L’été meurtrier ? Pourquoi les services de renseignements craignent des attentats cet été<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Etats-Unis craignent un attentat majeur cet été.
Les Etats-Unis craignent un attentat majeur cet été.
©Reuters

Aux aguets

Les services de renseignement américain ont demandé à plusieurs pays d'Europe et du Proche-Orient de renforcer les mesures de sécurité dans certains aéroports pour les vols à destination des États-Unis. Les occidentaux craignent tout particulièrement que le nouveau "Calife" Al-Baghdadi tente de se créer une légitimité en lançant son propre 11 septembre.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Les autorités américaines ont demandé à ce que les mesures de sécurité soient renforcées pour les vols internationaux à destinations des Etats-Unis dans plusieurs aéroports d’Europe et du Proche-Orient. Le risque d’attentats est-il effectivement plus important aujourd’hui que ces derniers mois ? Pourquoi ?

Fabrice Balanche : Le risque d’attentats est plus important, car avec l’insurrection de l’Etat islamique en Irak, le gouvernement de Maliki a appelé les Etats-Unis à la rescousse, qui ont envoyé des conseillers militaires et des drones pour l’aider. Pour l’EIIL, c’est de nouveau une agression américaine, et il faut donc frapper les Etats-Unis en retour. Al-Baghdadi s’étant proclamé Calife, il a besoin d’une légitimité. Il se place en quelque sorte comme le successeur de Ben Laden, or on sait que ce dernier a acquis sa légitimités avec le 11 septembre. Donc s’il veut être reconnu comme Calife et marginaliser le chef d’Al-Qaida, Al-Zawahiry, Al-Baghdadi doit tout faire pour s’ériger à un rang similaire à celui de Ben Laden.

Alain Chouet : Je reste un peu perplexe devant ce soudain alarmisme des autorités américaines qui prennent d’ailleurs soin de préciser qu’elles ne disposent d’aucun élément actuel ou immédiat corroborant une menace particulière.

Il semble en tout cas que l’appareil sécuritaire américain juge opportun de réveiller la vigilance de ses partenaires étrangers et de stimuler le zèle de ses propres structure de surveillance au moment où les Etats-Unis - qu’ils le veuillent ou non - se retrouvent en première ligne face au djihadisme en Afrique, en Afghanistan, au Levant et où la Maison Blanche infléchit sa politique étrangère dans le sens d’une connivence moins marquée avec les monarchies wahhabites et affiche certaines formes de rapprochement avec l’Egypte du Maréchal Sissi, l’Iran et le régime syrien.

Ce sont autant de signaux et d’options qui risquent effectivement de susciter des réactions violentes au sein de la galaxie des Frères musulmans, de leurs bras armés djihadistes et de leurs "bienfaiteurs privés" des monarchies du Golfe.

Des experts du renseignement américain ont agité la menace de l’artificier en chef d’Al-Qaïda, Ibrahim Al-Asiri, caché au Yémen (lire son portrait ici). Celui-ci serait à la manœuvre pour développer des explosifs indétectables. Cependant cette information n’est pas nouvelle, alors pourquoi cette réaction ? Quels intérêts le renseignement américain poursuit-il au travers de ses annonces ?

Fabrice Balanche : Quand on exige des mesures de sécurité supplémentaires dans les aéroports, il faut des justifications. Ibrahim Al-Asiri a une méthode assez particulière, consistant à sans cesse changer de type d’explosif. A cause de cela on ne peut pas détecter son nouvel explosif. Il avait par exemple piégé des cartouches d’imprimante, qui n’ont pas explosé, mais n’avaient pas été détectées au contrôle. Il avait même implanté un explosif dans un corps humain. Avec cet exemple, le but des Etats-Unis est de justifier ces mesures. D’autre part Obama a besoin de justifier auprès de son opinion publique une aide au gouvernement irakien, éventuellement un prolongement en Afghanistan, un surcroit de soutien militaire au Yémen…

Alain Chouet : Ibrahim el-Asiri est un artificier parmi d’autres dans la nébuleuse djihadiste et, s’il fait preuve d’une certaine technicité en matière d’explosifs, j’ai tout de même des doutes sérieux sur sa capacité à mettre au point des engins indétectables. J’observe au passage qu’aucun des attentats qu’il a préparés n’a à ce jour été couronné de succès. Les politiques et les médias occidentaux ont une fâcheuse tendance à considérer les attentats ratés comme des attentats réussis et à tenter de s’en prémunir au prix d’une inflation de mesures de précaution plus destinées à rassurer les opinions publiques qu’à fournir une réelle protection.

La progression de l’EIIL en Syrie et en Irak a-t-elle changé la donne ? Les djihadistes, s’ils se stabilisent durablement dans la région, seront-ils mieux à même de lancer des attaques terroristes à l’international ?

Fabrice Balanche : Oui, car ils sont proches de l’occident, et il est facile de passer par la Turquie. La frontière avec cette dernière est une véritable passoire. Pour m’être rendu sur place, je peux vous dire que les djihadistes se repèrent de loin, et circulent sans inquiétude dans les aéroports. Les maisons de convalescence sont remplies de djihadistes... Tout montre qu’ils peuvent gagner l’Europe très facilement.

Alain Chouet : Il ne faut pas exagérer la puissance et la stabilité de l’EIIL, même si ce mouvement est passé maître dans l’art de valoriser ses actions sur Internet et les réseaux sociaux. Ses succès sont d’abord dus au délabrement d’un pouvoir irakien qui a multiplié les erreurs et que personne, à commencer par son armée, ne veut plus soutenir. Cela dit, et si rien n’est fait pour rétablir l’ordre dans la région du nord de l’Irak et du nord-est de la Syrie, cette région peut fort bien devenir une "zone grise" hébergeant des bandes armées aux motivations diverses mais ayant en commun des appétits d’existence et de financement qu’elles chercheront à satisfaire en exerçant leur capacité de nuisance à l’échelon régional et international par le biais de la violence et du terrorisme. C’est sur ce modèle que les Talibans ont fonctionné de 1995 à 2001, que les Shebab fonctionnent en Somalie, Boko Haram au Nigéria et qu’essaye de fonctionner AQMI au Sahel.

Le conflit est bien réel aujourd’hui entre les groupes rattachés à Al-Qaïda, dirigé par Ayman al-Zaouahiri, et l’EIIL d'Abou Bakr Al-Baghdadi. Cette opposition pourrait-elle diminuer les velléités terroristes des islamistes, ou au contraire les inciter à se concurrencer dans une course à l’attentat ?

Fabrice Balanche : Al-Nosra et les autres groupes n’ont pas les moyens de mener des attentats sophistiqués. Ils ne peuvent qu’envoyer des gens mitrailler des écoles juives, et il leur sera difficile de mener des attaques sur des avions. Même Al-Nosra n’est pas structuré, son chef n’a qu’un commandement limité sur ses troupes, et celles-ci ont tendance à rejoindre l’Etat islamique. En revanche l’Etat islamique est structuré, il a des moyens, et il cherche à gagner en notoriété, en posant des bombes dans des avions, typiquement. Car c’est ce genre de communication qui va lui attirer du monde et des financements. Ces combattants savent qu’ils ne risquent pas une intervention militaire comme en Afghanistan, et que les Etats occidentaux et les pétromonarchies du Golfe sont divisés sur le sujet. Tous les services de renseignement vous diront qu’il faut laisser Assad en place, car il tenait son pays et les terroristes en étaient absents. Mais il n’est pas évident de changer de discours, Fabius persiste dans le sien. A ceci près que Barack Obama a tout de même déclaré il y a 15 jours sur CBS qu’il était illusoire de croire que l’opposition pourrait remplacer Assad. Mais l’Etat islamique voit bien qu’aucune action coordonnée ne sera menée contre lui, et qu’en cas d’attentat contre les Etats-Unis, ces derniers ne lanceront pas leurs troupes.

Alain Chouet : Ce sont surtout les Occidentaux qui - en invoquant Al Qaïda à tout propos et même hors de propos - ont donné à Ben Laden et Zawahiri une stature de référence mondiale à tous les contestataires du monde musulman quels que soient leurs objectifs et leurs motivations. En dehors de donner son parrainage symbolique et de décerner le label à toute violence émanant d’un musulman, il y a bien longtemps que Zawahiri n’a plus aucune capacité opérationnelle.

La supercherie éclate maintenant au grand jour parce que se développe un mouvement djihadiste aux capacités opérationnelles certaines qui, pour des raisons de rivalité entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, s’était vu retirer le précieux label Al Qaïda et a décidé de créer le sien propre, d’autant plus crédible qu’il engrange des succès de terrain largement médiatisés.

Il ne faut pas trop se faire d’illusions sur les rivalités que cela risque d’engendrer dans la galaxie djihadiste locale. Déjà le mouvement syrien Jabhat al-Nosra, que les services séoudiens avaient parrainé en 2012 pour faire pièce à l’EIIL objet d’une "OPA hostile" par les Qataris, annonce sa réconciliation avec le mouvement de Baghdadi au mépris des directives de Zawahiri. Ce n’est pas sur ce plan que se joue l’aggravation ou l’atténuation du danger terroriste.

Au regard de la situation actuelle au Proche Orient, quels sont les principaux enjeux sécuritaires qui se dégagent face à la menace terroriste islamiste ? Quels sont les scénarios de réaction envisageables par les Etats-cibles ?

Fabrice Balanche : Il nous faut arriver à identifier les personnes susceptibles de commettre des attentas sur le sol français. 700 à 800 djihadistes français ont été identifiés, mais il y a tous ceux qui n’ont pas été repérés. Avec Schengen, il est très difficile de suivre les mouvements des gens, car ils peuvent passer par l’Italie, l’Allemagne, ou bien rejoindre le Maroc ou la Tunisie. Dès lors ils deviennent indétectables, car il est impossible de les suivre à la trace. Seule une collaboration des Turcs pourra nous aider, et cela est très loin d’être acquis. En effet le président Erdogan joue un jeu dangereux avec les djihadistes pour lutter contre le régime d’Assad. C’est le même objectif que les Saoudiens.

Les services français, du fait de l’attitude de notre gouvernement, ont du mal à communiquer avec les services syriens. Ce qui n’est pas le cas des Allemands. Les Saoudiens aussi jouent un double jeu : d’un côté ils mettent les groupes islamistes sur la liste des organisations terroristes, et de l’autre ils laissent des membres de la famille royale financer l’EIIL, qui leur permet de briser l’axe pro-iranien qui cour de la Méditerranée à Téhéran. De l’avis de la DCRI, nous n’avons jamais été confrontés à un problème aussi grave. Pour l’instant les djihadistes n’ont pas intérêt à frapper le sol européen, car l’objectif est de continuer à faire venir des hommes. Car sinon les services européens seront beaucoup plus vigilants. Mais lorsque les groupes islamistes commenceront à perdre du terrain et que les djihadistes européens reviendront, alors le risque d’attentats chez nous sera extrêmement fort.

Alain Chouet : La situation est préoccupante de plusieurs points de vue. Depuis la mi-2013, le Qatar et l’Arabie ont décidé pour des raisons diverses de réduire drastiquement le soutien politique, militaire et financier qu’ils apportaient aux groupes djihadistes sunnites en lutte contre le pouvoir chiite de Nouri al-Maliki en Irak et le pouvoir alaouite de Bashar el-Assad en Syrie. Le cabinet royal séoudien a même été plus loin en décrétant l’interdiction d’entrée sur son territoire de tout individu convaincu de djihadisme au Levant.

Il en résulte que nombre d’éléments séoudiens et de volontaires internationaux de l’EIIL et de Jabhat el-Nosra n’ont plus ni ressources financières en provenance des pétromonarchies, ni solution de repli territorial hors de la zone. Ils doivent donc envisager de s’y installer durablement et d’y trouver des moyens de subsistance. Pour l’instant, ils se payent sur la bête par du racket, des pillages (en particulier celui de la succursale de Mossoul de la Banque d’Irak où ils ont raflé 480 millions de dollars) et le contrôle des ressources hydrocarbures de la région qu’ils occupent.

Mais ce sont des expédients qui trouveront vite leurs limites et qui les contraindront à revenir à leurs habitudes éprouvées de rentabilisation de leur capacité de nuisance terroriste. À exercer évidemment en direction de victimes qui peuvent payer, pays arabes riches et pays occidentaux. Il est donc clair que les cibles ainsi menacées ont tout intérêt à aider les pouvoirs locaux - en Irak bien sûr mais aussi au Liban, en Syrie et en Jordanie - à reprendre le contrôle du terrain et à y exercer une autorité responsable comme cela a été fait au Mali.

Le temps presse car - contrairement à la mythique Qaïda - l’Etat Islamique, autant qu’il dure et engrange des succès, fait preuve d’une réelle capacité de mobilisation et d’incitation à la violence dans l’ensemble du monde musulman, y compris les communautés émigrées, dont il stimule et oriente toutes les problématiques et les contradictions.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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