Schizophrénie sur la conférence sociale : quand le gouvernement joue au dialogue social pour la galerie et recentralise à marche forcée dans la réalité<!-- --> | Atlantico.fr
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Schizophrénie à la conférence sociale. Photo d'illustration // Le héros "double-face" de la série Batman.
Schizophrénie à la conférence sociale. Photo d'illustration // Le héros "double-face" de la série Batman.
©comicvine.com

Double je(u)

Jeudi 3 juillet, le conseil de l’Assurance maladie, composé par des représentants des salariés et du patronat, a rejeté en bloc les pistes d'économies. Une décision "exceptionnelle", mais qui ne freinera aucunement son entérinement au Parlement. Un exemple surprenant de la volonté de "dialogue social" tel qu'exprimé par le gouvernement.

Nicolas Perruchot

Nicolas Perruchot

Nicolas Perruchot est un ancien membre de l'UMP et ancien député et maire de Blois (2001-2008). Il a aussi la fonction de président du Conseil départemental de Loir-et-Cher. Nicolas Perruchot a dirigé une commission d'enquête parlementaire sur le financement des syndicats. Son rapport, pour la première fois dans l'histoire de la Ve république, n'a pas été publié.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Jeudi 3 juillet, le conseil de l’Assurance maladie, composé par des représentants des salariés et du patronat, a rejeté en bloc les pistes d'économies. Une décision "exceptionnelle", mais qui ne freinera aucunement son entérinement au Parlement. En quoi ce paradoxe révèle-t-il un comportement schizophrénique du gouvernement sur le dialogue social, qui affiche une volonté de ne pas décider sans les corps intermédiaires, mais qui ne prend pas en compte leurs décisions ?

Nicolas Perruchot :La particularité de cette décision réside dans le vote du patronat, qui, en dénonçant un manque d’ambitions dans les mesures concernant l’hôpital public, a mêlé sa voix à celle de la CGT et de FO. Cette "coalition" assez inédite a abouti à un rejet des propositions d’économies. Les représentants des syndicats de salariés avaient dénoncé la faiblesse de la progression des dépenses de santé.

C’est une nouvelle démonstration de la complexité du dialogue social à la française. Les partenaires sociaux sont au cœur de très nombreuses instances. En leur confiant les clés dans des domaines essentiels (formation professionnelle, médecine du travail, sécurité sociale, 1% logement, etc..), l’Etat a voulu montrer l’importance donnée au dialogue social.

Mais, depuis de nombreuses années, ce système montre ses limites. La stratégie de l’Etat est d’acheter en réalité la paix sociale et de maquiller cette attitude en tentant de faire croire qu’il s’appuie sur les partenaires sociaux. C’est un leurre auquel plus personne n’a envie de croire. Les partenaires sociaux vont de plus en plus à reculons aux conférences sociales. Et l’Etat prononce des discours auquel il ne croit plus. Le dialogue social est dans une impasse sur de nombreux sujets et de plus en plus d’organisations voient leur base se radicaliser, rendant très difficile toute évolution pourtant nécessaire dans une période où la rigueur doit s’imposer.

Eric Verhaeghe : Pour le coup, je parlerais moins de schizophrénie que de piège qui se referme peu à peu sur François Hollande. Comme beaucoup de gens de gauche, François Hollande connaissait très mal le social, et l'a abordé de façon très sommaire avant son mandat, avec cette idée, là aussi répandue chez les hauts fonctionnaires de gauche, selon laquelle "je suis de gauche, donc les syndicats m'aiment". Il s'est donc cru autorisé à promettre beaucoup de choses pendant sa campagne électorale, sans se demander s'il ne serait pas tôt ou tard rattrapé par la réalité. Et la réalité est en train de le rattraper et même de le dépasser : même à gauche, gouverner, c'est décider, et même à gauche, décider, c'est une forme de violence qui est faite aux conservateurs de tous poils, y compris aux syndicalistes. Tout cela résulte, à mon avis, d'une incompréhension plutôt que d'une duplicité. D'une incompréhension et d'une rupture : les énarques comme François Hollande ne connaissent souvent du syndicalisme que la section CFDT de l'ENA et ne croisent que très peu d'ouvriers ou d'employés du secteur privé au cours de leur carrière. 

Quels autres comportements témoignent de cette ambigüité, avec une façade ouverte au dialogue social, et in fine une prise de décision unilatérale ?  

Nicolas Perruchot : La crise des intermittents est un assez bon exemple de cette mascarade mais aussi de la méthode Hollande en la matière. Alors que les partenaires sociaux (CFDT, FO, CFTC et Medef) avaient trouvé un accord le 22 mars dernier afin de réaliser progressivement des économies sur le régime d’indemnisation des techniciens et des artistes du spectacle, le gouvernement a pris une décision qui met tout le monde en porte à faux. Face à la mobilisation orchestrée par une organisation (la CGT Spectacle en l’occurrence), de très nombreux festivals se sont retrouvés sur la sellette. Menaces de grèves, conjuguées à la peur pour le Parti Socialiste de perdre le soutien des milieux culturels, ont amené une décision qui a fait hurler les partenaires sociaux signataires de l’accord. Plutôt que de céder sur le fond, l’Etat, dont l’objectif était de faire des économies sur l’assurance chômage, va finalement faire appliquer l’accord. Mais ce sont les contribuables, et non les intermittents, qui financeront l’économie espérée (90 millions d’euros par an) durant les trois prochaines années.

L’Etat socialiste s’est donc assis sur un accord trouvé par les partenaires sociaux, et a préféré faire les poches des contribuables pour éviter de se couper de manière définitive avec le monde de la culture !

Eric Verhaeghe : Manifestement, Manuel Valls s'est pris les pieds dans le tapis sur l'affaire de la pénibilité. En même temps, ce dossier est moisi et le gouvernement paie très cher l'incompétence absolue de Marisol Touraine. Il ne fallait bien entendu pas mettre le doigt dans le dispositif de pénibilité : la France est le seul pays industrialisé à régler la question de la pénibilité par une sorte d'indemnisation sur le temps de vie, ce qui est un véritable appel au crime. Le dispositif français encourage tout le monde à se décharger de la pénibilité, qui est un problème d'entreprise, sur la sécurité sociale dont les comptes sont dans le rouge. En Allemagne, le choix a porté sur un mécanisme de prévention drastique, et sur une prise en charge des coûts de la pénibilité entreprise par entreprise. C'est la meilleure façon de régler le problème, parce qu'elle responsabilise les patrons.

Au lieu de suivre cet exemple, la France a obéi à la CFDT qui voulait une usine à gaz. Le système adopté en France est irresponsable. J'ai croisé un viticulteur ce week-end qui m'expliquait qu'il recrutait 120 vendangeurs chaque année pour une période de 15 jours. Cela lui fait 120 fiches de pénibilité à rendre en plus des paperasses habituelles, sans aucune espérance de quoi que ce soit pour les vendangeurs. La pénibilité, c'est le choc de complexité

La conférence sociale débute ce lundi 7 juillet dans un contexte explosif. La semaine dernière, les pressions subies par le gouvernement venaient de toutes parts, du patronat d'abord, qui exige que les promesses sur la pleine d'application du Pacte de responsabilité et de solidarité soient respectées, et des salariés suite au report de la mesure sur les retraites anticipées prévues par le compte de pénibilité. Le gouvernement ne joue-t-il pas à un jeu dangereux ? Quels risques encoure-t-il à terme à contourner systématiquement ses engagements ?

Nicolas Perruchot : La question qu’on est en droit de se poser aujourd’hui est très simple: à quoi sert cette "Grande Conférence Sociale" ? On a le sentiment que ces rassemblements sont devenus, au fil des ans, des tribunes permettant au président de la République, et au Premier ministre de faire leur comm’. Que retiendra-t-on de ces rencontres ? Peu de choses sans aucun doute.

Ce qui est certain c’est que cette conférence se déroule dans un climat de fortes tensions et de dissensions importantes entre partenaires sociaux. Les principales organisations ont toutes menacées de boycotter dans les jours précédents cette réunion, preuve que les partenaires sociaux ne veulent plus être instrumentalisés par l’exécutif gouvernemental. Que sortira-t-il des sept tables rondes prévues ? Qui peut croire que les solutions proposées permettront de parvenir à un consensus ? Lisez les 94 exigences de la CGT et les propositions du Medef et vous comprendrez que le dialogue va être compliqué dans les mois à venir sur le thème de la croissance et de l’emploi. La CFDT, qui apparaît comme le dernier soutien visible de François Hollande, en ayant signé jusque là tous les accords interprofessionnels depuis son arrivée à la tête de l’Etat, parle désormais d’une rupture du dialogue social.

Après la sécurisation de l’emploi en 2012, puis la formation en 2013, et des résultats plus que mitigés sur ces deux sujets, plus personne ne semble dupe sur les attendues de cette conférence 2014 dont le fil rouge est la jeunesse.

Il y a donc fort à parier que le Palais d’Iéna ne devienne le décor d’une comédie qui ne fait plus rire personne depuis longtemps.

A vouloir manipuler ainsi les partenaires sociaux, le gouvernement risque surtout de poursuivre sa rupture avec les Français qui attendent depuis plus de deux ans maintenant une amélioration de la situation de l’emploi. 

Eric Verhaeghe : Là encore, je ne parlerais pas de contournement, mais de fuite en avant. Manuel Valls prétend diminuer les dépenses publiques, diminuer les impôts, diminuer le déficit, et améliorer le sort des classes populaires. Vous voyez que cela ne tient pas. Il y a bien un problème quelque part. On est dans la posture, et pas dans la stratégie. On aurait d'ailleurs mauvaise grâce à lui jeter la pierre. La situation est ingérable, et s'explique de façon très simple: la France n'a pas les moyens de rembourser sa dette. Les sacrifices exigés pour y parvenir seront tels que le pays connaîtra dix ans de disette au moins. La seule attitude responsable aujourd'hui consiste à revenir à un excédent primaire des dépenses publiques (pour éviter de recréer une dette) en produisant un choc de privatisation et en licenciant les fonctionnaires inutiles d'un côté, en annonçant qu'on ne rembourse la dette que quand on peut, ce que les économistes appellent le hair cut. Plus on tarde à prendre cette décision de bon sens, mieux on prépare le jeu de l'extrémisme.

Jean-Claude Mailly (FO) a prévu que lors de la conférence sociale, il "ne se passerait rien", et qu'il s'agissait "sûrement de la dernière [conférence sociale] sous cette forme". En déclarant que le "Premier ministre faisait une erreur", Laurent Berger (CFDT) semble même menacer cette relation exclusive avec le patronat. Dans un contexte où la légitimité des syndicats de salariés est de plus en plus contestée, à quelle stratégie peuvent-ils se fier pour s'imposer à nouveau ?

Nicolas Perruchot : Les syndicats de salariés peinent en réalité à sortir de l’ambigüité de la campagne présidentielle de 2012. Il faut se souvenir que trois syndicats de salariés (CGT, FSU, Solidaires) ont alors rompu leur légendaire neutralité, et ont appelé à faire battre Nicolas Sarkozy. Et celles qui se disaient non partisanes (CFDT, FO) ont largement participé ou inspiré les propositions sociales du candidat Hollande.

Que reste-t-il de cet enthousiasme présidentiel ? Les critiques formulées à l’encontre de l’exécutif sont quasi quotidiennes. Et la méthode a plongé les partenaires sociaux dans le brouillard. Entre ses annonces non suivies d’effets et ses revirements permanents, François Hollande a affaibli les partenaires sociaux qui avaient contribué à son élection.

La radicalisation de certaines organisations reflète aussi le malaise ressenti par de nombreux délégués syndicaux sur le terrain. Dans le monde syndical, plus personne ne croit ou n’a envie de croire aux promesses du chef de l’Etat. Le risque pour les responsables syndicaux est de perdre des adhérents à la base, et de la légitimité au sommet. Pour les principales organisations (CGT et CFDT), c’est carrément leur leadership dans certains secteurs qui pourrait être remis en cause.

A court terme, ils doivent donc sortir de la logique qui les colle de trop près au Parti socialiste, et démontrer leur capacité à proposer des réformes réalistes et rapidement applicables. C’est évidemment beaucoup plus facile à dire qu’à faire...

A moyen et long terme, ils devraient couper tout lien financier avec l’Etat, afin de regagner une totale autonomie, seul gage d’une indépendance devenue absolument nécessaire pour regagner en crédibilité. Et refuser tout mélange des genres avec le PS ou d’autres partis politiques. 

Eric Verhaeghe : Je suis moins catégorique que vous sur le défaut de légitimité des syndicats. Ceux-ci ont, dans les entreprises, une vie active, un engagement solide, sanctionné par des élections démocratiques. En revanche, il y a un vrai mystère Valls, qui a décidé de favoriser fortement le patronat. Trop fortement, car je ne suis pas sûr que la parole de Pierre Gattaz soit très raisonnable.

En quoi le patronat n'est-il pas mieux loti que les syndicats de salariés ?

Nicolas Perruchot : Le patronat doit lui aussi accepter d’évoluer pour gagner en légitimité et en indépendance. Il a devant lui au moins trois obstacles à franchir pour y parvenir.

Le premier consiste à solder l’héritage des vieilles méthodes du passé. Le récent procès de l’affaire de l’UIMM a confirmé une volonté, délibérée, d’acheter la paix sociale. Les responsables patronaux affirment tous aujourd’hui la main sur le cœur que ce temps est révolu. Il apparaît nécessaire de le démontrer par des faits car les paroles ne suffisent plus pour nous rassurer.

Deuxième obstacle : l’apparition de mouvements indépendants et spontanés qui en quelques heures et grâce aux réseaux sociaux deviennent des interlocuteurs des pouvoirs publics et contournent ainsi les représentants patronaux. Les Pigeons, les Tondus, et autres entrepreneurs 2.0 existent car les organisations patronales n’avancent plus assez vite et ne permettent pas de remonter rapidement leurs difficultés en haut lieu.

Troisième difficulté : la sempiternelle question de la représentativité au sein du monde patronal. Entre les propositions faites à la va vite en 2013, et le rapport Combrexelle, des avancées ont été faites. Mais la question de la mesure de l’audience patronale en prenant comme base l’élection reste tabou chez les patrons. Et une entreprise peut aujourd’hui être membre de l’UPA, de la CGPME et du Medef en même temps !!

Eric Verhaeghe : Le patronat peut revendiquer une forme d'écoute qui lui est favorable. Maintenant, les actes suivent-ils? Je n'en suis pas sûr, et moins pour une question de mauvaise volonté gouvernementale, que de contrainte technique : si l'on veut afficher au minimum une stabilisation du déficit, les promesses de baisses de cotisations dans tous les sens ne sont pas réalistes en l'état.

Finalement, ce jeu de dupe ne découle-t-il pas de la logique affichée par François Hollande et qui consiste à nier le présent, demandant à n'être jugé qu'à la fin de son quinquennat ?

Nicolas Perruchot : Je ne crois pas. Car il est impossible d’imaginer un président en France gouvernant le pays en ne faisant que des commentaires insipides le 14 juillet et le 31 décembre et nous donna rendez-vous cinq ans plus tard. Diriger la France impose  aujourd’hui, pour celui ou celle qui en a la charge, une présence et des explications beaucoup plus régulières.

La principale difficulté de François Hollande est d’abord liée à sa mauvaise anticipation de la crise. En arrivant à l’Elysée il a d’abord souhaité remettre en question les lois votées sous Nicolas Sarkozy. En s’appuyant sur une idéologie dénuée de vision stratégique claire. Le démantèlement de la défiscalisation des heures supplémentaires a été une erreur d’appréciation qui a d’abord puni les 8,6 millions salariés qui en bénéficiaient.

Second écueil : une différence forte entre son discours durant la  campagne présidentielle et ses actes depuis son élection. L’ennemi public n°1 du candidat Hollande, "la Finance", n’a pas été combatteu et pourchassée comme certains l’imaginaient à gauche. Parmi les nombreux déçus figurent d’ailleurs de nombreux adhérents des organisations de salariés.

Enfin l’image présidentielle a été considérablement affaiblie par les atermoiements, les revirements, les renoncements du Président et de son gouvernement sur les questions sociales. A tel point que de nombreux électeurs de gauche considèrent que Hollande fait une politique de droite. En janvier dernier Jean Claude Mailly résumait assez bien ce sentiment en déclarant : "Hollande a donné les clés du camion au patronat et nous demande de monter dans la remorque".

Quand on sait que certains soirs il conduit avec un casque, on peut effectivement être inquiet pour le dialogue social d’ici la fin de ce quinquennat…

Eric Verhaeghe : Je crains surtout que ce jeu de dupe ne soit une compétence requise pour être premier secrétaire du Parti Socialiste, mais une incompétence terrible quand on arrive au pouvoir. Mon sentiment est qu'aujourd'hui ni François Hollande ni Manuel Valls ne connaissent suffisamment les dossiers et n'ont suffisamment d'idées pour gouverner efficacement. C'est le problème de cette classe politique professionnelle qui ne connaît de la réalité que les coups tordus qu'on s'envoie dans les couloirs du pouvoir. Imaginent-ils un instant ce qu'est la contrainte d'un patron de TPE, ce que signifie embaucher un salarié, quelle prise de risque cela représente pour une entreprise, quelle lourdeur il faut subir pour le licencier? Imaginent-ils un instant ce qui signifie vendre ses produits à un client? Il est aberrant de lire partout, dans tous les rapports publics, que la TPE est l'avenir de la prospérité et que pas un décideur ne sache comment elle fonctionne. Forcément, les décisions prises sur des critères macro-économiques et en toute ignorance de la micro-économie tombent toujours à côté de leur cible.

Propos recueillis par Alexis Franco

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