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Vincent Lambert/Dr Bonnemaison : en moins de 24 heures, la justice rend deux décisions sur l’euthanasie totalement contradictoires
©Reuters

Jouer "perso"

La loi Léonetti qui encadre la fin de vie en France est morte le 26 juin 2014. La cause ? Elle vient d’être vidée de sa substance par la cour d’assise de Pau. Une loi sans sanction n’existe plus. Un nouveau droit existe : le droit de tuer par amour.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Une loi, depuis 2005, encadrait la pratique des médecins en fin de vie et protégeait les malades. Les médecins devaient s’y conformer. Les malades et les familles avaient cette garantie. Le soin, oui ! L’accompagnement, oui ! Les soins palliatifs, ô que oui ! Mais, quand au bout du bout de la vie, un "arrêt des traitements" finissait par s’imposer de lui-même, il résultait d’une demande du malade ou de ses représentants, de sa famille, à laquelle s’ajoutait un nécessaire consensus des équipes soignantes. Le fardeau d’une décision devait être partagé. Les uns et les autres devaient être à l’unisson. A la parole qui demandait correspondait la parole qui expliquait, réorientait, résonnait, se conjuguait au pluriel. Il fallait se prémunir contre tous les vertiges autour de la fin de vie : les vertiges d’angoisse, de compassion ou de toute-puissance qui surviennent parfois en ces circonstances. Donc, rien ne pouvait se faire seul, sur un "coup de tête" ou pour des raisons malsaines. Rien. Et certaines infirmières avaient été condamnées pour avoir donné la mort, droguées qu’elles étaient par leur toute-puissance. Disposer d’une vie selon son bon-vouloir, la tenir à portée de main et pouvoir l’abréger au gré de ses fantaisies morbides, voilà qui allait à l’encontre de l’infinie responsabilité des soignants. La loi Léonetti, votée à l’unanimité, après un long travail, était exemplaire. Un équilibre était instauré. La famille, le malade, les équipes devaient se parler, se comprendre, agir de concert pour mieux accompagner cette vie jusqu’à sa fin, sans acharnement ni révocation brutale.

Or, hier, le 25 juin 2014, cette loi a été vidée de l’intérieur par la cour d’assises de Pau. Un médecin, empli d’une infinie compassion, au point de ne pas accepter la souffrance des autres, avait injecté des doses létales et du curare (produit donné lors de certaines condamnations à mort aux Etats-Unis) à sept des malades qui passaient par là. Avait-il parlé de son intention ou de son geste aux familles ? Non. Avait-il demandé l’avis des équipes soignantes ? Non. Répondait-il à une demande explicite, pressante ou même clairement formulée par les malades eux-mêmes ? Non. Avait-il partagé avec quelqu’un, un référent, un membre de l’hôpital ? Non. Et dire cela n’est pas un jugement de valeur. Tout cela fut dit, reconnu, établi lors du procès. Et quand on lui demanda pourquoi il avait agit de la sorte, à l’encontre de toutes les procédures, en infraction de la loi Léonetti, à rebours de toute déontologie médicale, le docteur Bonnemaison a dit, devant tout le monde : "J'ai agi en médecin, comme je le conçois, comme je conçois ce métier, c'est-à-dire jusqu'au bout, jusqu'au bout du bout. J'estime que ça fait partir du devoir du médecin d'accompagner les patients jusqu'au bout." Sa conception de l’accompagnement, très personnelle, avec beaucoup de "je" et peu de "nous", va à l’encontre de toutes les pratiques en vigueur. Il a pensé qu’il lui fallait donner la mort sans demande ni concertation. Il le fit une fois, deux fois, quatre fois, sept fois. Il fut dénoncé. Exclu de l’ordre des médecins. Mis en procès. Et aurait du, logiquement, selon les principes de droit en vigueur, être condamné pour empoisonnement - et donc pour meurtre. Donner la mort à une personne qui ne l’a pas demandé, sans autre raison que son "bon vouloir" ou son "infinie compassion", faire fi des lois en vigueur qui suppose la collégialité et le murissement lent d’une décision, doit être nommé par son nom. Il s’agit d’un meurtre. 

Le 25 juin 2014, la cour d’assises de Pau indique dans son jugement qu’il y a toutes les raisons d’une condamnation mais qu’elle prononce un acquittement. Comprendra qui pourra ! Elle dit que ce docteur Bonnemaison a estimé "de bonne foi que ses patients souffraient physiquement et psychiquement", qu’il "a procédé lui-même à ses injonctions", qu’il "n’en a pas informé l’équipe soignante", qu’il "n’a pas renseigné le dossier médical",  qu’il "n’a pas informé les familles". Et bien malgré tout cela, l’acquittement est prononcé. Qu’est-ce à dire ? Cet homme a agit hors-la-loi, s’est exonéré de toutes les règles en vigueur, de toutes les pratiques en fin de vie, mais cela est sans conséquence, sans effet, sans sanction. Il n’a pas "mal fait" - au regard du Tribunal. Sept personnes sont mortes en raison de la seule action délibérée, solitaire, impulsive de ce monsieur qui a tout fait pour qu’elles meurent au plus vite et, nous dit la Cour d’assise, cela n’a pas d’importance, ne compte pas, n’entre pas en ligne de compte. Et la ministre de la santé, Mariesol Touraine, après l’arrêt a dit publiquement, dans la cour de l’Elysée, qu’il "s’agissait-là d’une décision d’humanité". Diantre ! Donc, si j’entends bien, la Cour de Pau, est "humaine" pour n’avoir pas condamnée celui qui s’est érigé en juge de la vie et de la mort de ces sept personnes ; pour n’avoir pas mis en prison celui qui, en blouse blanche, s’est penché avec sa seringue de mort sur les corps exténués et les âmes souffrantes de toutes ces vieilles personnes qui n’avaient rien demandées, et qui a mis a exécution son "jugement". Il les a condamnés à un "apaisement" éternel. Sa compassion était tellement immense qu’il a préféré les faire mourir.

Une loi sans sanction n’est plus une loi mais une vague intention. Une justice qui ne condamne pas quand les faits sont établis, quand sept morts sont à déplorer, va à l’encontre de la Loi qui, comme toute loi, est dure mais nécessaire. Dura lex, sed lex. Elle n’appartient à personne, et tous nous devons nous y soumettre et être condamné si nous la violons. Celui qui l’enfreint, enfreint la règle commune. Celui qui n’est pas condamné pour l’avoir enfreinte, est "innocent" et fait tomber la loi. Désormais, depuis le 25 juin 2014, si aucun recours n’est demandé, les médecins ne sont plus encadrés par la loi Léonetti. Ils ne s’exposent plus à des sanctions. Et les malades en fin de vie ne sont plus protégés par la loi – censée veiller sur le faible, le réconforter, lui donner secours et protection surtout quand il est aux extrémités de la vie. Depuis le 25 juin 2014, les médecins peuvent tout faire "par compassion" : soigner, accompagner, soulager et même, s’ils le veulent, de leur propre chef, injecter du curare à leurs patients qu’ils jugent d’eux-mêmes, sans s’en référer à personne, au-delà du bout de la vie. Est-ce à dire que les patients en fin de vie sur leurs lits d’hôpital doivent se méfier, considérer leurs médecins comme de possible docteur Bonnemaison ? Oui. Doivent-ils désormais se taire, ne pas dire "ca va pas aujourd’hui ! J’en ai marre de la vie !" sous peine de ne pas passer la nuit ? Oui. Et dire cela ne remet pas en cause la conscience professionnelle des médecins, la qualité des équipes soignantes, le travail formidable des aidants, des professionnels des soins palliatifs. Oh non ! Dire cela, et uniquement cela, revient à constater qu’une nouvelle impunité est née pour les médecins : celle de mettre fin à la vie d’un malade sans demander l’avis, l’accord, le consentement, la réflexion, le sentiment de qui que ce soit ! Personne ne dit qu’ils vont s’en saisir et "tuer" à tire larigot. Personne et surtout pas moi. Ils sont responsables. Savent à quoi s’en tenir. Mais le regard porté par le patient sera changé. Comment désormais faire confiance ? Comment savoir si un jour le docteur Jekyll que je connais ne deviendra pas une nuit le "bon" docteur Bonnemaison ?

Tout le monde voit bien que des groupes, des intérêts et tous les partisans de l’Euthanasie s’en prennent à la loi Léonetti. Ils veulent la faire "sauter", comme on fait sauter un barrage. L’affaire Vincent Lambert avant-hier. L’affaire Bonnemaison hier. Cette coïncidence permet au porte-parole de gouvernement, M Le Foll, de dire, hier, toute affaire cessante, comme si le coup avait été préparé à l’avance," qu’on a besoin de faire évoluer le cadre législatif". Mais diantre ! En quoi ? Le Conseil d’Etat a conforté la loi Léonetti en considérant que ce cadre devait être respecté et que dans l’affaire Lambert il l’avait été. Et si le docteur Bonnemaison enfreint cette loi, la bafoue avec l’indulgence de la justice, en quoi cette loi doit-elle être incriminée ? De toute évidence, "quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage". Quand on veut tuer la loi Léonetti, on l’accuse de tous les maux, on la discrédite, on répète à satiété qu’elle "ne convient pas", qu’elle "doit évoluer", qu’elle montre ses limites. Laissez-moi, avec solennité, mettre en garde tous ceux qui voudraient la réformer de fond en comble. Chacun à ses raisons. Elles se comprennent. Si cette boite de Pandore est largement ouverte, le toilettage deviendra tempête et la tempête chaos. Et certains ont intérêt à instaurer l’euthanasie. Ils répéteront les mêmes mensonges qui, à force, finiront par devenir des évidences. Et de guerre lasse, ils auront gain de cause.  Attention. Que les hommes de bonne volonté se ressaisissent. Que le bon sens finisse par l’emporter ! Là est mon souhait le plus cher.

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