voir ici), ou Ben Pridmore, qui est capable de retenir l'ordre des cartes d'un paquet mélangé en moins de 25 secondes (voir ici). L'idée est de se raconter une aventure ou une histoire ayant un sens où les chiffres correspondent à des personnages ou des bouts de texte. Des éléments de l'histoire racontent alors la table, les décimales de pi ou n'importe quoi d'autre. Il n'est pas certain qu'une telle méthode soit généralisable à tous, ni qu'elle débouche sur un accès rapide au résultat de 7x8 par exemple, car il faudra pour beaucoup se remémorer l'histoire depuis le début, ce qui pourra prendre du temps...

Au-delà de ces techniques, deux éléments paraissent important pour la mémorisation : Il y a d'abord la motivation à apprendre ou l'intérêt pour la chose à retenir. En l'occurrence, on imagine bien que l'intérêt est très limité pour la plupart des élèves, car la multiplication leur apparaît surtout comme une association purement arbitraire entre des nombres. Il y a ensuite l'entraînement en situation : c'est en utilisant ces connaissances dans des contextes de problèmes variés que les élèves finissent par mieux les retenir et en faire des réflexes.

Existe-t-il des catégories de personnes, du point de vue du fonctionnement du raisonnement par exemple, qui seraient plus sensibles à ces hésitations ?

Nous avons tous expérimenté le fait que lorsque nous avons un doute sur nos propres souvenirs, nous nous embrouillons plus facilement. Il est plus utile d'être sûr de soi et de se fier à des souvenirs même peu fiables que de trop ruminer sur la fiabilité de notre réponse. La confiance en soi est un des éléments qui peuvent expliquer des différences entre les élèves.

De plus, tous les élèves ne sont pas également sensibles aux effets d'interférences. Des collègues belges ont ainsi étudié un enfant dyscalculique (qui présente un trouble spécifique de l'apprentissage du calcul) et ont conclu que chez lui, la sensibilité extrême aux interférences en mémoire expliquait son trouble.

Enfin, certains sont plus à l'aise que d'autres pour inventer des méthodes de calcul rapide et ne pas se contenter d'utiliser la mémoire. Par exemple, on peut multiplier par 8 en multipliant par 2, puis encore par 2, et encore par 2. On peut multiplier par 5 en multipliant par 10 puis en divisant le résultat par 2, etc. Ceci étant, ces méthodes personnelles de calculs ne semblent pas expliquer véritablement les différences concernant la mémorisation des tables de multiplication, que l'on doit normalement connaître par coeur et non retrouver à chaque fois (même si certains continuent à utiliser des techniques de calculs de ce type, y compris à à l'âge adulte). Mais l'élément le plus déterminant reste certainement l'intérêt pour les mathématiques et la motivation à apprendre, comme pour bien des activités intellectuelles !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !