Appel à la grève de la CGT : les syndicats français en plein suicide et malheureusement ça ne regarde pas qu’eux<!-- --> | Atlantico.fr
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La CGT a lancé en collaboration avec FO un appel à toutes les filières professionnelles pour forcer les gouvernements à satisfaire les "exigences sociales" portées par ces syndicats
La CGT a lancé en collaboration avec FO un appel à toutes les filières professionnelles pour forcer les gouvernements à satisfaire les "exigences sociales" portées par ces syndicats
©Reuters

Refondation des syndicats

Lorsque les salariés n'identifient plus leurs attentes au discours syndical, il est nécessaire de réinventer à la fois la conception de défense des salariés et aussi des méthodes employées. Une réalité que ne considèrent pas les syndicats et qui pourrait les mener à leur obsolescence faute d'adhésion.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : La CGT a lancé en collaboration avec FO un appel à toutes les filières professionnelles pour forcer les gouvernements à satisfaire les "exigences sociales" portées par ces syndicats. Alors que la grève de la SNCF a été plus qu'impopulaire, une telle manœuvre n'est-elle pas contre-productive pour des appareils déjà très peu considérés ?

Hubert Landier : Avec cet appel, la CGT et Force Ouvrière en restent à une conception extrêmement classique de l’action syndicale. Le raisonnement est à peu près le suivant : les syndicats ont pour raison d’être de promouvoir le progrès social ; le progrès social consiste à satisfaire les exigences mises en avant par les syndicats, celles-ci répondant par définition aux attentes des salariés ; et il s’agit de créer le "rapport de forces" qui obligera le patronat et le gouvernement à céder afin de restaurer la paix sociale.

Le problème, c’est que ce n’est plus comme ça que ça marche. La situation économique ne permet plus de céder aux syndicats en répondant favorablement aux exigences sociales qu’ils mettent en avant. Le progrès social a cessé de s’identifier à une augmentation, d’année en année, des "avantages acquis". Les attentes des salariés ont cessé de s’identifier à ce que met en avant le discours syndical. Et la recherche d’un "rapport de forces" favorable se heurte à la marginalisation progressive des organisations syndicales.

Leurs dirigeants, au fond, sont victimes d’une sorte d’enfermement dans des idées et des pratiques qui appartiennent au passé. Cela leur vient d’un vieux fond marxiste aujourd’hui véhiculé par les trotskistes, qui ne sont pas sans influence à la CGT et à FO. Or, les trotskistes ne sont pas capables de faire autre chose que ce qu’ils ont toujours fait. Leur attitude relève du sectarisme et n’a rien à voir avec les mouvements de l’opinion, qu’ils leur soient ou non favorables.

Intermittents, SNCM... des blocages dans plusieurs filières risquent de perdurer cet été. Comment expliquer un tel acharnement syndical alors même que Thierry Lepaon, n°1 de la CGT, a reconnu avoir "perdu la bataille de l'opinion" dans l'affaire SNCF ?

La Direction confédérale de la CGT est très faible. De gré ou de force, elle doit tenir compte de ce que lui demande sa base militante. Elle ne dispose que d’une marge de manœuvre assez réduite. Or, les "gros bataillons" de la CGT se situent dans des secteurs d’activité où ils ont pu préserver leur influence par une politique d’action très corporatiste. Les cheminots CGT ou les intermittents du spectacle se fichent pas mal de l’intérêt général ; ce qu’ils veulent, c’est obtenir le maintien de leurs "avantages acquis". On remarquera que c’est la même chose pour le syndicat UNSA des contrôleurs du trafic aérien. Dans cette perspective, les nobles idéaux du mouvement syndical (justice, solidarité…) ne sont qu’un prétexte ; et les idées mises en avant, en grande partie d’origine marxiste, ne sont qu’un prétexte.

Il n’est pas impossible qu’après l’échec de la grève de la SNCF, la confédération CGT, et donc son secrétaire général, aient été l’objet d’un mouvement interne exigeant d’eux de se montrer plus actifs "sur le front des luttes". Donc, ils vont faire comme d’habitude : appel à une mobilisation, journées d’action et manifestations si c’est possible. Le problème, c’est que ça marche de moins en moins et que la mobilisation se limite à une minorité qui s’efforce d’imposer sa loi, au moins quand elle le peut encore, souvent au détriment de l’intérêt général et à rebours de ce que souhaitent la majorité des salariés.

Au-delà des gênes occasionnées par les grèves, ces mouvements aux aspects corporatistes ne sont-il pas générateurs d'effets pervers en détournant les syndicats de leurs fonctions premières, la défense concrète des salariés ? (hausse des salaires, dialogue social etc...)

Cette forme de syndicalisme est morte et se limite de plus en plus à une minorité qui n’a pas vu que le monde a changé et qui s’est enfermée dans ses certitudes. La représentation des salariés est à réinventer de fond en comble. Elle devra de plus en plus échapper au poids des appareils, dont le mode de fonctionnement et les pratiques appartiennent au passé. Mais il y a d’autres organisations que la CGT ou FO et nombre de syndicalistes s’efforcent de promouvoir l’intérêt de leurs mandants par le dialogue et la recherche de solutions de compromis. D’autre part, la CGT n’est pas homogène ; on y trouve nombre de militants et même de dirigeants qui regrettent l’image qu’elle se donne en cédant à sa tendance conservatrice, de même que son incapacité à évoluer vers d’autres formes d’action.

C’est sur les lieux de travail que s’inventera le syndicalisme de demain. Il passe par des expérimentations, des tâtonnements, souvent discrets mais qui n’en sont pas moins réels, même s’ils sont moins spectaculaires que la vision de pneus qui brûlent à l’entrée d’une entreprise en grève ou qu’une banderole à la tête d’un cortège. C’est là qu’il se passe des choses intéressantes, porteuses d’un avenir qui demande à être inventé.

En quoi ces syndicats pourraient justement réinventer  leurs rôles dans les entreprises alors que les méthodes "classiques" semblent en plein essoufflement ?

La réinvention du rôle des syndicats dans l’entreprise est, j’en suis persuadé, une question de management. L’entreprise, en tant que communauté de travail, repose sur un certain équilibre entre les points de vue des uns et des autres. Les salariés ont besoin de disposer d’une possibilité de recours quand ils sont en conflit, à tort ou à raison, avec leur manager. Ils ont besoin d’être tenus collectivement informés de la marche des affaires et, s’il le faut, d’être consultés. Il est bon que leurs représentants puissent participer à la formulation de certaines règles qui, ensuite, s’imposeront à tous, et c’est le rôle de la négociation. Le syndicaliste exerce en outre la fonction de "fou du roi" : il formule ouvertement ce que beaucoup de gens pensent mais n’osent pas exprimer. Tout ceci est important, mais demande à être pensé autrement que par référence aux vieux schémas dont s’inspirent certains appareils syndicaux.

Ce que je vois, dans mon travail d’expert social dans les entreprises, c’est que ce qui s’y passe n’a plus grand chose à voir avec le discours syndical officiel, ni même avec le discours patronal. C’est probablement là que se construit l’avenir, pas dans les appels à une mobilisation contre une austérité aujourd’hui devenue inéluctable. Certains dirigeants syndicaux le savent bien. Mais, semble-t-il, ce n’est pas le cas de ceux qui viennent, malgré la claque qu’ils ont pris à la SNCF, d’appeler à une "mobilisation" plus large dont il faut s’attendre à ce qu’elle ne soit pas très suivie. C’est évidemment très regrettable.

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