Ce qu’il serait encore temps de dire ou faire pour éviter les débordements d’un éventuel match France Algérie

Atlantico : Lundi, l'Algérie affrontera l'Allemagne quelques heures après le match France-Nigeria. Si les deux équipes l'emportent, elles s'affronteront lors des quarts de finale. Cette rencontre serait la première entre les équipes depuis le fameux match d'octobre 2001, qui avait été interrompu à la 76e minute après l'envahissement de la pelouse. Un quart de finales France-Algérie serait-il "le match de tous les dangers" de cette Coupe du monde ?

Guylain Chevrier : Il faudra d'abord regarder le match Algérie-Allemagne, qui a lui aussi un passif. Une précédente rencontre, lors de la Coupe du monde de 1982, avait valu l'élimination de l'Algérie (malgré sa victoire contre l'équipe de la RFA, NDLR) après des petits accords entre amis entre l'Allemagne et l'Autriche. Il y a donc potentiellement une grande tension autour de cette rencontre, qu'elle soit gagnée ou perdue.

Concernant le match France-Algérie, on se rappelle que la Marseillaise avait été sifflée lors du match que vous mentionnez, au Stade de France. Et aujourd'hui, on entend chez les supporters de l'Algérie la volonté de vouloir en découdre avec l'Allemagne et avec la France, car il reste une sorte de passif que le football réactive entre les deux pays.

Cette coupe du monde, qui devrait au contraire grâce au football créer une sorte de concorde et laisser les différents nationaux de côté, réactive une certaine passion nationale du côté algérien et un certain ressentiment des populations en France, vis-à-vis de la décolonisation et des difficultés de l'intégration rencontrées dans le contexte économique et social actuel. Les questionnements actuels autour de la relation entre origine, religion et société n'en sont peut-être pas indépendants. Il y a un ressort politique assez inattendu, car on aurait pu penser qu'en 2014, on n'en serait plus là. 

Certains ministres (dont Najat Vallaud-Belkacem ou Manuel Valls) et députés ont soutenu l'équipe d'Algérie lors des matchs de poule. Que devraient-ils dire aux supporters algériens pour apaiser les tensions ?

Concernant l'Algérie elle-même, il n'y a pas de consigne à donner, car cela appartient aux autorités algériennes. 

Pour les Algériens en France, ou les Français d'origine algérienne, il faut leur rappeler que nous partageons la même communauté nationale et qu'ils ont toute leur place dans notre pays. Un pays laïc qui met au-dessus des différences d'origine ou de religion notre bien commun, ce qui peut nous permettre de faire société et cohésion ensemble.

Il y a un message à faire passer, car je ne pense pas que ces politiques se rendaient compte des effets du soutien affiché à l'équipe d'Algérie. Il en va de même concernant le relais très important donné par les médias à cette victoire de l'Algérie contre la Russie. Cela a joué en faveur d'une montée des tensions et d'un climat qui était déjà présent comprend un certain nombre de risques. 

On voit bien qu'une partie de cette communauté prend prétexte de la Coupe du monde pour manifester leur ressentiment vis-à-vis de la France, ce qui est dommageable car c'est se tromper de colère.

Ne faudrait-il pas inciter les supporters algériens à plus se démarquer des casseurs, qui sont loin de représenter la majorité de la communauté algérienne ?

Tout à fait. Ce message pourrait venir à la fois des hommes politiques français et des représentants de la communauté algérienne. Ca pourrait être aussi un appel de l'ambassadeur de l'Algérie en France.

Ces troubles qui ont eu lieu suite à des matchs de poule ne doivent pas augmenter avec la montée des enjeux. Cela demande du politique et des grandes voix reconnues de la communauté algérienne un appel au respect des institutions républicaines et du vivre-ensemble, qu'il serait dommage de mettre en cause à cette occasion.

Une grande majorité des joueurs de l'équipe d'Algérie sont nés en France. Dans l'équipe de France, Karim Benzema est d'origine algérienne. Peuvent-ils permettre de faciliter la réconciliation entre les deux pays ?

Ces tensions sont aussi liées à la lecture d'un certain passé franco-algérien. Les plaies ne sont pas refermées, en partie parce qu'elles sont parfois entretenues par un certain milieu politique et intellectuel qui joue sur l'idée d'une réparation qui n'a pas lieu d'être, qui arrête l'histoire au lieu de la faire progresser et dont la France n'est nullement redevable. Ce facteur continue de peser dans la difficulté qu'ont les membres de la communauté algérienne en France à pouvoir pleinement s'identifier. A cela s'ajoutent les difficultés sociales liées à l'intégration, parfois même à la discrimination et au racisme, qui rejaillissent et encouragent des idées de séparation au lieu de concorde. Karim Benzema ne peut pas à lui seul régler ce problème.

François Hollande pourrait aller au Brésil encourager les bleus en cas de victoire aux huitièmes de finale. Pourrait-il dans ce cas être exclusivement un supporter de l'équipe de France ?

Le président de la République représente la nation et il n'y a pas de raison qu'il adopte une attitude qui consisterait en une espèce de double soutien ambivalent, qui créerait du trouble. 

Il faut faire attention au risque que pourrait entrainer une situation où le président hollande ne s'identifierait pas pleinement à la France, car cela donnerait des arguments à des adversaires de cette concorde entre Algériens et Français, qui tirent avantage de ces divisions.

Le président Hollande serait dans son rôle de soutenir la France, tout simplement.

Les échauffourées de jeudi étaient bien plus violents que ceux enregistrés suite au match contre la Corée du sud : policiers blessés, saccage en règle de bâtiments, destruction de mobilier urbain, jets de projectiles, incendie de véhicules par dizaines. Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a condamné vendredi "ces actes qui sont des actes d'une poignée de casseurs isolés". Pourquoi les autorités ont-elles été débordées face à une "poignée de casseurs" ? Le dispositif policier était-il insuffisant ?

C'est au Premier ministre et au ministre de l'Intérieur d'en juger. Mais ce phénomène a surpris : il y a eu des commerces dévalisés, des voitures et du mobilier urbain brûlés, etc. Je ne suis pas sûr qu'on s'attendait à de tels débordements, et les mesures qui ont été prises l'ont peut être été avec l'idée de ne pas attiser, par une présence policière trop importante, cette situation. 

Pour les prochains matches, il en va tout autrement. Le fait est qu'on risque d'assister à des choses plus compliquées lundi. C'est pour cela qu'un appel lancé en direction de nos compatriotes d'origine algérienne serait une bonne chose. Un appel à la concorde dans le prolongement de l'amitié franco-algérienne. Il appartient aussi aux membres de cette communauté de limiter ou d'empêcher ces débordements. Car il en va beaucoup de l'état d'esprit dans lequel vont se dérouler ces matchs : il ne faut pas qu'ils se tiennent dans un esprit de revanche.