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Retour en force : pourquoi Nicolas Sarkozy veut à tout prix éviter les primaires
©Reuters

Bonnes feuilles

Chaque jour, depuis sa défaite en mai 2012, Nicolas Sarkozy récrit ses plans de retour et recrute ses équipes. C'est cette volonté irrépressible de revanche que l'auteur Christelle Bertrand décortique, nourrissant son récit de témoignages inédits. Extrait de "Chronique d'une revanche annoncée", de Christelle Bertrand, publié aux Editions Du Moment (2/2).

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

Voir la bio »

Il lui a téléphoné et c’est un peu comme s’il s’était rasé. Un an déjà… Elle lui manquerait presque. Il aime bien, au fond, sa fran- chise, sa sincérité. Son regard bleu perçant qui ne cille jamais. Elle a toujours été là, 2007, 2012. Parfois ronchonnant. Parfois même affirmant d’un ton cassant : « C’est du grand n’importe quoi. » Elle est la seule à lui tenir tête. Elle a détesté la dernière campagne, foutraque, perdue d’avance. Elle l’a dit et redit. Emmanuelle Mignon est l’une des armes secrètes de Nicolas Sarkozy. Rare- ment sur le devant de la scène, elle a nourri, en coulisses, les programmes des deux campagnes présidentielles. Un cerveau bien fait, major de l’ENA, « la meilleure », a-t-il l’habitude de dire. Il sait qu’elle travaille depuis des mois à centraliser les notes des uns et des autres. Jusqu’ici il l’a laissé faire, de peur que cette sorte de brainstorming ne soit considérée comme la composition d’un programme. Mais en ce début janvier, il se dit qu’il n’y a plus de temps à perdre. Il faut avancer. Il va donc demander à son ancienne directrice de cabinet de venir le voir régulièrement. Des rencontres « au carré » comme elle les aime, construites, organi- sées. Des rendez-vous durant lesquels Emmanuelle Mignon est à l’écoute, essaie de comprendre vers où il veut aller. Elle lui parle aussi. Librement comme toujours, avec franchise et délicatesse, afin de l’inciter à se pencher sur la campagne de 2012, d’identifier les erreurs qui ont été commises. Nicolas Sarkozy n’aime pas se retourner sur le passé, mais il sait qu’il n’a pas le choix. S’il ne le fait pas, d’autres le feront à sa place. En ce début d’année 2014, ses détracteurs trépignent, nombreux et motivés.

Il y a ceux qui lui en veulent de les avoir négligés ou de les avoir humiliés, ceux qui pensent qu’il est le meilleur candidat pour faire perdre la droite en 2017, ceux qui ont détesté ses appels du pied à l’extrême droite et pensent qu’il ne changera pas, les ambitieux qui se verraient bien à sa place… Nicolas Sarkozy ne devine plus que des ennemis autour de lui. Et, de surcroît, des ennemis qui s’organisent et n’hésitent plus à le défier frontale- ment.

C’est le cas de Xavier Bertrand avec qui il déjeune le 8 janvier. Voilà des mois qu’il demande à son ancien ministre du Travail de passer lui rendre visite rue de Miromesnil. Sans succès. « Je n’ai rien à lui dire », avait l’habitude de se justifier le maire de Saint- Quentin. Mais en ce début d’année, ce n’est plus le cas. Xavier Bertrand l’invite donc dans un restaurant italien du 17e arrondis- sement, en terrain neutre, comme on provoque un rival en duel. Nicolas Sarkozy tord le nez mais accepte pour s’entendre dire : « Je ne veux pas être ton ministre ni ton Premier ministre, je veux être président » et « Je ne crois pas au Merkozy ». Deux petites phrases qui fuitent aussitôt dans la presse. L’ancien chef de l’État n’avait pas beaucoup d’espoir d’amadouer Xavier Bertrand mais pas au point de prendre en pleine figure qu’il entendait se servir de lui pour sa propre campagne! Décidément, plus aucun scru- pule n’étouffe ses rivaux. Lui sont aussi parvenus les échos de rencontres secrètes entre Xavier Bertrand, Bruno Le Maire et Jean-François Copé. Que trament ces trois-là ?

Pour le comprendre, il lui a fallu attendre le samedi 24 janvier, et le conseil national qui a redistribué les pouvoirs au sein de l’UMP et confirmé l’organisation des primaires. Voilà donc ce que préparait le triumvirat de choc. Mécontents de la répartition des rôles entre fillonistes et copéistes issus des dernières élections internes, Xavier Bertrand, Bruno Le Maire et Alain Juppé ont voulu faire acter par Jean-François Copé une plus juste repré- sentation de leur sensibilité au sein des instances de l’appareil, le bureau politique et la commission de recours. « Il s’agissait de faire voler en éclat le Yalta Copé/Fillon », explique Xavier Bertrand 1. Et, bien entendu, d’introduire au coeur du réacteur des soutiens en vue des primaires. Juppé et Bertrand ont placé leurs hommes, Le Maire aussi… Nicolas Sarkozy a noté comme un signal fort la mise au banc de Benoist Apparu, par exemple. Bien qu’au service d’Alain Juppé, l’ex-secrétaire d’État s’est sin- gulièrement rapproché de Nicolas Sarkozy ces derniers temps,Sans aucun doute, ces grandes manoeuvres sont ostensible- ment dirigées contre l’ancien chef de l’État et se déroulent avec l’assentiment de Jean-François Copé, qui n’a guère résisté aux demandes des trois coalisés. Seuls Henri Guaino et Brice Horte- feux sont montés au créneau pour défendre les intérêts du locataire de la rue de Miromesnil et réclamer que l’UMP renonce à faire élire son candidat à la présidentielle par les sympathisants. Personne d’autre ne s’est levé. Non, personne. Les sarkozystes ne sont plus assez nombreux et puissants pour faire régner l’ordre au sein de l’UMP qui s’est totalement émancipée. Chacun travaille désormais ouvertement pour son propre compte, constitue son écurie en vue de 2017. Bruno Le Maire est à l’oeuvre depuis un an et demi. Il a rassemblé autour de lui une petite armée : un réseau territorial, une équipe pour les argumentaires, une autre pour la com’, une troisième chargée d’animer les réseaux sociaux, et plu- sieurs groupes pour agiter de nouvelles idées. Près de six cents personnes se consacrent, avec plus ou moins d’implication, à l’avenir de l’ancien ministre de l’Agriculture. Idem pour Xavier Bertrand qui a fait de son association, La Manufacture, un think tank en vue de 2017. Aucun de ces deux-là n’inquiète véritable- ment Nicolas Sarkozy ; seul Alain Juppé le préoccupe mais il veut croire qu’il n’aura pas l’envie suffisante pour aller jusqu’au bout. « Juppé vit la plus belle période de sa vie, se rassure-t-il souvent. Vous avez vu ce qu’il s’est pris dans la figure ce type ? À l’aube de ses soixante-dix ans, il est enfin aimé. Or il sait que s’il revient vraiment il va reprendre des coups. Il est haut dans les sondages parce qu’il ne parle pas. Le jour où il annoncera sa candidature, on va lui poser des questions : la GPA, la PMA, les programmes scolaires en petite sec- tion, il va forcément décevoir certains et baisser dans les sondages. » Mais ce que craint par-dessus tout le locataire de la rue de Miro- mesnil, ça n’est ni Le Maire, ni Bertrand, ni Juppé, mais l’alliance que ces trois-là ont nouée pour le forcer, lui, à passer sous les fourches caudines des primaires. Cela dit, les trois mousquetaires ne sont pas d’accord sur tout. Bruno Le Maire voudrait qu’elles aient lieu le plus tard possible pour avoir le temps de se préparer ; Alain Juppé souhaiterait au contraire qu’elles interviennent tôt pour profiter de sa popularité actuelle. Sarkozy ne comprend pas : pourquoi, diable, s’entêtent-ils alors qu’aucun d’entre eux n’a la carrure ni l’envie suffisante pour l’emporter ? Pourquoi se liguer contre lui alors qu’il est la seule chance de la droite ? Pourquoi s’entêter à lui imposer des primaires ? « Non mais vous me voyez, moi, ancien président de la République, ne m’adresser qu’aux sym- pathisants ? Il faut que je m’ouvre, que je parle à tout le monde », explique-t-il. Et encore : « J’ai rendez-vous avec les Français, pas avec le parti. » jusqu’à se déclarer opposé à la tenue d’élections internes.

Sans aucun doute, ces grandes manoeuvres sont ostensible- ment dirigées contre l’ancien chef de l’État et se déroulent avec l’assentiment de Jean-François Copé, qui n’a guère résisté aux demandes des trois coalisés. Seuls Henri Guaino et Brice Horte- feux sont montés au créneau pour défendre les intérêts du locataire de la rue de Miromesnil et réclamer que l’UMP renonce à faire élire son candidat à la présidentielle par les sympathisants. Personne d’autre ne s’est levé. Non, personne. Les sarkozystes ne sont plus assez nombreux et puissants pour faire régner l’ordre au sein de l’UMP qui s’est totalement émancipée. Chacun travaille désormais ouvertement pour son propre compte, constitue son écurie en vue de 2017. Bruno Le Maire est à l’oeuvre depuis un an et demi. Il a rassemblé autour de lui une petite armée : un réseau territorial, une équipe pour les argumentaires, une autre pour la com’, une troisième chargée d’animer les réseaux sociaux, et plu- sieurs groupes pour agiter de nouvelles idées. Près de six cents personnes se consacrent, avec plus ou moins d’implication, à l’avenir de l’ancien ministre de l’Agriculture. Idem pour Xavier Bertrand qui a fait de son association, La Manufacture, un think tank en vue de 2017. Aucun de ces deux-là n’inquiète véritable- ment Nicolas Sarkozy ; seul Alain Juppé le préoccupe mais il veut croire qu’il n’aura pas l’envie suffisante pour aller jusqu’au bout. « Juppé vit la plus belle période de sa vie, se rassure-t-il souvent. Vous avez vu ce qu’il s’est pris dans la figure ce type ? À l’aube de ses soixante-dix ans, il est enfin aimé. Or il sait que s’il revient vraiment il va reprendre des coups. Il est haut dans les sondages parce qu’il ne parle pas. Le jour où il annoncera sa candidature, on va lui poser des questions : la GPA, la PMA, les programmes scolaires en petite sec- tion, il va forcément décevoir certains et baisser dans les sondages. » Mais ce que craint par-dessus tout le locataire de la rue de Miro- mesnil, ça n’est ni Le Maire, ni Bertrand, ni Juppé, mais l’alliance que ces trois-là ont nouée pour le forcer, lui, à passer sous les fourches caudines des primaires. Cela dit, les trois mousquetaires ne sont pas d’accord sur tout. Bruno Le Maire voudrait qu’elles aient lieu le plus tard possible pour avoir le temps de se préparer ; Alain Juppé souhaiterait au contraire qu’elles interviennent tôt pour profiter de sa popularité actuelle. Sarkozy ne comprend pas : pourquoi, diable, s’entêtent-ils alors qu’aucun d’entre eux n’a la carrure ni l’envie suffisante pour l’emporter ? Pourquoi se liguer contre lui alors qu’il est la seule chance de la droite ? Pourquoi s’entêter à lui imposer des primaires ? « Non mais vous me voyez, moi, ancien président de la République, ne m’adresser qu’aux sym- pathisants ? Il faut que je m’ouvre, que je parle à tout le monde », explique-t-il. Et encore : « J’ai rendez-vous avec les Français, pas avec le parti. »

Certes, il entend bien le choeur des légitimistes, comme son cher Édouard, qui lui expliquent qu’il a tout intérêt à se sou- mettre à la discipline du parti. « Nicolas, vous devez accepter les primaires, sans ça vous allez avoir un problème pour justifier votre candidature. Comment expliquer que vous refusez de vous soumettre à un processus démocratique ? Les primaires, tout le monde doit y participer, même un ancien président de la République. Si vous êtes candidat, personne n’osera se présenter contre vous. » Nicolas Sarkozy a toujours eu du respect pour l’homme qu’il a soutenu bec et ongles contre Jacques Chirac. Il éprouve une sincère admi- ration devant sa mécanique intellectuelle. Surtout, il est l’un des rares leaders politiques en qui il a totalement confiance. Il sait qu’Édouard Balladur ne le lâchera jamais. Au fil du temps, il est un peu devenu le père qu’il n’a pas eu, ou si peu. Mais cette fois, pourtant, Nicolas Sarkozy écoute sans entendre. Il sent qu’Édouard se trompe. Il devine qu’ils se présenteront, même contre lui. Surtout contre lui.

L’ancien Premier ministre n’est pas seul à tenter de le rallier à l’idée des primaires. Mais Nicolas Sarkozy ignore les arguments des uns et des autres malgré leur pertinence. Jérôme Lavrilleux lui affirmait récemment : « Vous avez tout intérêt à passer par les pri- maires. Si vous ne le faites pas, ce sera l’occasion pour Fillon de dire : “Puisqu’il n’y a pas de primaires, je me présente quoi qu’il arrive.” Alors que si vous vous présentez, vous gagnerez et éliminerez tous les autres. » Un fidèle lui a dit : « La primaire, c’est une chance incroyable, il y aura un nombre de participants fou. Si vous concourez, ça va créer un souffle qui va remettre les troupes mili- tantes en marche et, si vous l’emportez, tous les autres seront obligés d’aller à Canossa. Si vous refusez les primaires, vous allez devoir composer avec tout le monde. » Certains osent même imaginer que des primaires ouvertes à droite et au centre pourraient asphyxier la candidature de François Bayrou.

Mais, à part son cher Édouard, personne ne lui dit plus qu’il sera seul s’il se présente et c’est bien ce qui l’inquiète, car une coalition en mode TSS pourrait le faire tomber. Il le sait. Si François Fillon, Alain Juppé, Jean-François Copé, Bruno Le Maire et Xavier Bertrand décident de s’unir, qui sait ce qui peut se passer ? S’ils se rangent tous derrière le même homme, quel sera le poids de Nicolas Sarkozy ? Combien de quinquas aux dents longues se feront cette réflexion : « Il vaut mieux Juppé que Sarko car avec Sarko, on en prend pour dix ans » ? Alors qu’en 2022, Alain Jupé sera trop âgé pour espérer se représenter.

L’ancien chef de l’État a bien trouvé une parade. Il pourrait annoncer que s’il rempile ce serait pour un seul mandat. Il pour- rait s’appliquer à lui-même le principe du mandat renouvelable une seule fois. Mais cela suffira-t-il à faire patienter les ambi- tieux ? Non, probablement pas. D’autres testent pour lui l’idée de primaires décentralisées : « Si primaires il y a, il faudrait que ce soit des primaires à l’américaine, qui se tiendraient sur une succession de dimanches et non sur un seul, ce qui aurait pour effet de dénationa- liser le scrutin, estime Benoist Apparu1. Si le vote est organisé par grosses régions, ce sera une campagne de terrain et, dimanche après dimanche, on éliminera les petits candidats. Ce sera moins violent. » Ça éviterait surtout de focaliser sur le nom de Sarkozy. Sur son bilan, sa personnalité.

Car si certains veulent à tout prix des primaires, c’est bien pour rappeler ce qui n’a pas été fait pendant cinq ans et, à l’aune de ces échecs, relativiser les promesses de demain. « Le segment idéologique qu’il est en train de définir, est-ce un vrai segment idéo- logique ou une position tactique ? se demande, par exemple, Xavier Bertrand. Il n’a pas tenu ses promesses dans le passé, cette fois il sera obligé car il aura des opposants en interne 2. » Nicolas Sarkozy commence à comprendre que les primaires vont sans doute s’imposer et que le débat qui les précédera aura des allures de référendum : pour ou contre lui.

Exit le retour triomphal tant espéré, le costume de père de la Nation, d’homme providentiel. Toutes ces images qui dansent dans sa tête depuis ce fameux 6 mai 2012. Avec ces foutues primaires, c’est tout son plan qui s’écroule. Il va lui falloir retrousser les manches. Encore une fois. Comme en 2002, comme en 2007. Lui qui rêvait qu’on le désire va devoir prouver une nouvelle fois qu’il est le meilleur et, surtout, celui qui a le plus envie du job. Le virage ne sera pas facile à négocier, il n’a cessé de répéter que ses envies étaient ailleurs et qu’il ne reviendrait que si la France avait besoin de lui. La France ne l’a pas entendu, ses ministres ont grandi, il va falloir faire avec et se remettre au travail.

Désormais Emmanuelle Mignon ne s’ennuie plus. Elle a deux jobs à plein-temps, l’un au Conseil d’État et l’autre rue de Miro- mesnil. Nicolas Sarkozy va désormais plancher sur son programme pour revenir avec des idées neuves, des idées fortes. Il a bien l’intention de bousculer à nouveau les codes comme il l’a fait en 2007, bref, de refaire de la politique.

Extrait de "Chronique d'une revanche annoncée", de Christelle Bertrand, publié aux Editions Du Moment, 2014.

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