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Les élites françaises ont leur bouclier moral pour gérer l'économie.
Les élites françaises ont leur bouclier moral pour gérer l'économie.
©Reuters

Maginot, quand tu nous tiens

Eurostat publiait lundi 30 juin les chiffres de l’inflation en Europe : 0,5% pour le deuxième mois consécutif. Le continent se rapproche encore un peu plus d’une situation de déflation. A cela une seule réponse est apportée : l’assainissement des finances publiques et la poursuite des politiques d’austérité... Peut mieux faire.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Eurostat publiait ce lundi 30 juin les chiffres de l’inflation en Europe : 0.5% pour le deuxième mois consécutif. Le continent se rapproche encore un peu plus d’une situation de déflation. A cela une seule réponse est apportée: l’assainissement des finances publiques et la poursuite des politiques d’austérité. Si une telle politique est en général associée au « libéraux », la réponse de la gauche serait de relancer l’économie par la voie budgétaire.

Un débat qui a l’air de durer depuis toujours, comme si la politique macroéconomique ne se résumait, inlassablement, qu’en un affrontement par budget interposés. Une double erreur. Entre les partisans d’un Etat « bon père de famille » qui équilibre son budget et un Etat plus « compréhensif » qui dépense, il reste un élément toujours ignoré dans le débat: la monnaie. En effet, depuis la Grande dépression, la discussion économique française n’a pas changé pas d’un iota.

Ainsi, en septembre 2007, alors même que la crise n’avait pas encore frappée, François Fillon déclarait "Si la France était une entreprise, un ménage, elle serait en cessation de paiement". L’idée est fréquemment reprise, si la France était un ménage, si la France était gérée en bon père de famille, si la France était…bref, si la France était gérée correctement elle aurait un budget équilibré, et tout irait mieux dans le meilleur des mondes.

Au cours des années 30, lorsque le pays connaissait la seule crise qui puisse être comparée à celle que nous traversons aujourd’hui, c’est-à-dire une situation de quasi-déflation, le discours n’était pas bien différent :

« Le gouvernement répond au désir de tous quand il annonce la suppression des abus. Certes, la chasse aux abus est menée depuis longtemps, néanmoins, il en existe encore dans notre budget, et il importe que leur disparition génératrice d’économies soit activement recherchée. ». M.Baréty. Rapporteur général du Budget. Juillet 1935.

Ainsi, encore aujourd’hui, la rigueur budgétaire est véritablement une nécessité, c’est Nicolas Beytout qui l’indique dans le Journal L’opinion le 26 septembre 2013 :

« Comment reprendre le contrôle de cette dérive folle alors que toute l’administration publique a déjà le sentiment d’être « à l’os » ? Gigantesque défi, que ni la gauche ni la droite n’ont aujourd’hui les moyens de relever. Les chiffres consternants du budget sont le signe que nous ne maîtriserons nos finances publiques qu’au prix d’une chirurgie lourde, d’un tri remettant en cause les fonctions de l’Etat et ses missions. »

Une rhétorique qui rappelle les mots de la confédération générale de la production française qui « réclame des pouvoirs publics l’énergie indispensable à l’heure présente, les incite à adopter immédiatement les dispositions nécessaires au rétablissement de l’équilibre budgétaire par une sérieuse compression des dépenses publiques ».(Production nationale juin 1935).

Le consensus est total. Dans la même veine, Arnaud Leparmentier écrit dans le monde Le 28 mai 2014:

« Rien ne sert non plus d'imaginer renverser la table. Le redressement ne se fera pas à coups de menton bonapartistes. Il sera le fruit d'une longue reconquête, fondée sur un consensus bipartisan, sur le modèle de la désinflation compétitive, chère à Jean-Claude Trichet, menée de 1983 à 1997. C'est ce qu'ont proposé François Hollande et Manuel Valls dans la foulée du désastre européen.

Les mesures sont beaucoup trop timorées, mais leur orientation est la bonne. Il faut tenir sur les réformes, faute de quoi les deux hommes seront emportés. Ce n'est pas parce qu'ils disposent d'un soutien inférieur à 14 % des électeurs qu'ils ont forcément tort. Et puis nous avons de la sympathie pour les causes perdues. »

« L’orientation est la bonne » selon le journal du soir, surtout ne pas toucher à la monnaie. Et une sympathie pour les causes perdues qui rappelle elle aussi le ton moralisateur des années 30, notamment du gouvernement Laval « En vue d’éviter la dévaluation de la monnaie, le gouvernement est autorisé, jusqu’au 31 octobre 1935, à prendre par décret toutes dispositions ayant force de loi pour réaliser l’équilibre budgétaire, supprimer toutes les dépenses inutiles et mettre un terme aux abus, quels qu’ils soient ».

Le florilège des années 30 est en ce sens intarissable…

« La dévaluation ne pourrait devenir chez nous une mesure inévitable qu’en raison d’un déséquilibre à la fois important et permanent du budget des collectivités publiques et tout particulièrement du budget de l’état lui-même. ». Le Rentier. 23 février 1936.

« Nous aimons à penser qu’il ne se trouvera pas de gouvernement qui, pour éviter l’équilibre du budget, lancerait le pays dans une politique dont la monnaie ferait en définitive les frais » Le Journal des débats. 24 juin 1933.

« Le point faible ce n’est pas la position technique de la monnaie, c’est l’état des finances publiques et de la trésorerie. Tout remède qui ne ‘attaquerait pas au mal fondateur du déséquilibre financier serait vain » Revue Politique et Parlementaire. Juin 1935.

Le congrès de l’épargne française « proteste avec énergie contre toute idée de manipulation monétaire, contre toute nouvelle meurtrière dévaluation qui n’aurait d’autre raison que celle qui a toujours existé pour faire de la fausse monnaie, c’est-à-dire dépouiller le créancier au profit du débiteur, et demande qu’une réforme organique de l’Etat fasse disparaitre les services et les institutions qui ne ressortissent pas directement de la puissance publique en commençant par ceux dont le coût est trop onéreux ». Le Rentier. 23 décembre 1934.

Des tonnes. L’analyse monétaire se contente d’une vision simpliste de  « faux monnayeur» si facile à vendre auprès du public, la monnaie n’est perçue que comme un artifice. Et le fabuleux résultat de cet acharnement anti-monétaire a eu une fâcheuse conséquence ; comme le rappelle l’économiste Douglas Irwin dans son rapport publié en septembre 2010 :

« La vision classique est que le déclenchement de la Grande Dépression commence avec la restriction monétaire de la FED en 1928. Pourtant, l’accumulation rapide et la stérilisation effective des réserves d’or par la Banque de France méritent autant, si ce n’est plus, d’être soulignées dans cette histoire. L’impact des politiques monétaires de ces deux pays ont une égale responsabilité dans la force déflationniste subie entre 1929 et 1930, puis la France est devenue la principale force déflationniste en 1931 et 1932 ».

Ce qui est la conclusion d’un papier intitulé « La France a-t-elle causé la grande dépression ?». La réponse est dans la question. En se consacrant toute entière à la restriction de son budget et à l’immobilisme de la Banque de France, le pays a enfoncé l’Europe dans la déflation. Si une telle vision est appelée « libérale » en France, elle ferait hurler Milton Friedman dans sa tombe. Lui le premier à avoir pointé la totale responsabilité des banques centrales pendant la Grande Dépression.

En 1936, Léon Blum prend le pouvoir et se refuse à dévaluer : les congés payés et la semaine des 40 heures sont instaurés et vont avoir raison de ce qui reste d’espoir à l’économie française. Ces mesures vont avoir un tel effet récessif que la dévaluation devient alors inévitable. Face à la réalité, le Franc est dévalué de 35% le 1er octobre 1936 puis de 25%. L’économie ne reprend que doucement des couleurs en raison d’une absorption difficile de la semaine des 40 heures. Mais le mal est fait depuis déjà trop longtemps. Le déni économique durait alors depuis 7 ans. 

Aujourd’hui, c’est le même combat. 6 ans de déni, déjà. Tailler dans le budget ou le relancer, seule question qui vaille pour occuper le terrain politique. La monnaie est ignorée, encore et toujours. En 1931, le Royaume Uni avait compris, les Etats Unis ont attendu 1933. Cette fois ci, c’est la même rengaine. Les Etats Unis ont agi dès 2009, comme le Royaume Uni.

En Europe, et en France, c’est l’autruche qui préside. L’incapacité de l’Europe continentale à penser ce qu’est une monnaie peut être qualifiée d’erreur magnifique. De 1930 à 2010, aucune évolution, aucune remise en question, une persévérance dramatique.

La conclusion peut être laissée à Jean Pierre Jouyet, actuel secrétaire général de la Présidence de la République, et donc premier conseiller de François Hollande qui fut interrogé par Arnaud Leparmentier, dans l’édition du 12 juin 2010 du journal Lemonde :

LeMonde : « En faisant de la désinflation compétitive, de l'austérité partout, ne risque-t-on pas la déflation ?

Jean-Pierre Jouyet :Je ne vois pas de risque de déflation. Au contraire, lorsque vous assainissez vos finances, vous valorisez vos actifs. »

Un vrai bijou. En effet on « valorise ses actifs », peu importent le travail, les chômeurs et les salariés. Tout va très bien. On ne change pas une pensée qui perd à tous les coups. « Assainir ses finances » est moral et pratique. Mais un état n’est pas un ménage. Parce qu’un ménage ne dispose pas d’une banque centrale et celle-ci a un rôle à jouer. Encore faudrait-il s’y intéresser.

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